EDF va lancer le chantier pharaonique d’Hinkley Point, l’AMF enquête

Published 21/07/2016 in Futurs

Des hommes en gris chez EDF

Electrique

Des enquêteurs de l’Autorité des marchés financiers ont fait une visite surprise jeudi au siège de l’électricien. L’AMF enquête sur la sincérité de la communication financière d’EDF depuis 2013. Le groupe va pourtant lancer le chantier pharaonique des EPR d’Hinkley Point qui lui coûtera 14 milliards d’euros.

Mais que cherchaient donc les hommes en gris de l’Autorité des marchés financiers (AMF) au siège d’EDF, avenue de Wagram à Paris ? D’après nos confrères du Monde, trois enquêteurs missionnés par le gendarme de la Bourse ont fait une descente surprise ce jeudi matin dans le bureau de Pierre Todorov, le secrétaire général du groupe. Selon des témoins, il se seraient fait remettre plusieurs documents relatifs à la communication financière de l’électricien depuis 2013. Selon une source proche du dossier citée par l’AFP, les enquêteurs ont présenté un mandat et demandé «des pièces, des informations, des dates, des comptes rendus» concernant notamment le coûteux projet d’Hinkley Point, en Grande-Bretagne. Si ce n’est pas une perquisition, cela y ressemble fort.

On a appris à cette occasion que l’AMF avait ouvert récemment une enquête à l’encontre d’EDF, estimant manifestement que la direction du groupe avait peut-être sous-estimé les risques liés au projet de construction de deux EPR à Hinkley Point, dans son information financière. Un chantier estimé à 18 milliards de livres (21 milliards d’euros), dont 66 % à la charge d’EDF. L’autorité financière s’étonne aussi de la manière dont le montant du programme de rénovation de l’ensemble des centrales nucléaires, le «grand carénage» selon le jargon de l’électricien, évalué dans un premier temps à 55 milliards d’euros, a été revu à la baisse à quelque 50 milliards d’euros. L’enquête concerne la période allant de 2013 jusqu’à aujourd’hui et couvre «donc la présidence actuelle et la précédente», soit celles du PDG actuel Jean-Bernard Lévy et de son prédécesseur Henri Proglio.

Situation pas si «under-control»…

L’action EDF a en effet perdu 45 % de sa valeur depuis trois ans, provoquant la sortie du CAC 40 de l’entreprise détenue à 84 % par l’Etat français. Et le départ surprise, début mars, du directeur financier d’EDF, Thomas Piquemal, a jeté le doute sur la santé financière du groupe : en désaccord stratégique avec le PDG d’EDF Jean-Bernard Lévy, Thomas Piquemal avait notamment expliqué sa démission par son opposition au lancement du projet Hinkley Point, trop risqué à ses yeux au vu des finances de l’entreprise… L’Etat actionnaire, qui a réaffirmé son soutien à ce grand chantier nucléaire franco-britannique, a récemment accepté de recapitaliser EDF à hauteur de 3 milliards d’euros. Comme quoi la situation financière de l’entreprise, par ailleurs endettée à hauteur de 37 milliards d’euros, n’était peut-être pas si «under-control» que la direction d’EDF voulait bien le dire ces derniers mois…

Les infractions boursières liées à l’information financière peuvent être de plusieurs natures : par exemple mauvaise communication ou fausse information, cette dernière constituant le cas le plus grave évidemment. Mais rien n’indique à ce stade qu’EDF ait menti sur ses chiffres au marché. Au terme de son enquête, l’AMF pourrait retenir ou non des «griefs» et les notifier à l’entreprise et l’affaire pourrait déboucher sur une procédure de sanction.

Le rôle de l’Etat en question

Une situation pour le moins inédite qui verrait l’Etat actionnaire potentiellement complice des faits. Pas moins de quatre représentants de la puissance publique siègent en effet au conseil d’administration d’EDF : Marie-Christine Lepetit, cheffe du service de l’Inspection générale des finances, Martin Vial, commissaire aux participations de l’Etat, Virginie Schwarz, commissaire du Gouvernement, et Bruno Rossi, chef de la mission de contrôle général économique et financier de l’Etat. Il serait difficile de croire que ces hauts fonctionnaires n’ont rien vu ni entendu si d’aventure on apprenait à l’issue de l’enquête de l’AMF que les dirigeants d’EDF ont un peu enjolivé la réalité comptable et financière du géant français de l’électricité.

Cette mauvaise nouvelle n’a pas empêché EDF d’annoncer que son conseil d’administration se réunirait jeudi 28 juillet en vue d’approuver «la décision finale d’investissement» pour la construction des deux réacteurs EPR d’Hinkley Point, à Bridgwater dans le Somerset, par sa filiale britannique EDF Energy. Cette annonce fait suite à une rencontre au sommet, jeudi, entre le président français François Hollande et la nouvelle première ministre britannique Theresa May, qui ont donné leur feu vert au projet. La part d’investissement de l’électricien français, qui est actionnaire à 66 % du projet, sera de 12 milliards de livres (14,3 milliards d’euros) et celle de son partenaire chinois CGN de 6 milliards de livres. La construction doit commencer en 2019 pour une livraison prévue en 2025. Soutenue au plus haut niveau de l’Etat, la direction d’EDF passe ainsi outre l’avis du comité d’entreprise d’EDF «réputé rendu» alors que l’instance s’inquiète du coût vertigineux du projet et a intenté une action en justice contre l’électricien pour obtenir des informations supplémentaires.

Les syndicats vent debout

Hinkley Point est censé créer 25000 emplois, dont 4000 en France, durant toute la durée du chantier. Une bouffée d’air pour la filière française du nucléaire en pleine déroute, avec la quasi-faillite et le démantèlement d’Areva au profit d’EDF. «HPC (pour Hinkley Point C) représente un atout unique pour l’industrie française puisqu’il bénéficierait à l’ensemble de la filière nucléaire et aux emplois de grandes entreprises et PME du secteur», insiste ainsi EDF.Mais les précédents chantiers de l’EPR, à Olkiluoto en Finlande, et à Flamanville en France, ne se sont pas passés exactement comme prévu, cumulant des années de retards, de malfaçons et des milliards d’euros de coûts supplémentaires. De quoi nourrir l’inquiétude d’une partie des cadres et syndicats d’EDF et la suspicion de l’AMF sur des objectifs industriels et financiers peut-être trop optimistes.

Dans un communiqué diffusé ce vendredi, la CGT Energie dénonce une nouvelle fois un «passage en force» de la direction d’EDF et une «décision totalement incompréhensible»: «prétendre qu’une décision précipitée sur Hinkley Point va sauver la filière nucléaire est une vaste escroquerie intellectuelle et une faute politique». Majoritaire chez EDF, la FNME-GCT, mais aussi FO et la CGC continuent à demander le report du projet. Pour l’intersyndicale, «la priorité de la filière est le grand carénage dont le financement est mis en risque par le montage financier d’Hinkley Point»

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