Y aura-t-il encore un pilote dans le bus?

Published 29/07/2016 in Futurs

Le 23 juin, à Sion, le bus sans chauffeur a roulé à l’incroyable vitesse de 6 km /h. A titre de comparaison, un lapin nain lancé à pleine vitesse atteint les 38 km/h.

Volant

Créée par une start-up française, une navette sans chauffeur s’est baladée, le temps d’un test, à Sion, en Suisse. Ce type de transports collectifs autonomes intéresse jusqu’à la RATP.

La petite navette jaune marque un arrêt. La ruelle dans laquelle elle doit s’engager mesure 2,40 mètres de large. Ça va être serré : le véhicule affiche 2,05 mètres de roue à roue. «Il y a juste la place pour une pomme à gauche et une pomme à droite», rigole un des présentateurs de l’expérimentation. La manœuvre n’a en effet rien de banal : le minibus est autonome, sans chauffeur, avec une dizaine de passagers à bord qui observent, en silence. Il redémarre lentement, frôle les bâtisses et passe l’obstacle sans érafler les vieux murs. Valère, c’est son nom, termine son parcours d’1,5 kilomètre dans le vieux Sion, commune suisse du canton de Valais qui teste en grandeur nature un service de transport en commun hors du commun.

«Bienvenue à Sion, bienvenue dans le futur», fanfaronnait le 23 juin le directeur de Carpostal. Le principal transporteur par autocar en Suisse inaugurait alors ses deux navettes électriques, petites merveilles pilotées par un algorithme, blindées de capteurs à l’avant et à l’arrière, prêtes à s’élancer dans les allées piétonnes et à se mêler à la circulation routière. Elles savent rouler toutes seules, traverser un rond-point, connaissent les règles de priorité, freinent au moindre obstacle et s’arrêtent automatiquement aux huit stations prévues sur le parcours. Une première mondiale, assure le constructeur français Navya, papa de Valère et Tourbillon, son alter ego. Cet essai illustre surtout l’intérêt que portent les transporteurs pour ce nouveau joujou.

La navette collective risque de devancer la voiture individuelle 100 % autonome, qu’on ne verra pas circuler sur les routes avant dix ans dans le meilleur des cas. L’une de ces dernières, l’électrique Tesla S, a tristement fait parler d’elle début juillet avec un accident mortel en Floride : le logiciel, conçu pour réguler seul la vitesse, le changement de voie sur la route et le freinage d’urgence, n’a pas vu un camion arriver transversalement… tout comme le conducteur, alors qu’il était censé garder ses deux mains sur le volant et toute son attention sur la conduite. En revanche, «la technologie des navettes automatisées est quasiment mûre, car c’est le segment où le cahier des charges technique est le moins contraignant», écrit dans une note publiée en avril France Stratégie, cellule de réflexion et de prospective dépendant du Premier ministre. Tous les éléments sont réunis pour que ça fonctionne : la vitesse d’exploitation ne dépasse pas les 20 km / h et les véhicules effectuent une reconnaissance préalable de la route, appelée précartographie, avant de suivre au centimètre près un parcours défini à l’avance. Enfin, si la réglementation freine encore le déploiement massif de véhicules sans chauffeur sur la voie publique, elle n’impose rien sur des sites fermés ou semi-fermés (campus, hôpitaux, aéroports ou entreprises).

Maillage

D’où plusieurs annonces, ces dernières semaines, de projets lancés à travers le monde. On retrouve très souvent les noms de deux start-up françaises, leaders sur le créneau, Navya et Easymobile. «Ce n’est pas tellement qu’ils sont les meilleurs, mais il n’y a pas d’alternative à court terme, explique Arnaud Julien, directeur innovation chez Keolis. Ils ont un temps d’avance sur les autres constructeurs. Sauront-ils le garder, je ne sais pas. Mais c’est agréable de voir deux acteurs français qui prennent la main.» Keolis, en partenariat avec Navya, doit justement inaugurer un essai à Lyon, à Confluence. Il devrait s’agir, comme à Sion, d’un parcours à destination du public, inscrit dans la circulation urbaine. «Nous avons plus d’une dizaine de projets, en France et à l’international, sur des sites ouverts ou fermés», précise Arnaud Julien. La RATP regarde aussi ces véhicules de près, et a annoncé mi-juin l’acquisition de deux navettes autonomes. Pour faire des tests en privé, dit-elle, ou pour tester bientôt une liaison entre la gare de Lyon et la gare d’Austerlitz, selon d’autres sources.

De son côté, Navya annonce l’inauguration d’une ligne expérimentale à Perth, en Australie, pour juillet. Ou un projet «en cours de finalisation» aux Emirats arabes unis. «On a doublé notre ligne de production, déclare Henri Coron, directeur du business développement chez Navya. Entre 50 et 60 navettes sont actuellement déployées. Nous sommes 60 salariés actuellement, on devrait être une centaine à la fin de l’année et 150 l’an prochain.»

Six de leurs navettes circulent déjà depuis avril dans la centrale nucléaire de Civaux, près de Poitiers. Une enceinte de 220 hectares où, selon les calculs en interne, un salarié marche en moyenne une heure dix-sept minutes par jour. Autant de temps de travail gaspillé, selon la direction, à multiplier par les 700 personnes présentes sur le site. Un bus circulait jusqu’à présent, mais par tranches de deux heures, et pas toujours. Le personnel préférait encore la marche à pied. Désormais, les six navettes roulent de 4 heures à 22 heures, avec des fréquences de cinq minutes.

Quant à Easymile, la PME essaime ses petits pods (surnom des navettes autonomes) en Californie, aux Pays-Bas, en Finlande, à Singapour, en Suisse ou encore sur la technopole de Sophia Antipolis, près de Nice. «On est passé de tests sur quelques heures, sur de courts trajets dans des salons, à des expérimentations de quelques semaines. C’est nouveau», remarque Arnaud Julien. Pourtant, en 2011 et 2014 déjà, les premières navettes autonomes avaient parcouru La Rochelle sur des voies réservées, pendant plusieurs mois, dans le cadre de l’expérimentation Citymobil.

Pour les acteurs de la mobilité, ces véhicules sans chauffeur trouveront leur place dans le maillage des transports publics de demain. «La navette autonome peut être un nouveau mode de transport en secteur urbain, notamment dans les zones peu denses», prédit Nathalie Leboucher, directrice stratégie, innovation et développement à la RATP. Elle distingue plusieurs couches en matière de transports collectifs : le «mass transit» avec le métro et le RER, des infrastructures lourdes et coûteuses mais qui transportent de nombreux passagers. La deuxième couche, celle des bus, est plus flexible – les lignes peuvent évoluer et s’adapter à l’offre. La navette constituerait une couche supplémentaire encore plus malléable en termes de trajets, de fréquences ou de plages horaires. Elle coûte entre 200 000 et 250 000 euros, peut rouler en alternance 24 heures sur 24 sans surcoût et sait déjà, dans certains essais, se rendre seule à une station de recharge par induction à la fin de son service. Quant au parcours, il se reconfigure très vite si la précartographie a été réalisée. Une fois opérationnelles, les navettes pourraient être une réponse à la question lancinante dite du «dernier kilomètre», cette courte distance qui sépare la gare ou la station de bus de la commune de résidence ou du lieu de travail. Un «dernier kilomètre» qui, faute de transports collectifs, pousse certains Français vers la voiture particulière.

Intelligence artificielle

De nombreux acteurs imaginent déjà l’étape suivante. «L’idéal serait de ne plus avoir de circuits définis à l’avance mais des transports à la demande», estime Leboucher. Des véhicules qui passeraient vous prendre devant chez vous après une réservation sur smartphone. «A la RATP, nous y travaillons déjà», affirme la responsable. Dans cette optique où les véhicules sont conduits par des intelligences artificielles, quelle différence entre un bus, une navette et une C4 Picasso ? «Avec le covoiturage et l’autopartage, le transport collectif commence au niveau de la voiture. On peut imaginer qu’un véhicule de 4 ou 5 places puisse aussi répondre à des besoins de transports collectifs.» Ce que Georges Amar, prospectiviste et consultant en mobilité, a conceptualisé lorsqu’il a lancé l’expression TPI, pour transport public individuel : «Le transport public s’individualise, le transport individuel se publicise, résume-t-il. En France, nous les opposons constamment. Mais avec les nouveaux usages, ces catégories sont déjà caduques.» La navette autonome n’est qu’un chaînon intermédiaire dans cette future réorganisation des transports.

Alors, à quand le déploiement à grande échelle ? Difficile de prévoir. «Peut-être pas avant dix ou quinze ans», dit Leboucher. Le code de la route interdit encore la circulation de ces véhicules sans un chauffeur à bord pour reprendre le contrôle au cas où. Malgré tout, «on peut déjà acheter des navettes autonomes, rappelle Arnaud Julien, alors que les voitures autonomes n’en sont pas encore à la commercialisation. C’est grâce à elles que le gouvernement se pose des questions sur la réglementation. Et aussi les assureurs, qui sont obligés puisque ces navettes roulent déjà.»

Du point de vue technologique, des progrès sont encore à faire. Notamment les freinages de Navya, qui sont très brusques, comme on a pu l’observer à Sion, ou l’anticipation des mouvements des piétons. Autre sujet : la vitesse. Dans la ville suisse, où le parcours choisi par Carpostal est complexe, elle ne dépasse pas 6 km/h, alors que la vitesse commerciale annoncée est de 20 km/h. Les usagers vont presque aussi vite à pied… «Mais comment améliorer la vitesse sans transiger sur la sécurité ?» interrogeait un responsable de Transdev à la centrale de Civaux. «On apprend en marchant», résume Arnaud Julien.

Jeudi après-midi, après l’inauguration à Sion, Valère est tombé en rade quelques minutes en plein trajet. Elle ne voulait plus avancer. La faute à la vague de chaleur qui s’était abattue ce jour-là ? «Elle se préserve», plaisante une des opératrices. L’expression «phase d’expérimentation grandeur nature» venait de prendre tout son sens.

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