Trois façons de sortir de l’état d’urgence

Published 27/01/2016 in France

La police patrouille à Roissy-Charles-de-Gaulle.

Libertés

Le Conseil d’Etat examinait mardi le recours de la Ligue des droits de l’homme demandant la suspension du régime d’exception. Outre celle ordonnée par la justice, d’autres options sont possibles pour y mettre (plus ou moins) un terme.

Instaurer l’état d’urgence faisait partie des recommandations adressées au gouvernement après les attentats de janvier. Un mémento, intitulé le Jour d’après, a été remis au Premier ministre en juillet. Il précise les procédures à suivre en cas de nouvel attentat d’ampleur. Au soir du 13 Novembre, elles guideront la réaction immédiate du chef de l’Etat. François Hollande instaure l’état d’urgence pour douze jours, puis demande et obtient l’accord du Parlement pour le proroger trois mois.

Mercredi 3 février, le Conseil des ministres adoptera un nouveau texte pour une nouvelle prolongation. Aucune notice pour sortir de l’état d’urgence ne figurait dans les recommandations post-Charlie. Voici trois options pour mettre un terme, plus ou moins définitif, à ce régime d’exception.

Contraint par la justice

Mardi matin, le Conseil d’Etat a entendu la Ligue des droits de l’homme (LDH) défendre la demande de suspension qu’elle a déposée en référé la semaine dernière. Principal point d’attaque pour l’organisation : la condition nécessaire au maintien d’un «tel régime, par essence hautement attentatoire aux libertés fondamentales», n’est plus réunie. La loi cite un «péril imminent», qui est aujourd’hui chassé par «une menace diffuse, un risque permanent qui existera aussi le 26 février [date de fin de la première prorogation, NDLR] et en juin aussi [date de fin probable d’un deuxième prolongement, NDLR]», objecte l’avocat de la LDH, Me Patrice Spinosi.

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Faux, réplique le ministère de l’Intérieur dans son mémoire : «Rien n’est hélas moins vrai. Cette menace terroriste […] demeure à un niveau très alarmant.» Et il énumère les attentats commis à Bamako (Mali), Ouagadougou (Burkina Faso) et Istanbul (Turquie) depuis le 13 Novembre, ainsi que les arrestations pour des «projets terroristes en gestation sur le territoire national» et les diverses attaques commises en France (Barbès, Marseille, etc.). «C’est le même péril qui touche le Mali, la Belgique et la France. Le péril diffus peut frapper à tout moment», a lancé la ‎sous-directrice du Conseil juridique et du contentieux au ministère de l’Intérieur, Pascale Léglise, lors de l’audience.

Autre point d’attaque de la LDH : l’essoufflement des effets de l’état d’urgence. Chiffres du Parlement à l’appui, l’association relève que les perquisitions administratives et les assignations à résidence ont été très majoritairement décidées dans les jours qui ont suivi le 13 Novembre. Peu ces derniers jours. Preuve que sa suspension ne ferait courir aucun risque opérationnel et que son maintien obéit à des considérations politiques. Que nenni, réplique Pascale Léglise : le président de la République peut décider d’en sortir à tout moment. «Il se pose la question tous les matins, croit savoir la juriste, et il a expressément répondu en décidant de le proroger.»

Quant aux cinq enquêtes ouvertes pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, elles ne sauraient à elles seules représenter les résultats tangibles de l’état d’urgence, plaide Léglise, qui met en avant le «détricotement de filières de trafic d’armes de guerre, armes de guerre qui servent à la perpétuation d’actes terroristes». Quand le porte-parole de la CGT-police, Anthony Caillé, présent à la demande de la LDH, affirme que la brigade des stups a réalisé «60% de perquisitions administratives» à Paris et dans la petite couronne, la représentante du ministère de l’Intérieur répond d’abord : «Si j’avais su, je serais venu moi aussi avec mon policier.» Puis rappelle qu’au-delà des enquêtes pour terrorisme, 549 procédures sont en cours. «D’autres mises en examen suivront», assure-t-elle.

Le Conseil d’Etat rendra sa décision mercredi. Il peut décider de suspendre intégralement l’état d’urgence ou simplement certaines mesures (les perquisitions administratives par exemple tout en maintenant les assignations à résidence). Le juge Stirn peut aussi rejeter purement et simplement la requête de l’organisation.

Décision par l’exécutif

Des dispositifs exceptionnels mis en place dès les attentats du 13 Novembre ont déjà été levés. Le centre interministériel de crise, convoqué le soir des attaques, alors que la prise d’otages du Bataclan était encore en cours, a été maintenu jusqu’à la fin de la COP21, pas au-delà. Signe qu’un léger retour à la normale a pu être possible après les attentats.

La LDH craint que l’état d’urgence ne s’installe quant à lui dans la durée, suivant un «effet de cliquet», le même qui a fait de Vigipirate un dispositif sans cesse reconduit et approfondi. L’état d’urgence peut néanmoins être levé à tout moment par le président de la République. Lors de la précédente instauration, à l’automne 2005 dans 25 départements, Jacques Chirac l’avait levé avant son terme. Voté par l’Assemblée pour trois mois fin novembre, il avait pris fin prématurément le 4 janvier 2006.

A l’époque, le Conseil d’Etat avait eu à se prononcer sur une suspension, demandée par 74 universitaires et les VertsIl avait rejeté la requête, reconnaissant une «large marge d’appréciation» du président de la République pour décréter ou maintenir l’état d’urgence en fonction de la menace, rappelle le chercheur Serge Slama, qui faisait partie du collectif d’universitaires. Ceux-ci se sont à nouveau mobilisés. Ils sont 450 à en demander la suspension aujourd’hui.

Sans en sortir vraiment

C’est la solution choisie par le gouvernement, comme l’a confirmé Pascale Léglise devant le Conseil d’Etat. Pour sortir de l’état d’urgence, il faut faire entrer dans le droit les «outils pour lutter contre le terrorisme en police administrative». Par exemple, les assignations à résidence. Le projet de loi antiterroriste, qui devrait être présenté la semaine prochaine en Conseil des ministres, prévoit que les préfets puissent les ordonner aux personnes rentrant de zones de combat (Syrie, Irak, Libye…) ou voulant s’y rendre. Le texte veut aussi élargir le champ des perquisitions judiciaires. 

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En guise de sortie, l’exécutif préfère manifestement une «logique de contamination» de l’état d’urgence sur le droit commun, selon l’expression de Laurence Blisson, du Syndicat de la magistrature (classé à gauche). Une sortie qui ressemble donc furieusement à une pérennisation de mesures d’exceptionnelles.

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