SAIP, l’appli d’alerte aux attentats qui ne se presse pas

Published 15/07/2016 in Futurs

Capture d’écran de l’application SAIP, le 14 juillet.

Attaque à Nice

Jeudi soir, l’application développée par le gouvernement est restée muette durant plus de deux heures. Déjà critiquée à sa sortie, elle s’est révélée inutile face à la réactivité des réseaux sociaux.

Mise à jour : L’article a été actualisé à 18 heures avec les raison de la défaillance de l’application SAIP et une réaction au ministère de l’Intérieur.

L’application gouvernementale a été pensée et conçue spécifiquement pour les situations de crise comme celle qui a touché Nice jeudi soir. Nommée SAIP pour «Système d’alerte et d’information des populations», elle doit prévenir les citoyens l’ayant installée sur leur smartphone qu’un danger lié à un attentat les menace, selon leur géolocalisation ou les codes postaux de communes qu’ils ont préenregistrés. Elle est également censée leur donner les premières informations sur l’événement en cours, des consignes de sécurité et des conseils sur le comportement à adopter. Pourquoi, alors, SAIP est-elle restée muette jeudi soir, quand les Niçois sombraient dans la terreur et la panique après l’irruption d’un camion tueur sur la promenade des Anglais ?

«Aucun incident en cours»

L’attaque s’est produite un peu avant 23 heures ce 14 juillet, et les premières informations sont venues des personnes présentes sur place ainsi que du journal local Nice-Matin. Tandis que sur SAIP, un écran d’un vert très zen n’annonçait «aucun incident en cours» à Nice. A 23h20, l’adjoint au maire Christian Estrosi a conseillé aux Niçois de «rester à [leur] domicile», suivi peu après par la préfecture du Var.

Les consignes se sont ensuite enchaînées durant toute la nuit. La Gendarmerie nationale demandait de ne pas gêner les opérations policières et d’éviter le centre-ville. La mairie rappelait aux passants égarés qu’un mouvement de solidarité permettait de se réfugier chez des riverains et suggérait à tous d’exploiter la fonctionnalité «Safety Check» de Facebook pour donner des nouvelles rassurantes. Le ministère de l’Intérieur recommandait de ne pas encombrer le réseau téléphonique pour ne pas gêner les secours. Et sur l’application SAIP, toujours «aucun incident en cours».

Protocole trop complexe ou problème technique ?

Son silence a choqué et agacé beaucoup d’internautes durant la nuit, qui partageaient, dépités, des captures d’écran de ce logiciel inutile sur lequel ils pensaient pouvoir compter. Après sa sortie le 8 juin 2016, ce sont des centaines de milliers d’internautes, peut-être des millions, qui l’ont téléchargé sur Android et sur iPhone. Le ministère de l’Intérieur et le Service d’information du gouvernement (SIG), qui ont conçu le logiciel, promettaient à l’époque une réactivité de l’ordre de quinze minutes. Mais cette nuit, il a fallu attendre 1h34 du matin avant que SAIP ne daigne annoncer qu’il se passait quelque chose à Nice.

Que s’est-il passé ? A la préfecture des Alpes-Maritimes, le protocole d’alerte a pourtant bien été activé dès 23h ce jeudi soir, nous explique-t-on au ministère de l’Intérieur. Le centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (Cogic) a envoyé son message comme prévu sur les serveurs de SAIP, hébergés par la société parisienne Deveryware, qui a développé l’application. Mais le serveur s’est montré défaillant. Une «faille technique» qui a retenu l’alerte à Paris au lieu de la transmettre sur les smartphones niçois.

Cette faille n’aurait jamais dû se produire. Si le serveur était incapable de réagir comme on le lui demandait, pourquoi ne s’en est-on pas rendu compte plus tôt ? Y a-t-il eu une simulation de crise grandeur nature pour expérimenter la situation et identifier les faiblesses du protocole ?

Les responsables de Deveryware ont été convoqués au ministère de l’Intérieur vendredi après-midi pour un remontage de bretelles en règle. Ils se sont «engagés à trouver une solution» pour éviter toute défaillance future.

Facebook et Twitter prennent le relais

SAIP était déjà lourdement critiquée à sa sortie pour son caractère intrusif (la géolocalisation permanente remontant les données au gouvernement), son public trop restreint (seuls les possesseurs d’iPhone ou d’Android sont concernés), sa fragilité quand les réseaux sont saturés (l’appli passe par la 3G ou la 4G, donc sera dans les choux en cas d’affluence)… Gaël Musquet, hacker spécialiste de la gestion de crise numérique, expliquait dans Libération qu’une meilleure solution serait d’activer le protocole de diffusion cellulaire, comme le font de nombreux pays européens, pour alerter tous les possesseurs de téléphone portable présents dans une région sans passer une appli ni même connaître leur numéro de téléphone, et ceci sans risque de saturation.

Simulation d’une alerte en diffusion cellulaire sur Android.

Car jeudi soir, c’est sur les réseaux sociaux qu’il fallait naviguer pour avoir des infos et des consignes rapides. Le Visov, une association de volontaires pour la diffusion de l’info numérique en cas d’urgence, est depuis hier d’une réactivité redoutable.

Et les autorités – police, gendarmerie, préfecture, mairie, ministères – avaient le réflexe Twitter et Facebook bien rodé, compensant largement la défaillance de SAIP. Ils ont inondé les réseaux sociaux d’informations toute la nuit. L’application SAIP «n’a pas vocation à remplacer le reste des moyens de communication», rappelle-t-on au ministère de l’Intérieur : il s’agit seulement «d’ajouter une pierre à l’édifice». Et la gestion de la crise niçoise sur le web reste considérée au gouvernement comme réussie : grâce à une «super bonne coordination avec les opérateurs des réseaux sociaux», Twitter, Facebook et Google ont été prévenus de l’attaque à Nice et on pu dégainer leurs dispositifs d’urgence. Facebook son «safety check» pour se signaler en sécurité, Google des messages sur Google Now… Alors que le 13 novembre 2015, les réseaux sociaux avaient dû prendre l’initative eux-mêmes en entendant l’écho des attentats.

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