Publications scientifiques, on vaut mieux que ça !

Published 28/03/2016 in Société

Un livre en voie de numérisation, à la Bibliothèque nationale de Norvège, à Oslo.

Tribune

Avec la future loi numérique, les chercheurs auront la possibilité de déposer leurs articles dans une archive ouverte, échappant ainsi à la mainmise des éditeurs privés sur leurs travaux.

Le projet de loi pour une République numérique adopté par l’Assemblée nationale, sera prochainement examiné par le Sénat. Son article 17 introduit une nouveauté importante pour les chercheurs. Actuellement, pour publier leurs résultats, ils doivent concéder, sans contrepartie de rémunération, l’exclusivité de leurs droits d’auteur à des éditeurs privés, qui facturent ensuite l’accès à ces articles, souvent fort cher, aux organismes de recherche, aux universités et aux enseignants. Les éditeurs interdisent souvent aux chercheurs de diffuser leur propre production scientifique sur leur site web ou celui de leur établissement : ainsi, le lecteur est obligé de passer par le site de l’éditeur, parfois à un tarif prohibitif.

Avec la nouvelle loi, pareilles clauses léonines seront réputées non écrites. Les auteurs auront alors la possibilité (mais pas l’obligation) de déposer, même après publication en revue, leurs articles dans une archive ouverte telle que HAL, recommandée et gérée par de grands organismes de recherche publique dont le CNRS.

Cette réforme paraît donc de bon sens. Elle suscite pourtant des oppositions, comme celles qui ont été exprimées ici même dans une tribune le 17 mars.

Comme l’écrivent nos collègues dans leur tribune, la production d’une revue scientifique est une tâche exigeante, qui mobilise un large éventail de compétences aussi bien pour expertiser les articles que pour les mettre en forme. Or, le mérite de cette tâche ne revient pas aux éditeurs privés. Si l’éditeur commercial est bien, en droit français, le garant légal d’une publication, et s’il assure la plupart du temps l’impression et la diffusion du document, dans l’écrasante majorité des cas les revues françaises sont dirigées, rédigées, expertisées, mises en forme, toilettées et typographiées par des agents publics (chercheurs, enseignants-chercheurs, personnels techniques) non rémunérés par les éditeurs. Quant aux éditeurs internationaux, quand ils ne laissent pas la mise en page à faire aux auteurs, ils la sous-traitent volontiers dans des pays à bas coûts.

Sans doute faut-il le préciser, HAL et les autres archives ouvertes ne se substituent pas à l’évaluation par les pairs et aux formats de diffusion qui en découlent. L’évaluation de la qualité scientifique d’une recherche est attestée, quoi qu’il arrive, par un comité scientifique formé principalement d’universitaires, et non par un éditeur. Le support – papier ou numérique – n’a pas d’importance. Les derniers travaux sur les ondes gravitationnelles ont ainsi été publiés en Open Access et personne n’a contesté leur qualité. Ce n’est donc pas ce mode de diffusion qui menace les petites maisons d’édition universitaires et leur qualité de publication – la cause est plutôt à chercher du côté d’un oligopole d’éditeurs qui tire un profit maximum du fait que laboratoires scientifiques et chercheurs sont évalués en fonction des revues ou des maisons d’édition où ils publient leurs résultats.

C’est pourquoi nous ne comprenons guère l’argument déclarant que la diffusion sur des archives publiques gérées par des organismes comme le CNRS profite à des «grandes compagnies ultralibérales comme Google» coupables de «pillage». Si les lettres et sciences humaines et sociales, et plus généralement l’ensemble de la recherche scientifique sont menacées, ce n’est pas tant par Internet, Google ou Facebook, que par le faible espace qui leur est laissé par la bureaucratie, le manque de moyens et les injonctions contradictoires des pouvoirs publics.

Nous appelons donc chacun à garder à l’esprit que c’est en encourageant la diffusion de la connaissance scientifique qu’on sert le mieux l’intérêt général. Un tel objectif ne se confond pas avec les intérêts particuliers de tel ou tel éditeur. Ne nous trompons pas de combat.

Anne Baillot, langue et littérature germanique, experte en techniques numériques pour les sciences humaines, centre Marc Bloch & Inria, Managing Editor du Journal of the Text Encoding Initiative.

Florian Barrière, maître de conférences à l’Université Grenoble Alpes, langue et littérature latines.

Grégoire Besse, doctorant à l’université de Nantes, physique.

Catherine T. Bolly, chercheuse à l’Université de Cologne, linguistique.

Laurent Capron, ingénieur d’études au CNRS, philologie grecque et sémitique, information scientifique.

Frédéric Clavert, maître-assistant à l’université de Lausanne, histoire.

Camille Coti, maître de conférences à l’université Paris-XIII, informatique.

François-Xavier Coudert, chargé de recherche au CNRS, chimie.

Antonin Delpeuch, étudiant à l’École normale supérieure (Paris), informatique.

Jean-Pierre Demailly, professeur des universités à l’université Grenoble Alpes, mathématiques, membre de l’Académie des sciences.

Mai-Linh Doan, maître de conférences à l’université Grenoble Alpes, géophysique.

Suzanne Dumouchel, chercheuse à l’Institut historique allemand de Paris, littérature française, SIC & Humanités Numériques.

Pauline Duchêne, maîtresse de conférences à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense, langue et littérature latines.

Benjamin Fagard, chargé de recherche au CNRS, linguistique, rédacteur en chef de la Revue Discours.

Virginie Gautron, maître de conférences à l’université de Nantes, droit privé.

Julie Giovacchini, ingénieure de recherche au CNRS, philologie, analyse de sources et information scientifique.

Joël Gombin, doctorant, science politique.

Sébastien Grignon, ingénieur de recherche au CNRS, histoire des religions, analyse de sources et information scientifique.

Myriam Houssay-Holzschuch, professeure des universités à l’université Grenoble Alpes, géographie.

Nathalie Jas, chargée de recherche à l’INRA, histoire et sociologie.

Sylvie Kleiman-Lafon, maître de conférences à l’université Paris-8, littérature anglaise.

Claire Lemercier, directrice de recherche au CNRS, histoire.

Frédérique Lerbet-Sereni, professeure des universités à l’université de Pau et des pays de l’Adour, sciences de l’éducation, directrice de La Recherche en Education.

Rémi Mathis, conservateur des bibliothèques, enseignant à l’Ecole nationale des chartes et à l’Ecole du Louvre.

David Monniaux, directeur de recherche au CNRS, informatique.

Caroline Muller, professeure agrégée à l’université de Reims Champagne Ardenne, histoire.

Hervé Pajot, professeur des universités à l’université Grenoble Alpes, mathématiques, rédacteur en chef des Annales de l’Institut Fourier.

Catherine Psilakis, professeure agrégée à l’université Lyon-I, lettres classiques.

Francisco Roa Bastos, enseignant-chercheur vacataire, docteur en science politique.

Emilien Ruiz, maître de conférences à l’université Lille-3, histoire.

Charlotte Truchet, maître de conférences à l’université de Nantes, informatique.

Romain Vanel, assistant ingénieur au CNRS, enseignant en sciences humaines à l’université Grenoble Alpes.

Le comité de rédaction de Tracés, revue de sciences humaines.

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