Snapchat : du selfie à la Maison-Blanche

Published 29/05/2015 in Futurs

Logo Snapchat. Normalement, les images sont visibles 10 secondes avant de disparaître. Normalement.

Récit

Le réseau de partage de photos et vidéos éphémères tente d’intéresser ses membres à l’actualité.

Mais pourquoi le réseau préféré de la «génération selfie», où s’échangent surtout des photos et vidéos légères, cherche-t-il à embaucher des journalistes passionnés de politique ? «Pour couvrir la présidentielle américaine de 2016», «24h sur 24», décrit l’offre d’emploi qui a récemment circulé sur le Web. Avec cette annonce, la start-up, qui a récemment annoncé vouloir entrer en bourse, laisse entrevoir ses plans : produire de l’information pour ne pas seulement être un réseau social mais aussi un média social.

Les journalistes recrutés par Snapchat produiront des «stories», courtes compilations de vidéos et photos qui ont l’avantage, contrairement au contenu classique de l’application, d’être accessibles pendant 24 heures et donc de ne pas disparaître immédiatement après avoir été visionnées. Les stories créées par les journalistes raconteront «les candidats, les personnalités, les coulisses» de l’élection américaine. Un modèle qui «peut marcher» selon Jon Henley, grand reporter au quotidien britannique The Guardian, qui a fait des réseaux sociaux un véritable outil de travail. «J’ai regardé comment ça fonctionnait, c’est tout à fait adapté au journalisme», affirme le journaliste, initiateur des Tweet trip, reportages construits à partir de Twitter.

Plus que les stories simples développées par la start-up de Santa Monica depuis un an et demi, ce sont les histoires participatives du réseau jaune qui ont attiré l’attention du journaliste. «Depuis que les réseaux sociaux existent, les journalistes n’ont plus le monopole de l’information. Les gens ne sont plus uniquement des lecteurs, ils veulent participer. Tout ce qui le permet est une bonne chose», explique-t-il. Lancé l’année dernière, «Our story» est un outil collaboratif permettant aux utilisateurs participant à un même événement d’envoyer leurs vidéos et photos pour créer ensemble une seule et même histoire, visible par tous les utilisateurs du réseau. Pour l’instant, le concept est principalement utilisé pour faire de l’événementiel.

«Our story» va donc s’élargir à l’actualité politique et couvrir sur le même principe la campagne déjà entamée pour la Maison-Blanche. Les journalistes embauchés par Snapchat seront chargés de sélectionner le contenu envoyé par les usagers. «Ce qu’il faut, c’est qu’ils gardent en tête les règles de base du journalisme. Il ne faut surtout pas les abandonner, les réseaux sociaux ne peuvent pas être le seul outil», préconise Jon Henley. C’est Peter Hamby, un des pontes du journalisme politique chez CNN, qu’Evan Spiegel, le patron de Snapchat, a choisi pour diriger son tout frais service news. 

Ce service diffuse depuis janvier une sélection d’articles accessibles depuis l’application. Baptisé «Discover», l’onglet spécial de Snapchat propose quotidiennement un choix d’articles issus de onze médias américains, parmi lesquels CNN, Vice, Cosmopolitan, National Geographic et ESPN.

Reste que le public de Snapchat, dont 71% a moins de 25 ans, ne semble pas vraiment avoir envie de lire un article entre deux selfies. Selon The Information, site d’info destiné aux professionnels des nouvelles technologies, l’audience de «Discover» aurait chuté de 30% à 50% depuis son lancement. Le partenariat avec les onze médias américains, qui prendra fin au mois de juin, n’est donc pas certain d’être reconduit. 

«Discover n’est pas très adapté à la cible de Snapchat, qui est très jeune», analyse Benoît Raphaël, «stratégiste» média qui a cofondé le Plus du Nouvel Obs et le Lab d’Europe 1. «Il y a un grand décalage. J’ai l’impression que le réseau va se concentrer sur ses stories. C’est là-dessus qu’il va pouvoir construire son modèle économique et intégrer de la pub. Il a commencé à le faire en sponsorisant certaines stories faites par des annonceurs.»

Le tarif réclamé par Snapchat aux publicitaires serait de 750 000 dollars par jour, rapporte le site spécialisé l’Usine-digitale. Un montant qui a hérissé les poils des annonceurs, agacés à l’idée de devoir payer une telle somme pour une campagne d’une dizaine de secondes disparaissant au bout de quelques minutes. «Ce qui est compliqué pour Snapchat, c’est que son contenu est éphémère, ajoute Benoît Raphaël. Trouver un modèle publicitaire dans ces conditions n’est pas évident. Il tente des choses, pour l’instant c’est la jungle mais les choses vont se structurer.» 

«Marques»

En France, peu nombreux sont les médias qui se sont lancés dans l’aventure Snapchat. Parmi eux, le magazine féminin ELLE. Il a ouvert son compte en mai, à l’occasion du festival de Cannes. Sur @ellefr, une trentaine de stories racontent les coulisses du festival, donnant l’avis de la rédaction sur un film ou des anecdotes sur les personnalités rencontrées. 

«De prime abord, l’association entre ELLE et Snapchat n’était pas évidente. Nous n’avons pas tout de suite pensé à ce réseau social, explique Emilie Coquard, directrice du numérique du magazine. Mais nous avons toujours voulu être présent sur l’ensemble des réseaux sociaux, donc on s’y est mis.» L’objectif de la rédaction est d’attirer un public plus jeune vers son site web. Depuis que le magazine est présent sur les réseaux sociaux, l’âge moyen des lecteurs du site est passé de 43 à 37 ans en seulement deux ans, selon Emilie Coquard.

Les raisons qui ont poussé le féminin sur Snapchat sont aussi publicitaires. «C’est notre modèle, défend Emilie Coquard. Les marques de luxe cherchent à avoir un public jeune, à conquérir leurs futurs clients. Ça nous a poussé à franchir le pas.» Pour l’instant, le magazine ne sait pas combien de personnes ont suivi @ellefr lors de la couverture du festival de Cannes. «Nous allons faire le bilan, ajoute-t-elle. Si les résultats sont là, nous répéterons l’opération sur d’autres événements.» 

Snapchat a également attiré l’attention de Nice-Matin. Le mois dernier, le quotidien régional a monté une cellule autour de l’innovation numérique baptisée le Bocal Numérique. Outre les problématiques de la narration sous forme de bande-dessinée ou d’émoticônes, l’équipe s’intéresse au réseau fantôme. Et à comment l’utiliser, afin d’amener les jeunes à s’intéresser davantage à l’actualité. 

ParMorgane Le Cam

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