A la barre, Jérôme Cahuzac retrouve sa femme et son fisc

Published 04/09/2016 in France

Jérôme Cahuzac au Palais de justice de Paris, le 8 février.

Justice

A partir de ce lundi et jusqu’au 15 septembre, l’ancien ministre du Budget, poursuivi pour «blanchiment de fraude fiscale», va devoir expliquer aux juges à Paris pourquoi il a menti à propos de son compte en Suisse.

Procès Cahuzac, le retour. Après sept mois d’interruption, l’ancien ministre du Budget comparaît cette semaine devant le tribunal correctionnel de Paris pour «blanchiment de fraude fiscale». En cause, son compte en Suisse ouvert en 1992, transféré à Singapour en 2009, nié à la télévision comme devant l’Assemblée, alors qu’il était en poste à Bercy, puis finalement admis en 2013, sous les coups de boutoir de Mediapart puis de la justice pénale. Entre-temps, ses avocats auront tenté de soulever un épineux vice de forme en plaidant le vieux principe judiciaire non bis in idem (on ne peut juger deux fois la même chose), les époux Cahuzac ayant subi un redressement fiscal de 2,5 millions d’euros.

Sparadrap. De quoi assécher en bonne partie leurs avoirs dissimulés à l’étranger – 2,5 millions au nom de madame , 700 000 au nom de monsieur-, ce qui peut s’assimiler à une sanction. Le couple goûtait donc peu la perspective d’une seconde couche pénale. Las, le Conseil constitutionnel a rejeté fin juin leur question prioritaire de constitutionnalité. Les sages ont validé le principe de la double poursuite en matière de fraude fiscale : «aux contrôles fiscaux peuvent s’ajouter des poursuites pénales» , ces dernières ayant un «caractère public qui leur confère une exemplarité et une portée dissuasive». L’un des avocats du ministre déchu, Jean Veil, avait tenté d’en mettre une troisième couche : «Qualifié de paria par la presse, il subit en plus une peine sociale. Pourquoi s’acharner ?» Sur les forums judiciaires, des avocats internautes s’émeuvent : «Cette décision du Conseil constitutionnel renifle à plein nez un choix purement politique» , la gauche au pouvoir tentant de se refaire une virginité et d’en finir avec le sparadrap Cahuzac.

Laboratoires. Retour au fond et aux fonds. Devant les enquêteurs, il s’est justifié sur procès-verbal : l’argent provenait «exclusivement de mes revenus professionnels, c’est-à-dire de chirurgien» capillaire. Pas un trésor de guerre des rocardiens, comme l’avaient un temps soupçonné des mitterrandistes de l’époque. Nonobstant la fraude fiscale, a priori rien de contraire à la probité. Sauf ces versements de divers laboratoires pharmaceutiques. Sous le gouvernement Rocard, au cabinet de Claude Evin alors ministre de la Santé, Jérôme Cahuzac était précisément chargé de délivrer les autorisations de mise sur le marché des médicaments, qui sont le nerf de la guerre. Après avoir quitté le ministère, il crée une société de conseil qui, dès 1994, encaissera deux millions de francs versés par les labos. Trafic d’influence ou proverbial pantouflage ? «Les faits, anciens, n’ont pas été caractérisés», balaient les juges d’instruction dans leur ordonnance de renvoi en correctionnelle. Sur le banc des prévenus, la confrontation entre Jérôme et Patricia, entre-temps divorcés, promet d’être tendue. Car l’argent offshore est à l’origine de leur dispute. Madame a mis à son seul nom un compte joint ouvert sur l’île de Man. Monsieur justifiera le transfert du sien de Suisse à Singapour par une recherche de confidentialité non pas fiscale mais matrimoniale… Seulement, l’année de cette exfiltration en Asie, 2009, est aussi celle de l’entrée en vigueur de la convention franco-suisse en matière d’entraide fiscale, ceci pouvant aussi justifier cela. Les dirigeants de la banque Reyl & Cie sont également poursuivis pour leur contribution logistique. Quand Cahuzac dit «j’ai accepté ce qui m’a été proposé, à aucun moment je n’ai suggéré la place de Singapour», ils rétorquent : «Ce client est un spécialiste des questions fiscales, nous n’avons fait qu’exécuter techniquement ses décisions.»

L’avocat de Reyl, Paul-Albert Iweins, entend porter le fer sur un autre point, «l’inertie blâmable» du fisc français, partie civile au procès.

Voilà l’histoire, aussi rocambolesque que difficile à avaler, du message laissé en 2000 par Jérôme Cahuzac sur le répondeur de son opposant local dans le Lot, Michel Gonelle, pensant – à tort – avoir raccroché le combiné : «Ça me fait chier d’avoir un compte là-bas – l’UBS, c’est quand même pas la plus planquée des banques.» L’Union des banques suisses, la première au monde pour la gestion de fortunes. La phrase n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd. Elle a été relayée auprès d’un agent du fisc local, puis transmise à sa hiérarchie en 2007 et un an plus tard au ministre du Budget, Eric Woerth. Pourtant, il ne se passe rien. De longue date, le fisc «est au courant de l’existence du compte suisse», assène Me Iweins. Réplique des juges Van Ruymbeke et Le Loir, au moment de boucler leur instruction en juin 2015 : «S’il existait des rumeurs, aucun élément tangible ne les confortait. Seule la présente enquête a permis de disposer d’éléments probants.»

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