L’amour à prix d’«Amy»

Published 17/11/2015 in Cinéma

Amant d’un soir ou liaison durable ?

Drague

Ecrite par Amy Schumer, qui tient le rôle principal, la comédie trash et délurée de Judd Apatow s’amuse du donjuanisme au féminin.

Deux gamines blondes assises sur le capot d’une voiture écoutent attentivement leur père leur donner des explications imagées sur ce qui l’a poussé à divorcer de leur mère. Il y est notamment question de ne pouvoir toute sa vie jouer avec la même poupée alors qu’on a évidemment envie d’en essayer plusieurs. Finalement, et pour synthétiser la sagesse de cette séparation, il leur demande de répéter la formule : «Monogamy isn’t realistic» («la monogomie n’est pas réaliste»).

Cette scène d’introduction est le flash-back qui nous permet, vingt-trois ans plus tard, d’entrer dans la vie dissolue d’Amy, New-Yorkaise célibataire qui enchaîne les coups d’un soir avec toutes sortes de types avec qui elle ne veut surtout pas s’attarder, même pour une nuit complète (elle ne supporte pas de les entendre respirer dans son cou après l’orgasme). Amy est journaliste dans un magazine masculin, S’Nuff, où les sujets traités sont aussi bien comment se masturber au bureau sans se faire prendre, les enfants célèbres de moins de 6 ans les plus monstrueux, et avec des accroches d’articles du style «You’re not gay, she’s just boring» («Vous n’êtes pas gay, elle est juste chiante»). La rédactrice en chef de ce trou à rat est une sorte de furie sadique, interprétée avec maestria par Tilda Swinton, qui décide d’envoyer Amy sur un sujet sportif alors qu’elle n’y connaît rien et qu’elle déteste le sport. Amy doit faire le portrait d’Aaron (Bill Hader), une jeune chirurgien spécialiste du traitement des pathologies de stars du tennis, du football ou du basket. Pour la première fois, elle vacille dans son écosystème libidinal mais Amy reste convaincue qu’elle ne peut se laisser envahir par les sentiments, gage d’une existence normale et ennuyeuse – dont sa sœur, casée avec un type qui a déjà un fils, et elle-même bientôt enceinte, lui semble l’exemple et le repoussoir.

Etude de mœurs

Judd Apatow a d’abord semblé ne pouvoir s’intéresser qu’aux états d’âmes de mâles trentenaires voyant venir avec angoisse et désenchantement le coup de bambou de la quarantaine, des feux éteints d’une jeunesse qui aura passé trop vite de trop d’indécision et rencontres avortées (40 ans, toujours puceau – En cloque, mode d’emploi…) mais une bascule s’opère en 2013 avec le film 40 ans : mode d’emploi, où il ausculte un couple entre comédie et étude de mœurs et dont l’actrice principale féminine se trouve être son épouse, Leslie Mann. Gagnant en âge, le cinéaste se libère d’un certain nombre des tics, marottes et grigris de l’éternel ado américain névrosé pour aborder de plus amples fictions tourmentées et drôles opérant la synthèse un peu inouïe d’Ingmar Bergman et de Blake Edwards. L’énorme succès, en 2011, de Mes Meilleures Amies, de Paul Feig, avec Christen Wiig, mais aussi, un an plus tard, la série pour HBO Girls, créée et interprétée par Lena Dunham, deux comédies féministes produites par Apatow, préparaient le terrain de ce long métrage intitulé en VO Trainwreck (et «traduit» en Crazy Amy), son premier long métrage dont le personnage principal et le point de vue sur l’action sont féminins, en l’occurrence le prisme dessalé et branque de la coscénariste et star de la série Inside Amy Schumer, diffusée sur Comedy Central (lire ci-contre).

Le film donne pour évident le sex-appeal de l’actrice, qui ne correspond pourtant pas aux canons de beauté en vigueur à Hollywood ou dans les magazines de mode. Elle est trash, elle peut éclater de rire en voyant la taille de la bite d’un amant ( «Tu l’as déjà utilisée ? Tu peux me dire où est enterrée ta dernière maîtresse ?») ou évoquer l’embarras du couple sous l’angle insolite de l’homme qui pourrait tomber, à force de promiscuité, sur un tampon particulièrement usagé qui aurait l’air tout droit sorti d’un bain de sang dans Game of Thrones, elle n’en demeure pas moins toujours séduisante parce que fragile, embêtée d’être embêtante.

Appétit de baise

L’idylle à multiples ressorts et ruptures avec Aaron répond évidemment à une sorte d’apprentissage non tant d’une conjugalité réglo que de la part d’orgueil que l’on consent à sacrifier pour ne pas perdre l’autre. «Don’t judge me, fuckers», dit-elle en voix off au début, et pourtant c’est précisément ce qu’elle ne cesse de faire : juger, et souvent juger pour condamner, railler ou mettre à l’écart. Son appétit de baise, à cet égard, est constamment contrarié par l’inadéquation de ces divers amants à ses tocades sexuelles (elle veut des mots sales, le type, un bodybuilder, dit qu’il va la remplir de carotène et de protéines !). Le gag du début sur l’interdit pratique de la monogamie revient sans cesse comme le legs trop lourd d’un père dysfonctionnel que les sœurs ont placé en maison de retraite.

«Je suis un enfant du divorce, je passe ma vie à recréer une famille, à la souder pour ne pas qu’elle s’écroule», déclarait Apatow pour un portrait dans Libération, en 2013. Cette pulsion familialiste plane sur toute la fin du film et elle vient confirmer les critiques souvent formulées à l’encontre du cinéaste sur sa manière de glisser de l’insolence à la règle, de la singularité excentrique à la norme bien recentrée (hétéro, blanche, moyenne bourgeoise). Crazy Amy ne déroge pas complètement à cette tendance mais il faut de toute façon comprendre la démarche du cinéaste comme un effort dialectique visant à surmonter les contradictions termes à termes entre dissidence hédoniste et stabilité amoureuse, guerre des sexes et recherche d’un point d’accord entre individus. Moins de folie et plus d’amour. Dur choix, probablement.

ParDidier Péron

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