Réfugiés : «A Noël, on fait un sapin, on cache des œufs ou on se déguise ?»

Published 04/09/2016 in Planète

Des migrants venus de Syrie et d’Irak en pleine séance de selfies avec la chancelière allemande, en septembre 2015, devant un centre pour réfugiés de Berlin.

Reportage

Avec l’arrivée d’un million de réfugiés fin 2015, la question de l’intégration joue un rôle clé à un an des législatives. Plus que jamais, le gouvernement compte sur les cours intensifs imposés aux nouveaux venus. QCM, débats sur la liberté d’expression… Exemple à la Hartnackschule de Berlin.

Au premier étage d’un bâtiment vieillot de la Motzstrasse de Berlin, les salles de cours se suivent en enfilade le long d’un interminable et sombre couloir circulaire. Plus de 2 000 élèves sont inscrits aux différents cours de langue proposés par l’école. Près de 40 % d’entre eux sont des réfugiés, dont de nombreux Syriens. Ce matin-là, treize élèves du «cours d’intégration et d’orientation» de Jean-François Bernard prennent place. Les murs de la salle de classe sont tapissés de règles de grammaire et de cartes de géographie. Dans deux jours, ils passeront l’examen garant de leur volonté d’intégration dans le pays. Avec l’arrivée d’un million de réfugiés fin 2015, en majorité originaires de Syrie, et quatre agressions commises en juillet par des réfugiés ou des enfants de réfugiés (dont deux revendiquées par l’Etat islamique), la priorité en Allemagne est plus que jamais à l’intégration. C’est même sur cette question que se jouera la réélection de la chancelière Merkel aux législatives de 2017, si elle décide de se représenter.

Lors de leur examen, les élèves devront répondre à un QCM leur demandant qui est le chancelier de la Réunification («Schröder, Kohl, Adenauer ou Schmidt ?»), les couleurs du drapeau allemand, quelle habitude ont les Allemands à Noël («cacher des œufs, décorer un sapin, se déguiser ou déposer un potiron devant leur porte ?») ou ce que signifie la tolérance religieuse («interdiction de construire des mosquées, tout le monde croit en Dieu, chacun peut croire en ce qu’il veut ou l’Etat décide à quel dieu il faut croire ?»). L’objectif du gouvernement est que chaque réfugié adulte puisse suivre le plus rapidement possible après son arrivée un cours d’intégration, comprenant 600 heures d’allemand intensif et 60 heures d’éducation civique. En 2014, 211 000 personnes ont suivi ce type d’enseignement. Au premier trimestre 2016, ils étaient déjà plus de 100 000. Des cours d’intégration qui ont coûté 455 millions d’euros à l’Etat en 2015, selon la Fondation Robert-Bosch, un budget qui devrait exploser cette année.

Une douche froide à la page 174

De nombreux établissements privés offrent cette plongée intensive dans la culture allemande, comme la Hartnackschule, école de langue centenaire du centre-ville de Berlin où enseigne Jean-François Bernard. Au programme ce jour-là : le système scolaire allemand. Une douche froide attend les jeunes réfugiés. Ils apprennent à la page 174 de leur manuel qu’en Allemagne, seuls 15,2 % des élèves étrangers obtiennent le bac (diplôme très élitiste dans le pays), contre 37,2 % des Allemands. Ils sont en revanche surreprésentés à la Hauptschule, une filière courte sans perspectives sur le marché du travail. «Pourquoi cette situation ?» interroge Jean-François Bernard, germaniste français de 52 ans, qui enseigne dans l’établissement depuis 2007. «A cause de la langue ?» essaie Abir, une comptable syrienne de 28 ans. Aucun de ces élèves fraîchement arrivés en Allemagne n’envisage l’hypothèse 5 suggérée par le manuel : les préjugés des enseignants seraient responsables des moins bonnes performances scolaires des enfants issus de l’immigration. La discussion s’anime. «Si on veut s’intégrer, il faut s’adapter, sinon on reste dehors», estime Abdul, Palestinien de 25 ans né en Syrie, vivant en Allemagne avec sa famille depuis un an. «Nous sommes venus ici parce que nous voulons nous intégrer et être en contact avec les Allemands», répond Kamar, une Syrienne de 20 ans dont le rêve est d’étudier la médecine. Kamar, Abir, Abdul… Les trois jeunes font partie de la vague d’immigration de 2015 et n’ont qu’un objectif en tête : fréquenter l’université ou trouver un emploi rapidement.

Avant d’arriver devant Jean-François Bernard, les élèves ont dû se frotter à la grammaire allemande. Après les cours de langue intensifs, ils entament la dernière phase de leur cursus «d’intégration», le module dit «d’orientation», sorte de pot-pourri d’éducation civique et d’histoire censé informer sur les règles démocratiques, l’histoire du pays et sur les règles de la vie en société à l’allemande. Le programme porte sur les principes de la Constitution, les droits de l’homme et la vie politique dans le pays, la Shoah et le droit à l’existence d’Israël, la Réunification et l’intégration européenne. Enfin, le dernier chapitre porte sur les droits des femmes et des enfants et la diversité religieuse dans le pays. A chaque page, l’accent est mis sur la tolérance, le respect et l’égalité entre les citoyens.

Pour certains, c’est un choc de culture. Il est arrivé à Monika Szlarek-Wünsch, responsable de la coordination des cours au sein de la Hartnackschule, de recevoir la visite d’un mari furieux, parce que sa femme ne voulait plus lui obéir. «Certains chapitres du programme, comme la religion, donnent lieu à de véritables débats, explique Jean-François Bernard. Découvrir que 28 millions d’Allemands n’ont pas de religion équivaut, pour certains, à une remise en question insupportable de l’existence de Dieu. Le chapitre sur la liberté d’expression suscite toujours de longues discussions car ils ont beaucoup de mal à comprendre quelles sont les limites de la liberté d’expression.»

Le programme a été élaboré par l’Office des migrations en 2005, lorsque les cours d’intégration sont devenus obligatoires pour les nouveaux arrivants. A l’époque, il s’agissait avant tout d’informer les épouses turques tout droit arrivées d’Anatolie. «Le but était d’éviter le développement de sociétés parallèles», se souvient Monika Szlarek-Wünsch. Avec la nouvelle vague d’immigration, l’Allemagne est confrontée à de nouveaux défis. Avec l’afflux des réfugiés, la Hartnackschule, comme les autres écoles de langue de Berlin, est littéralement prise d’assaut. A l’entrée du secrétariat, on tire un numéro. Les étroits couloirs débordent de chaises. Au comptoir, on parle arabe ou anglais. «Depuis 2014, on a essentiellement des réfugiés, poursuit Monika Szlarek-Wünsch. Dans certains cours, on compte jusqu’à 80 % d’Arabes. Pour ceux qui vivent dans les foyers de réfugiés, ce n’est pas toujours facile. Ils n’ont pas d’endroit au calme où faire leurs devoirs. Certains de nos élèves ont plus d’une heure de trajet pour venir jusqu’ici. Et les nouveaux arrivants ratent beaucoup de cours à cause des interminables démarches administratives.»

Des tensions entre élèves

Le programme se heurte aux attentes forcément différentes de réfugiés avec un niveau universitaire (nombreux parmi les Syriens) ou analphabètes (comme de nombreux Afghans). Les tensions sont fréquentes entre les élèves. Monika Szlarek-Wünsch a dû plusieurs fois intervenir, comme lorsqu’un jeune Palestinien homosexuel s’est fait insulter par des camarades arabes et russes – un Israélien comprenant l’arabe s’est plaint des commentaires antisémites ou sexistes à l’égard de l’enseignante de la part de jeunes Palestiniens de son groupe. «Il nous est difficile d’intervenir dans ce genre de conflits lorsqu’il s’agit de grands débutants, ne parlant pas anglais et pas encore allemand», explique-t-elle. «Il faudrait que dès la frontière, les migrants reçoivent des dépliants dans leur langue maternelle leur expliquant le b.a.-ba du respect, estime Kazim Erdogan, un psychologue berlinois animant des groupes de parole destinés aux hommes, pour la plupart turcs et désemparés face au mode de vie de leur progéniture loin de leur pays d’origine. C’est surtout nécessaire lorsque les migrants viennent de pays où le sexe est tabou, où les fils ne parlent pas avec leur père, les filles avec leur mère. Dans mes groupes de paroles, nous évoquons la sexualité et le rôle des femmes, et ça marche. Mais ça prend du temps.»

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