Mettons fin à la catégorie sexe

Published 21/10/2015 in Société

A Paris, samedi 17 octobre 2015, lors de la 19e édition de l’Existrans.

Tribune

Si le sexe apparaît comme le cas le plus strict d’assignation identitaire dans les registres de l’état civil, il devrait représenter un simple élément de la vie privée.

Plutôt que d’indiquer «sexe neutre», comme vient de le faire le TGI de Tours à la demande d’une personne née avec une «ambiguïté sexuelle», il serait plus juste de faire tout simplement disparaître la mention «sexe» dans les actes de naissance. Comme cela fut le cas pour la «race» ou la «religion», l’Etat devrait cesser de prendre en considération le sexe pour l’identification des personnes. Les nouvelles formes de reconnaissance biométrique permettent d’individualiser d’une manière plus fine les personnes sans les classer sexuellement. L’utilisation du terme sexe dans les registres de l’état civil présuppose une réalité biologique première, ce qui implique de reconnaître cet enfermement des individus et de cautionner une pérennisation des identités obligatoires dont sont victimes non seulement les hermaphrodites mais également tous ceux et celles qui ne se reconnaissent pas dans le sexe assigné à leur naissance (transsexuels, queers…). Les individus sont ainsi inscrits d’office dans ces catégories sexuées et ne peuvent échapper à leurs groupes que très difficilement du fait de la permanence du signe biologique de la différence des sexes. En effet, le sexe apparaît comme le cas le plus strict d’assignation identitaire. Il s’agit d’une partition inexorable de l’humanité car fixée de manière définitive.

La possibilité d’un genre neutre avait déjà été évoquée à la fin du XIXe siècle par le fondateur de la médecine légale, Alexandre Lacassagne, qui demandait «une réforme de l’article 57 du code civil pour imposer un examen médical à la puberté qui statue[rait] le sexe et l’inscription comme homme, femme ou neutre sur les registres d’état civil» (1). Mais cette proposition n’a jamais prospéré.

Si la décision du TGI de Tours constitue une avancée, le droit positif continue à se fonder sur une conception binaire du genre. En effet, le premier alinéa de l’article 57 du code civil dispose : «L’acte de naissance énoncera […] le sexe de l’enfant et les prénoms qui lui seront donnés…» Suivant le principe établi par la jurisprudence de la Cour de cassation, c’est l’examen des organes génitaux externes du nouveau-né qui détermine : l’appartenance à l’un ou l’autre sexe – la reconnaissance de cet état par la société (état civil) – l’attribution de prénoms, le plus souvent sans ambiguïté quant au sexe de celui ou celle qui le porte. Selon la cour d’appel de Paris, «tout individu, même s’il présente des anomalies organiques, doit être obligatoirement rattaché à l’un des deux sexes, masculin ou féminin, lequel doit être mentionné dans l’acte de naissance» (2).

L’article 55 du code civil énonce dans son premier alinéa que «les déclarations de naissance sont faites dans les trois jours de l’accouchement, à l’officier de l’état civil du lieu». Comme critérium d’Etat tendant à l’identification officielle des individus, le genre juridique alimente l’illusion naturaliste de l’existence de deux réalités sociales clairement distinctes. Or, la sociologie met en avant que la distinction entre les hommes et les femmes provient plutôt des constructions idéologiques et sociales que de caractéristiques invariables et naturelles. C’est dans les rapports historiques de domination que s’est forgé le caractère féminin et masculin, de telle sorte que le genre est le résultat de cette histoire et non pas dans l’expression spontanée d’une concordance avec la réalité biologique mâle-femelle. Juridiquement, le combat des personnes transsexuelles a permis de faire de la catégorie «sexe» un élément de leur vie privée, protégé par la Convention européenne des droits de l’homme. A partir de cette évolution, plutôt que de créer une troisième catégorie (sexe neutre), il serait plus pertinent de cesser de l’utiliser. Après tout, en quoi cela regarde-t-il l’Etat que l’on soit homme ou femme, ou ni l’un ni l’autre ?

(1) «Les Actes de l’état civil», Paris, A. Storck, 1887, p.91.

(2) Cour d’appel de Paris, 18 janvier 1974 : D. 1974, p.196, conclusion Granjon.

ParDaniel Borrillo, Juriste, CERSA/CNRS

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