En Bresse du Nord, «c’est nous qui ne payons plus le patron»

Published 15/05/2016 in France

Gilles Perdrier et Daniel Cornibert, secrétaire de la section PS de Bresse du Nord, le 13 mai 2016.

Reportage

Démoralisés par la loi El Khomri, les militants d’une section de Saône-et-Loire, dans le fief d’Arnaud Montebourg, ont décidé de rompre leurs relations avec l’état-major parisien.

Quand Daniel Cornibert parle politique, ses yeux bleus disparaissent dans un plissement de malice. A ses côtés, Gilles Perdrier, plus de vingt ans au PS, opine gravement. La presse locale les a surnommés «les mutins». Un dessin les a même représentés vent debout sur un radeau, habillés en marinière. Prof retraité, Daniel Cornibert est le responsable de la section socialiste de Bresse du Nord (Saône-et-Loire), qui réunit depuis 2015 celles de Pierre-de-Bresse et de Frangy-en-Bresse, le fief d’Arnaud Montebourg. Un territoire rural de 2 600 habitants qu’anime une soixantaine de militants.

Depuis fin mars, ils ont décidé de se mettre «en congé» de leur parti. Comme des grévistes, «sauf que là, c’est nous qui ne payons plus le patron», dit Daniel Cornibert. La cotisation annuelle due au siège national du PS n’a pas été reversée. Plus personne, par ailleurs, ne va chercher les tracts envoyés par Paris. Les communications sont également filtrées : «Je transmets tous les mails qui viennent de la gauche du parti, de Gérard Filoche, de Christian Paul, du mouvement A gauche pour gagner[né avec la “motion B” déposée en 2015 à l’occasion du congrès de Poitiers, ndlr], mais pas ceux de Solférino», explique Daniel Cornibert.

«Hémorragie». Hors de question de «faire le SAV» d’un gouvernement dont ils n’attendent plus rien, renchérit Denis Lamard, conseiller régional de Bourgogne-Franche-Comté. Ancien directeur de cabinet d’Arnaud Montebourg, ce dernier est aussi président de la Fête de la rose de Frangy, la traditionnelle tribune de l’ex-ministre de l’Economie et du Redressement productif. «Jusque-là, on pensait que ce mandat était encore “sauvable”, estime Denis Lamard. Mais la loi travail a mis le feu aux poudres.» C’est devenu «une cerise empoisonnée sur un gâteau déjà bien pourri», s’esclaffe Cornibert. Ils citent pêle-mêle une série de «reculades» et de «renoncements», l’absence de réforme des institutions ou encore de «révolution fiscale». Sans parler du débat sur la déchéance de nationalité, «grandiose», lâche le patron de la section bressane, amer.

Gilles Perdrier  et Daniel Cornibert, secrétaire de la section PS de Bresse du Nord . Pierre de Bresse, 13 mai 2016.

Photo Hugo Ribes. Item pour Libération

En janvier, quand les militants de la section se sont réunis pour la galette des rois, l’un d’eux a posé la question qui fâche : qui reprendra sa carte en 2016 ? Seules trois mains se sont levées. «Depuis 2012, on assiste à une hémorragie très importante», déplore le responsable de la section. L’an dernier, elle comptait une soixantaine d’encartés. Fin mars, ils votaient la «mise en congé» à l’unanimité. «De vieux militants voulaient jeter l’éponge. On les a rattrapés comme ça. Et des gens qu’on voyait rarement depuis deux ans sont même venus déposer des chèques, qui sont bloqués en attendant», explique Cornibert, qui ne digère pas d’avoir été «taxé de ferment de désunion». Ils plaident au contraire une «mesure de sauvegarde» : «La maison socialiste est la nôtre, explique Lamard. Seulement, en ce moment, elle est occupée par des cousins lointains. Alors on prend des vacances.»

Terrain. Bien que la fédération de Saône-et-Loire soit acquise à la «motion B», la rébellion de la Bresse du Nord n’a pas fait tache d’huile. Mais des sections voisines ne seraient pas loin de franchir le pas, assure Daniel Cornibert. Jeudi 12 mai, l’assemblée générale de la circonscription se tenait à Chalon-sur-Saône. Sur 33 présents, 14 étaient… des grévistes. «On y va quand même pour défendre notre point de vue, se justifie Daniel Cornibert. Et après ce qu’il vient de se passer, dit-il au sujet du recours au 49.3, on y va plutôt la tête haute.» Particulièrement en verve contre «Valls le caudillo» et «le petit Macron», il se défend de déserter l’échelon local. Les militants continuent de se réunir de manière informelle, échangent par mails et via Facebook. Lundi matin, ils seront au marché, les mains vides. Qu’importe : «Nos têtes sont connues, le tam-tam fonctionne ici.»

«J’ai 60 personnes prêtes à s’y remettre, à se bagarrer sur le terrain», prévient Daniel Cornibert. Mais ce sera pour Montebourg ou rien. Gilles Perdrier sort de son silence : «En 2011, Arnaud est arrivé troisième à la primaire, personne ne l’attendait, il a surgi.» Ce lundi, au sommet du mont Beuvray (lire encadré), il marchera en tête, croit savoir Cornibert : «C’est organisé pour qu’il y ait un appel et il y répondra, c’est ma conviction.» «Sa candidature est providentielle, estime en écho Denis Lamard. Evidemment, je préférerais qu’il y ait une primaire, surtout face à celle de la droite qui, je pense, sera désastreuse…» Pour la Fête de la rose de Frangy, la section socialiste bressane fait embouteiller chaque année un petit chardonnay du coin. En 2014, il avait été baptisé la cuvée du redressement. Pour 2017, les mutins se verraient bien servir la cuvée présidentielle.

 Photo Hugo Ribes. Item pour Libération

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