Une bonne cure de jouissance

Published 26/11/2015 in Sexe & genre

«La fonction de l’orgasme», pièce de Constance Larrieu et Didier Girauldon.

Critique

«La Fonction de l’orgasme», joué à la Comédie de Reims, un véritable plaidoyer pour cet ultime stade du plaisir.

Il faut jouir. Toujours. Jouir à n’en plus pouvoir, jouir à n’en plus vouloir, jouir à s’en décrocher la mâchoire. Surtout en ce moment. L’orgasme devrait être un mantra, que l’on répête à l’infini, comme «baobabs» dans la poésie de Michaux : «Orgasmes beaucoup d’orgasmes/ orgasmes/ près, loin, alentour,/ Orgasmes, Orgasmes.» Pour se changer les idées, on est donc allé voir la Fonction de l’orgasme à la Comédie de Reims. Chaque soir, pendant un peu plus d’une heure, l’actrice Constance Larrieu, aux faux airs de Solange te parle, adapte au théâtre le célèbre ouvrage de sexologie de Wilhelm Reich, disciple puis opposant de Freud, juif ayant dû fuir l’Allemagne nazie. 

Dans les années 20, l’Autrichien est l’un des premiers depuis la pruderie de l’époque victorienne à s’intéresser à la question de l’orgasme, pour les femmes, mais aussi pour les hommes. Avec humour souvent mais parfois un peu trop de sérieux dans son tailleur, Constance Larrieu, avec Didier Girauldon à la mise en scène, revient en monologue sur l’importance de l’orgasme. C’est un véritable plaidoyer pour cet ultime stade du plaisir. A travers des selfies vidéo, des ballons, des interviews de spécialistes, sexologues et psychothérapeutes, des chants et des interventions (parfois érotiques), elle énumère les avantages de trouver la jouissance : diminution pour les hommes du risque de cancer de la prostate, meilleure estime de soi, lutte contre l’anxiété, etc. Pas ici de manuel de bonne pratique, de voie obligatoire à suivre pour trouver le point G (ou O) mais une injonction à l’abandon de ses sens, à lutter contre les corsetés moraux de nos sociétés judéo-chrétiennes. 

«La fonction de l’orgasme», pièce de Constance Larrieu et Didier Girauldon. Etienne Girauldon/Myra.

Constance Larrieu rappelle que, pendant longtemps, l’orgasme féminin fut méprisé. Puisqu’il n’y en avait pas besoin pour enfanter, les femmes qui prenaient du plaisir étaient mal vues, perçues comme des Marie-couche-toi-là (c’est parfois encore malheureusement le cas aujourd’hui). Mais elle remet aussi en cause, avec l’aide de Wilhelm Reich et de sexologues, nos certitudes sur le plaisir masculin : non, il n’y a pas que l’éjaculation dans la vie et, même, l’éjaculation n’est pas forcément signe de jouissance.

En fin de spectacle, mettant bout à bout des phrases de la Fonction de l’orgasme, Constance Larrieu, droite et fière, tenant un néon comme Uma Thurman son sabre dans Kill Bill, signe un joli et fort manifeste politique, hymne à l’orgasme, l’amour et la réflexion. Elle scande : «Ni les théories du yoga ou bouddhistes du Nirvana, ni la philosophie hédoniste d’Epicure, ni la renonciation monacale ne caractérisent la santé psychique – au contraire, ce qui la caractérise, c’est l’alternance de la lutte pénible et du bonheur, de l’erreur et de la vérité, de la faute et de la réflexion sur la faute, de la haine rationnelle et de l’amour rationnel – en bref, la pleine vitalité dans toutes les situations possibles de la vie. Le pouvoir de tolérer le déplaisir et la peine sans fuir pour autant, après la désillusion, dans la rigidité, va de pair avec la capacité d’accepter le bonheur et de donner l’amour.»

Et de continuer, un peu après, avec ces phrases qui résonnent étrangement avec l’actualité, en ce temps de tout sécuritaire et d’unanimité de la guerre : «C’est Galilée et non pas Néron, c’est Pasteur et non pas Napoléon, c’est Freud et non pas Hitler qui ont jeté les bases de la technique moderne, lutté contre les épidémies, exploré l’esprit, autrement dit posé des fondations solides pour notre existence. Transférer avec enthousiasme la responsabilité de lui-même à quelque führer ou politicien est devenu l’une des caractéristiques essentielles de l’homme, depuis qu’il n’est plus capable de se comprendre ou de comprendre ses institutions, lesquelles ne font que l’effrayer.» Rire, jouir, aimer, avoir confiance en soi et dans l’autre, ce sont des actions politiques de tous les jours. Il ne faudrait pas l’oublier.

ParQuentin Girard

Print article

Leave a Reply

Please complete required fields