Les détails du divorce, une autre paire de Manche

Published 24/06/2016 in Planète

A Londres, le 24 mai.

Brexit

Quand la séparation aura-t-elle lieu ? Selon quelles modalités ? Quel statut pour Londres après son départ de l’Union ? Paris et Berlin penchent pour une rupture douloureuse afin de décourager leurs populismes.

Le général de Gaulle a posé deux fois son veto à l’adhésion de la Grande-Bretagne à la CEE, en 1963 et en 1967. Il estimait qu’il valait mieux lui proposer un «accord d’association» purement commercial. Son avertissement, lancé le 27 novembre 1967, prend des allures prémonitoires : «Faire entrer l’Angleterre», ce serait «donner d’avance [notre] consentement à tous les artifices, délais et faux-semblants qui tendraient à dissimuler la destruction d’un édifice qui a été bâti au prix de tant de peine et au milieu de tant d’espoir.» L’Europe en est là : elle doit éviter que le départ fracassant du Royaume-Uni ne fasse s’effondrer l’Union et gérer le divorce sans casse. La séparation ne se faisant pas par consentement mutuel, on risque d’assister à quelques belles bagarres.

Quand les négociations de rupture vont-elles débuter ?

L’article 50 du traité européen, entré en vigueur en décembre 2009, prévoit qu’un Etat qui veut quitter l’Union «notifie son intention» au Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement. A partir de là, les Etats membres ont deux ans pour parvenir à «un accord fixant les modalités de son retrait, en tenant compte du cadre de ses relations futures avec l’Union». Faute d’accord, les traités cessent purement et simplement de s’appliquer à ce pays, sauf si la période de négociation est prolongée à l’unanimité des Etats membres. Il ne dit absolument rien d’autre. Profitant de ce flou juridique, David Cameron, le Premier ministre britannique, a d’ores et déjà annoncé qu’il ne déposera aucune demande lors du sommet de mardi et mercredi. Il laissera ce soin à son successeur, sans doute Boris Johnson. Mais même là, rien n’est certain : Londres pourrait faire indéfiniment durer le plaisir afin d’essayer de négocier avec chaque capitale européenne le meilleur des arrangements possibles, partant du principe qu’il est plus facile de parler avec une Union divisée qu’unie. Pour Guy Verhofstadt, le patron du groupe libéral au Parlement européen, il faut absolument éviter de tomber dans ce piège : «Il faut obliger le Royaume-Uni à déposer sa demande le plus vite possible.» «Je voudrais que pour tout le monde il soit très clair, évident, nécessaire, que le processus d’incertitudes dans lequel nous sommes entrés ne dure pas trop longtemps. Il faut accélérer les choses», a plaidé de son côté Jean-Claude Juncker, le président de la Commission. Avec Donald Tusk, le président du Conseil européen, et Martin Schulz, le président du Parlement européen, il a demandé «que le gouvernement du Royaume-Uni rende effective cette décision du peuple britannique dès que possible».

Comment vont se dérouler les discussions ?

Là aussi, l’article 50 est silencieux : seront-elles menées par le Polonais Donald Tusk, le président du Conseil européen, qui craint qu’un Brexit «marque le début de la destruction de l’Union européenne, mais aussi de la civilisation occidentale», la Commission ou par des représentants des trois institutions (Parlement, Conseil, Commission) ? Le choix que feront les chefs d’Etat et de gouvernement ne sera évidemment pas neutre sur la façon dont les Vingt-Sept (qui se réuniront mardi pendant quelques heures sans le Royaume-Uni) envisagent la suite des négociations. En effet, deux questions différentes se posent : les conditions de la rupture elle-même, et le futur statut qui liera Londres à l’Union. La tentation des plus anglophiles – en réalité ceux qui réalisent une partie non négligeable de leurs échanges avec le Royaume-Uni – sera de rendre la sortie la moins douloureuse possible en évitant un vide entre la fin de l’application des traités européens et l’accès au marché unique que veulent obtenir les Britanniques pour continuer à exporter leurs biens et leurs services. Le problème est qu’un tel schéma va se heurter aux impératifs de politique intérieure de plusieurs Etats membres, dont l’Allemagne, la France ou encore l’Italie. Si la rupture se passe sans aucune conséquence économique pour le Royaume-Uni, cela fournira des arguments aux populistes locaux pour réclamer à leur tour un référendum de sortie. Même si la situation de la zone euro est spécifique, puisqu’il faudrait alors abandonner la monnaie unique, le FN ou Alternativ für Deutschland (AfD) ne se gêneront pour invoquer le caractère indolore d’une séparation amiable. C’est pourquoi tant Angela Merkel, la chancelière allemande, que François Hollande ont clamé en chœur : «Dehors, c’est dehors.» «Quand c’est non, c’est non, et il n’y a pas de statut intermédiaire», a martelé le chef de l’Etat français jeudi. Autrement dit, plusieurs batailles vont se dérouler en même temps : l’une avec Londres pour l’obliger à déposer sa demande, l’autre entre Européens pour déterminer s’ils utilisent la méthode douce ou la méthode brutale.

Quel statut pour le Royaume-Uni ?

En réalité, il est fort probable que le Royaume-Uni soit simplement traité comme un pays tiers, sans accès privilégié au marché unique. Non pas du fait des Européens, qui seront demandeurs d’une relation renforcée pour des raisons commerciales et financières, mais du fait de Londres, qui ne pourra sans doute faire aucune concession qui s’apparentera à un abandon de souveraineté. Ainsi, il est hors de question que le pays intègre l’Espace économique européen comme la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein : toute la législation concernant le marché unique continuerait à lui être applicable, y compris la libre circulation, le droit de l’environnement ou la politique sociale, sans qu’elle ait son mot à dire. Pis, il devrait contribuer au budget communautaire : sa contribution, par rapport à son niveau actuel, ne diminuerait que de 9 %. Un statut à la suisse, qui a négocié 120 accords bilatéraux avec l’Union, se heurterait aux mêmes obstacles : outre que les services financiers en seraient exclus, cela l’obligerait à accepter la libre circulation et elle devrait contribuer au budget européen (mais avec une diminution de 55 % de sa contribution). Entrer dans l’union douanière, comme l’a fait la Turquie, ne serait pas très intéressant, puisque, là aussi, les services financiers ne sont pas concernés. Enfin, il y aurait la possibilité de conclure un simple accord de libre-échange avec l’Union. Mais, comme dans les cas précédents, Londres n’aurait qu’un accès très partiel au marché unique et elle serait obligé de respecter l’ensemble des normes européennes, celles-là mêmes que les europhobes britanniques ont dénoncées pendant la campagne. Bref, trouver un statut ad hoc va prendre du temps, énormément de temps et pendant ce temps-là, le Royaume-Uni n’aura qu’un accès limité au marché unique. Et son commerce va souffrir : l’UE a conclu 200 accords de libre-échange que Londres va devoir renégocier pour son propre compte. Et il ne sera pas en position de force.

Comment consolider l’Union européenne ?

C’est sans doute l’enjeu le plus important : le départ de Londres souligne les insuffisances de l’intégration communautaire, son caractère inachevé, l’insatisfaction qu’elle suscite dans les opinions publiques, souvent pour des raisons opposées. Ainsi, si les Français la jugent ultralibérale, les Anglais l’estiment trop réglementaire. Il faut donc remettre l’ouvrage sur la table et seul le couple franco-allemand, pour l’instant en coma profond, peut le faire, en s’appuyant sur les autres pays fondateurs. Jean-Claude Juncker attend de Paris et de Berlin «des prises de positions très claires», comme il l’a dit hier, et Paris affirme y travailler d’arrache-pied depuis… quatre ans. Sauf surprise, cela ne devrait pas être pour le sommet de mardi : «On va dans un premier temps essayer de limiter l’onde de choc», dit-on à Paris. Le second temps sera celui de la relance, mais pas avant les échéances électorales franco-allemandes de 2017.

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