Après le choc, Lunel renoue le dialogue

Published 10/04/2016 in France

Dans le centre de Lunel, le 2 février 2015. Une vingtaine de jeunes sont partis de cette commune pour le jihad en Syrie.

Reportage

Le départ en Syrie d’une quinzaine de personnes a traumatisé cette petite ville de l’Hérault. Qui tente de recréer un lien avec sa jeunesse.

Le cœur de Lunel (Hérault) ressemble à une carte postale. Jouxtant les Arènes, le cours Gabriel-Péri demeure un havre de lumière bordé de platanes centenaires et de cafés-restaurants. En juillet, pendant les fêtes de la Pescalune, les habitants et les touristes y assistent aux lâchers de taureaux dans la vieille ville. Juste derrière, la rue de la Libération est nettement plus déprimante. Cette artère, qui fut jadis la plus commerçante et la plus animée de la ville, a subi de plein fouet les conséquences de l’ouverture de grandes surfaces à la périphérie. Aujourd’hui, on assiste à un alignement de boutiques «à vendre» ou «à louer». Aux étages, au-dessus de ces locaux commerciaux vacants, l’habitat ancien se dégrade. Traces d’humidité sur les murs, façades abîmées, isolation douteuse. Le 27 janvier 2015, à l’aube, les policiers cagoulés du Raid et les gendarmes du GIGN y ont cassé des portes et interpellé plusieurs habitants soupçonnés d’être en lien avec un groupe d’une quinzaine de jeunes Lunellois partis fin 2013 faire le jihad en Syrie. Un chiffre énorme pour une ville d’à peine 26 000 habitants. Six d’entre eux y sont morts moins de six mois après leur arrivée.

Le 7 février 2015, le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, et Myriam El Khomri, alors chargée de la Politique de la ville, ont débarqué à Lunel, promettant argent et effectifs pour rassurer la population sidérée. 5 000 habitants vivent dans ce quartier ancien classé en zone prioritaire : 42 % des habitants ont des revenus en dessous du seuil de pauvreté, 24 % sont de nationalités étrangères, 30 % des actifs sont au chômage. Le niveau de qualification des jeunes est faible. On compte 13 % de familles monoparentales, souvent dépendantes des minima sociaux, ainsi qu’une parentalité précoce.

«Avec du retard». «Pas de déni de réalité» à la mairie dirigée par Claude Arnaud (divers droite).«On essaie de lutter contre le communautarisme et on s’en sort plutôt bien», s’insurge Pierre Sujol, son premier adjoint, «choqué» par la comparaison de sa ville avec Molenbeek. Doté de 2,5 millions d’euros, le contratde la ville devrait permettre de rénover le vieux Lunel, en mixant logement social et accession à la propriété pour attirer «des gens qui payent des impôts», précise Pierre Sujol. Depuis les départs en Syrie, la ville a embauché un éducateur supplémentaire et ouvert un «guichet jeune» axé sur la santé, l’emploi et la formation. Elle a aussi dégagé 10 000 euros de budget pour une vingtaine de formations à la déradicalisation, dispensées en juin dernier. «Ça a permis aux gens de se parler et de savoir vers qui s’orienter s’ils ont un doute sur un jeune», commente Ghislaine Arnoux, adjointe à la jeunesse. «Le communautarisme est seulement visible à la prière du vendredi, à la mosquée située en périphérie. Ça n’a rien de comparable avec ce que j’ai pu observer quand j’étais prof d’histoire en région parisienne ou dans la ZUP de Nîmes», abonde Mickael Pulci, le délégué du préfet à Lunel. «L’Etat, la région et la mairie se sont rendus compte des problèmes avec du retard. Mais, aujourd’hui, tout le monde avance dans le bon sens», ajoute-t-il. «L’électrochoc des départs en Syrie a mis de côté les querelles politiciennes», confirme Philippe Moissonnier, élu PS au conseil municipal. «La mixité existe. Le vrai problème, ce sont les poches de pauvreté dans les quartiers prioritaires du centre-ville et de la Roquette», ajoute-t-il. A Lunel, la gauche socialiste est en difficulté. 35 % des Lunellois ont voté Front national aux dernières régionales, et la déclaration de Patrick Kanner (l’actuel ministre de la Ville) sur Molenbeek, ajoutée au débat sur la déchéance de nationalité, lui «a fait perdre encore un peu plus de monde», déplore Philippe Moissonnier.

«Peur d’être jugées». Rue de la Libération, la Maison citoyenne de la culture a pignon sur rue. «Les départs en Syrie nous ont obligés à nous poser les bonnes questions», livre sa présidente, Anne Simmonet, psychothérapeute. Le soutien scolaire et des groupes de parole réunissent une vingtaine de femmes du quartier, le jeudi après-midi. «Ce sont elles qui éduquent les enfants. Elles avaient peur d’être jugées après les attentats de novembre. Certaines se sont fait prendre à partie dans la rue à cause de leur voile», raconte Anne Simmonet. «Plus visible depuis cinq ans dans les rues de Lunel», ce signe religieux a fait l’objet de l’une des réunions. «Les réponses m’ont surprise. Des jeunes femmes ont dit que c’était leur choix pour exister pleinement, loin de l’idée de soumission que l’on pouvait avoir.»

A deux pas de là, rue Sadi-Carnot, Ulrich, un luthier allemand, a installé son atelier dans un vieil immeuble. «Je n’aurais pas pu acheter un tel espace à Montpellier. Ici, la vie est tranquille.» Il ironise : «Le bled de jihadistes, il faut aller le chercher en Syrie.»

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