Le dossier médical refait surface

Published 19/10/2015 in France

Le dossier médical refait surface

Aux petits soins

Cela fait dix ans que l’on en parle et plus de 500 millions d’euros déjà dépensés. Ces jours-ci, l’Assurance maladie propose un nouveau projet. Peut-on y croire ?

Ce n’est plus un serpent de mer, c’est devenu un TOC, un trouble obsessionnel compulsif. Le projet du dossier médical personnalisé (DMP) revient ainsi régulièrement sur le devant de la scène. Tous les deux ou trois ans, il fait son apparition, puis disparaît. Et voilà donc qu’il est de retour, avec cette fois-ci un qualificatif différent : on parle de carnet de santé numérique.

Une bonne nouvelle ? Oui, si on prend au sérieux ces dernières annonces, mais l’histoire de ce dossier a révélé tant de gâchis que l’on se doit de rester prudent. Ces jours-ci, en tout cas, il y a eu deux signes plutôt positifs. D’abord, la remise à la ministre de la Santé, Marisol Touraine, d’un rapport du Conseil national du numérique, formulant 15 propositions pour la transformation numérique du système de santé. Ce rapport réaffirme la nécessité de garantir l’accès à une «information de confiance» en santé, mais aussi de rendre effectif le droit de chacun de protéger et maîtriser l’usage de ses données médicales. Et il appelle à une vaste mise en réseau de tous les acteurs. «La révolution numérique de la santé est là», a réagi solennellement Marisol Touraine. «Mon ambition c’est de lui donner les moyens de s’exprimer et de se développer, dans un cadre respectueux du patient et du professionnel qui l’accompagne», a-t-elle souligné, évoquant les travaux sur le futur dossier médical dématérialisé.

Des propos ministériels encourageants, mais rappelons que cela fait plus de dix ans que le dossier est sur la table, que les ministres tiennent des propos offensifs et grandiloquents sur le sujet, et que dans les faits, tout reste englué. Que l’on s’en souvienne ! Initié en 2004 par Philippe Douste-Blazy, alors ministre de la Santé, le DMP a été mis en place en 2011. Intérêt évident : formellement il a pour objectif de regrouper les informations de santé d’un malade dans un unique dossier électronique regroupant prescriptions, allergies, résultats d’analyses, radios, etc. Le tout pour permettre une prise en charge plus globale et, au passage, éviter des examens redondants, mais aussi des prescriptions médicamenteuses contradictoires. A titre d’exemple, dans les pays nordiques, ce dossier médical est la règle. Et fonctionne très efficacement.

En France, on a plutôt privilégié une série de loupés. Alors que l’objectif initial était d’atteindre les 5 millions de dossiers fin 2013, on en comptait seulement 418 011 en janvier 2014. Les raisons ? On a construit des boîtes administratives peu pertinentes pour le gérer, les médecins libéraux ne se montrant pas très actifs sur la question, craignant le regard de l’administration sur leur travail. Quant aux associations de patients, elles se sont noyées dans des questions certes importantes mais secondaires – ainsi elles voulaient que le patient soit le seul maître des informations y figurant. «Si vous avez eu une IVG, ou une dépression lors de votre jeunesse, vous n’avez peut-être pas envie que ces événements vous soient rappelés tout au long de votre vie», disait le Collectif interassociatif des usagers de la santé.

Dix ans plus tard, après avoir dépensé plus de 500 millions d’euros –et en dépit de successions d’opérations pilotes– aucune dynamique ne s’est enclenchée. Aujourd’hui, la nouveauté est que le coup d’accélérateur vient de l’assurance maladie, elle-même : depuis près d’un an, en concertation avec les professionnels, celle-ci s’est attaquée à la création d’un dossier numérique, avec une particularité : jusqu’ici, le patient pouvait faire la demande de création à son professionnel de santé. Désormais, il pourra le faire lui-même, via son compte Ameli, l’espace personnel disponible pour chaque assuré sur le site de l’assurance maladie. «L’ouverture des DMP est parfois considérée par les médecins comme une démarche administrative, qui empiète sur le temps de consultation, et dès lors, qui ne relève pas de leur ressort», explique l’assurance maladie. Autre mesure : créer un lien entre le DMP et le milieu hospitalier, inexistant jusqu’ici, via une messagerie sécurisée. «Le dossier sera automatiquement alimenté par les remboursements de soins, conservés par l’assurance maladie au cours des douze derniers mois», ajoute encore l’administration.

Cela marchera-t-il ? Avant la fin du premier semestre 2016, ce DMP new-look sera testé dans huit territoires pilotes, pour être ensuite déployé sur toute la France d’ici à la fin de l’année 2016. Mais l’ouverture d’un dossier par les patients ne sera toujours pas obligatoire.

Reste que ce DMP, élément central pour une bonne prise en charge du patient, ne vivra vraiment que s’il est porté fortement par les politiques. Or, les résultats aux élections professionnelles, ce week-end, ont montré un durcissement de la médecine libérale, ce qui pourrait la conduire à une opposition encore plus frontale aux pouvoirs publics. En clair, ce n’est pas encore gagné.

ParEric Favereau

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