Nice : WikiLeaks et les limites de l’information

Published 15/07/2016 in Futurs

Des soutiens de WikiLeaks, en février 2011 à Londres.

Polémique

En partageant une vidéo particulièrement choquante tournée juste après l’attaque sur son compte Twitter officiel, l’organisation de Julian Assange s’est attirée de très vives critiques.

C’est une vidéo de 46 secondes, filmée hier soir sur la promenade des Anglais à Nice, après l’attaque du camion qui a foncé sur des spectateurs assistant au feu d’artifice, faisant 84 morts et une cinquantaine de blessés en urgence absolue. Des corps inertes, désarticulés, des rigoles de sang, des personnes qui portent secours à des blessés, des cris, des pleurs. Le compte Twitter officiel de WikiLeaks l’a postée hier soir, assortie de la mention «choquant» («graphic»), à deux reprises, comme l’a signalé Olivier Tesquet, journaliste à Télérama.

Une première fois avec un lien vers YouTube – la vidéo a été, depuis, retirée par la plateforme, mais y a été repostée par d’autres utilisateurs. Une seconde fois à partir de la version, pour l’heure toujours disponible, publiée sur Twitter à 23h52 par un site britannique, News This Second, qui indique à Libération avoir reçu les images d’un «ami en France». Une heure plus tard, le même site tweetait une déclaration pour justifier cette mise en ligne : selon eux, «les vidéos et les images aident [leur] public à comprendre ce qui s’est passé, d’une façon que les mots ne permettent pas».

«Des vidéos horribles qui n’ont aucune valeur informative»

La mise en circulation de ces images, particulièrement choquantes, a en effet été très vivement critiquée sur le réseau social. Le compte Twitter de WikiLeaks, qui compte plus de trois millions d’abonnés, l’a d’abord justifiée dans une tonalité pour le moins paranoïaque : à un utilisateur qui se disait «à peu près sûr que la police française a demandé aux gens de ne pas partager ces vidéos par respect» pour les victimes, il a ainsi répondu qu’il pouvait aussi s’agir d’une «tentative d’éviter l’indignation publique sur les défaillances policières et politiques qui ont mené à cette attaque».

Olivier Tesquet, qui faisait valoir qu’«on peut critiquer l’état d’urgence sans renvoyer vers des vidéos horribles qui n’ont aucune valeur informative», et pointait les conséquences pour l’entourage des victimes, s’est pour sa part vu rétorquer que cette vidéo poserait d’abord problème «à ceux qui, à droite comme à gauche, veulent balayer sous le tapis la réalité du terrorisme».

Information «sans filtre»

Pour documenter la réalité, peut-on, faut-il tout montrer ? En la matière, le projet de transparence radicale de Julian Assange a certes toujours procédé d’une vision de l’information «sans filtre». «WikiLeaks continue le travail commencé il y a dix ans : archiver le politique sous toutes ses formes et dans toute sa nudité», estime sur Twitter Juan Branco, conseiller juridique d’Assange en France. Olivier Tesquet, lui, juge sévèrement l’impact d’une telle publication : «Cela recoupe, malheureusement, la “fachosphère” qui plaide pour la diffusion de ce genre de vidéos, en disant qu’on publie bien les images du petit Aylan ou celles des bavures policières aux Etats-Unis, et qui relaie ces images au nom d’un prétendu devoir de vérité.»

La question se pose d’autant plus crûment que sur Twitter, la fonctionnalité de lecture automatique par défaut des vidéos expose nombre d’utilisateurs à des images qu’ils n’ont pas sollicitées. A l’heure de la viralité et du quasi-temps réel, c’est bien sur l’effet de telles images sur le public, et sur les limites éthiques de ce qui a valeur d’information, que WikiLeaks est interpellé.

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