Hollande politise sa ligne sociale

Published 19/10/2015 in France

François Hollande à l’heure de son discours d’ouverture, à Paris, lundi.

Analyse

Lors de sa conférence avec les partenaires sociaux, lundi, François Hollande s’est posé en défenseur du dialogue social en vue de 2017. Avec qui, contre qui et avec quels moyens ? Eléments de réponse.

Certains morceaux du puzzle ont été ajoutés à la hâte sous le coup de bourrasques sociales qui ont pris l’exécutif au dépourvu. Mais, après une rentrée dominée par les questions internationales – Europe, Syrie et migrants -, François Hollande tente de repriser son costume de président social, plaidant pour le dialogue et le compromis, dans un climat de plus en plus électrique. «La société française n’est pas une armée, elle n’obéit pas au doigt et à l’œil du chef de guerre que je serais», a reconnu lundi sur RTL le président réformiste à la recherche d’une paix sociale qui lui échappe.

Avant la quatrième conférence sociale, il y avait eu le congrès des HLM et le 70anniversaire de la Sécurité sociale. Trois rendez-vous et autant d’occasions de faire lui-même son bilan (tiers payant généralisé en 2017, protection maladie universelle, modulation des allocations familiales, retraite à 60 ans et réforme de la formation professionnelle) avant d’annoncer ce qu’il présente comme le grand œuvre social de son quinquennat, le compte personnel d’activité (CPA, lire ci-dessus). Trois rendez-vous permettant au chef de l’Etat de renouer avec les accents du candidat socialiste, qui veut «rassembler» et «apaiser» le pays. Trois rendez-vous, surtout, qui le posent en défenseur du «modèle social français» face à la droite et à l’extrême droite (ci-dessus) et ce même si le chômage ne recule toujours pas. C’est le sens de sa sortie sur la Sécu qui ne serait «pas un acquis irréversible». Même plébiscitée par les Français dans toutes les enquêtes d’opinion, elle pourrait, selon lui, être détricotée si l’opposition l’emportait en 2017. Hollande essaye de se poser en gardien du modèle social français. D’où son discours sur la nécessité de l’équilibre des comptes sociaux qui, a priori, porte moins politiquement à gauche. Les régimes de retraites sont pérennisés jusqu’en 2030, ne cesse de répéter Hollande. «C’est l’une des réussites qui comptera dans le bilan du quinquennat, veut croire un ministre. On a supprimé, pour une partie non négligeable de la population, le côté hautement anxiogène de l’interrogation : “Est-ce que moi je toucherai une retraite ?”» «Savoir que les comptes sont maîtrisés facilite l’adhésion au pacte social : on sait pourquoi on cotise», complète l’entourage de la ministre des Affaires sociales, Marisol Touraine.

Sur le papier, le dialogue social français se porte presque aussi bien qu’en 2014. «Le nombre d’accords de branches ou d’entreprises reste à peu près au même niveau que l’an dernier et les conflits sociaux sont moins longs et moins durs», insistait un conseiller de l’exécutif début octobre. Mais la crise à Air France a fait voler en éclats ce tableau tout en nuances. Radicalisant d’un seul coup la parole politique et syndicale.

Dialoguer avec qui ? Les patrons et les syndicats «réformistes»

«Le conflit à Air France ne résume pas l’état de la France», a martelé François Hollande lundi sur RTL, au cours d’une émission montée à la dernière minute, comme son aller-retour à Saint-Nazaire pour vanter les vertus d’un dialogue social rénové par un «accord compétitivité» signé aux chantiers navals STX. Et peu importe si l’image qui reste est celle d’un syndicaliste CGT qui refuse de lui serrer la main. Ce que le chef de l’Etat «attend des syndicats, ce n’est pas de la politesse, mais du dialogue». Non, Hollande, n’abandonnera pas les partenaires sociaux en cours de mandat, comme l’a fait son prédécesseur. Il ne leur marchera pas sur la tête, tel Sarkozy dans sa course à un second quinquennat. «Moi, je crois au rôle des organisations représentatives, je crois à la nécessité d’avoir des acteurs responsables qui s’engagent», a répété François Hollande lors de son discours d’ouverture de la conférence sociale de lundi. Sauf que comme sous Sarkozy, le climat social, après trois ans d’exercice du pouvoir, se tend. Echec de la négociation sur le dialogue social, violents incidents à Air France, sujets délicats en perspective (réforme de la négociation collective et simplification du code du travail) : la CGT, principale organisation syndicale du pays, qui avait pourtant appelé à voter Hollande, s’éloigne un peu plus de l’exécutif. Boycottant même, pour la première fois depuis 2012, l’ensemble de cette quatrième conférence sociale. Or le Président semble, lundi, en avoir fait son deuil. «Il est […] commode de ne jamais s’engager à signer le moindre accord, en espérant d’ailleurs que d’autres le feront à leur place, tout en dénonçant, dans le même mouvement, les insuffisances du dialogue social», a-t-il déclaré dans une allusion directe à la CGT. «Abîmer le dialogue social, c’est quand on s’enferme dans les postures, quand l’enjeu interne l’emporte sur l’intérêt général», a surenchéri le Premier ministre en fin de journée. A l’inverse, Hollande – comme Valls – a vanté l’accord – et «ses mesures courageuses» – trouvé vendredi sur les retraites complémentaires, et qui constitue «à [ses] yeux une preuve de responsabilité». Accord jugé «scandaleux» par la centrale dirigée par Philippe Martinez… Bref, le champ des partenaires sociaux avec qui Hollande envisage de terminer son mandat sera des plus classiques : le patronat d’un côté, en direction duquel est orientée une grande partie de sa politique économique – les syndicats dits «réformistes» (CFDT, CFTC et CGC) de l’autre. La fracture avec la gauche du PS au plan politique est désormais actée au plan syndical.

Défendre le modèle social contre le «bloc réactionnaire»

Vanter les partenaires sociaux parce qu’on croit au dialogue social est une chose. Porter aux nues les corps intermédiaires pour mieux taper ses adversaires politiques en est une autre. François Hollande, qui a décidé de faire fi de son absence de résultats dans le domaine économique, a érigé la défense du modèle social français en bouclier face au «bloc réactionnaire», l’idiome dans lequel l’exécutif mêle droite et extrême droite depuis la rentrée. En déroulant son programme pour «refonder le dialogue social», fin septembre dans les Echos – remise en cause des 35 heures, des accords collectifs, contournement des syndicats – Nicolas Sarkozy a fourni au chef de l’Etat une occasion rêvée de ressouder son camp et de monter au créneau projet contre projet. «Quand il n’y a plus de représentants nulle part, vous discutez et vous réformez avec qui ? On ne peut pas réformer tout seul», a-t-il expliqué lundi après avoir jugé que seuls «les plus démagogues» proposaient de se passer des syndicats. Dans son face-à-face avec l’ex-chef de l’Etat, Hollande a reçu le soutien étonnant de celui qui était le «monsieur Social» de Sarkozy, Raymond Soubie, qui «ne croi[t] pas que le paysage social soit la chienlit», comme l’a dénoncé l’ancien président à propos de la crise à Air France. Aux dires d’un ministre, «en 2017, la question qui se posera aux Français sera simple : “Voulez-vous de la démocratie sociale ou une démocratie directe”». Autrement dit, la gauche ou la droite. Mais – c’est plus nouveau – François Hollande truffe également son plaidoyer social d’attaques contre le Front national, dont le discours économique séduit de plus en plus d’ouvriers, de salariés, voire de fonctionnaires. «Personne n’est dupe du jeu de ceux qui profèrent le repli derrière des frontières nationales au prétexte de nous sauver de tout alors que ce serait la ruine du travail français, quand on sait que le tiers de la production de notre pays est exporté», a-t-il fait valoir, concluant son discours devant les partenaires sociaux sur le refus de la «peur». Comme dans les grandes heures de sa campagne présidentielle de 2012.

Pour faire quoi ? Mettre en Œuvre le CPA, son dispositif phare

Ce n’est pour l’instant qu’une coquille vide, adoptée dans la loi sur le dialogue social, dite «Rebsamen», d’août 2015. Mais ce doit être, demain, la «grande réforme» sociale du quinquennat, comme l’a dit Hollande lundi : le compte personnel d’activité (CPA), qui doit entrer en vigueur au 1er janvier 2017.

Le principe : regrouper au sein d’un même outil les différents droits que le salarié pourra transporter d’une entreprise à l’autre au cours de sa carrière. «Chaque actif sera doté, dès son plus jeune âge, dès son entrée dans la vie professionnelle, d’une forme de capital, d’un patrimoine qui lui appartiendra en propre, et qui sera tout au long de sa vie fructifié par des droits qui s’accumuleront, le plus souvent exprimés en temps», a détaillé le président de la République. Droits qui lui permettront «de faire des choix professionnels qui lui assureront une mobilité, un changement de métier, une promotion, un retour au travail s’il l’a perdu».

Les droits créés récemment – comme le compte pénibilité, formation, ou encore les droits rechargeables à l’assurance chômage – semblent, par essence, destinés à y figurer. Le CPA sera aussi abondé par l’Etat pour les publics les plus en difficulté, comme les chômeurs ou les jeunes. Mais d’autres droits pourraient également s’inviter. Ce sera l’objet de la négociation qui va se tenir entre syndicats et patronat, qui devront également définir les modalités d’utilisation de ce compte. Une négociation qui se fera sur la base d’un «document d’orientation» remis à la fin du mois aux partenaires sociaux par la ministre du Travail, Myriam El Khomri, et qui débouchera sur un projet de loi début 2016.

C’est a priori dans ce même texte de loi que sera abordée la réforme de la négociation collective, suite à la remise du rapport Combrexelle. Avec, comme objectif, énoncé lundi par le Premier ministre, d’aboutir à un droit du travail réparti en trois grands ensembles : le «socle des droits et principes fondamentaux garantis par la loi», «les dispositions relevant des accords collectifs» et, enfin, «les règles qui viennent suppléer l’absence d’accord». Le président de la République a confirmé qu’un texte «sur les nouvelles opportunités économiques» liées au numérique sera présenté par le ministre de l’Economie en 2016. 

ParLuc PeillonetLaure Bretton

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