Virilité et genre: se défaire des vérités «rustiques» et des robustes préjugés

Published 29/08/2016 in Société

Les charmes du slip. Une carte postale des années 50 tente de mêler virilité et culotte plus large qu’une couche pour bébé.

Tribune

En réponse à la tribune de Nancy Huston intitulée «Quand les virilités partent en vrille», Cyril Barde proposed’élargir le débat en parlant plutôt des masculinités qui englobent les questions sociale, politique et culturelle.

Il paraît que Nancy Huston fut féministe. Aujourd’hui, ses articles sont salués par Christine Boutin, dont on connaît l’engagement résolu en faveur de l’émancipation des femmes et des corps. Le texte qui emporte l’enthousiasme de la pasionaria anti-mariage pour tous est une tribune publiée sur le site de Libération le 18 août, intitulée «Quand les virilités partent en vrille». On admire le pluriel poétique, coquetterie de style plus qu’une réflexion sur la multiplicité des formes de masculinité.

De masculinité d’ailleurs, il n’est pas question sous la plume de Huston. En choisissant d’aborder son sujet sous l’angle de la virilité et non des masculinités (1), l’auteure préfère une notion monolithique, presque toujours employée au singulier, renvoyant à une masculinité dominante, conquérante, voire agressive. La chercheuse Anne-Charlotte Husson résume les enjeux de ce choix sémantique à propos de la virilité : «Il s’agit d’une façon unique d’être un homme, s’exprimant à travers des attributs physiques et des dispositions morales- un homme correspondra alors plus ou moins à cet idéal normatif, mais ce dernier est présenté comme étant sans alternative. Les attributs associés à la virilité sont le fruit d’un effort et source de fierté […]. Des théoriciens des masculinity studies parlent de “masculinités” parce que le concept se veut pluriel et non normatif […].» (2)

De la complexité des constructions sociales

Fidèle aux attaques récurrentes qu’elle porte depuis plusieurs années contre les études de genre, qui s’attachent à saisir la complexité des constructions sociales, politiques et culturelles dans lesquelles se nouent les rapports entre les sexes, Nancy Huston n’entend que la voix limpide de la nature (3). La virilité dont elle nous entretient est conçue comme un instinct, une pulsion biologique tendue vers la reproduction. Centrée sur la sexualité, ou plutôt sur l’hétérosexualité, la virilité qui nous est décrite est celle qui se forgeait jadis, selon Huston sur «l’apprentissage de la chasse, de la guerre et d’un métier masculin [sic]». Hélas, nos sociétés modernes ne permettraient plus de garantir l’«avenir viril» de jeunes hommes laissés seuls face aux injonctions hormonales et à leurs désirs (pour les femmes, bien entendu).

«Une des fonctions pérennes des religions a été d’aider les mâles à organiser, gérer et contrôler leurs pulsions sexuelles. Faire de la masturbation un péché et de l’adultère un crime était certes répressif, mais avait au moins le mérite de reconnaître le penchant inné des hommes pour ces comportements.» On ne fera pas l’injure à Nancy Huston de signaler que cette représentation d’un mâle assailli par ses pulsions, soumis aux diktats de la testostérone, est partagée par ceux qui invoquent les «besoins» naturels des hommes pour justifier les violeurs et atténuer la gravité de leurs actes.

Les «vérités rustiques» que l’écrivaine nous assène sont plutôt de robustes clichés que la patine de siècles de patriarcat a longtemps naturalisés. L’histoire et la culture (ici l’action répressive de la religion) ne sont convoquées que pour expliquer la gestion des désirs, jamais pour rendre compte de leur production. On pourrait pourtant penser qu’une éducation différenciée selon les genres encourage certains désirs chez les garçons qu’elles blâment chez les filles, et inversement. On supposerait que le nombre plus important d’adultères masculins (encore qu’il resterait à vérifier les chiffres, à préciser l’époque) s’explique par l’inégalité structurelle qui règle les rapports hommes-femmes et qui a longtemps soumis ces dernières à une législation plus sévère en la matière. (4)

La voix de la nature, toujours

Sommes-nous oublieux des «vérités rustiques» de la nature et de la biologie ! Méditant sur le rôle des communautés homosociales (équipe de foot, groupes de supporters ou de musiciens, armée) dans la formation du sentiment viril, l’auteure note que «les femmes, elles, cherchent rarement à exalter leur féminité à travers des activités collectives». Encore la voix de la nature ! Rien à voir avec le partage sexué des espaces matériels et symboliques qui assigne les femmes à l’espace domestique et les hommes à l’espace public. Rien à voir non plus avec un urbanisme qui privilégie les lieux de loisirs destinés aux garçons. Les références de Huston ne sont  jamais empruntées aux travaux récents des sciences humaines et sociales. Elle préfère citer le poète américain Robert Blye, inspirateur de certains mouvements masculinistes outre-Atlantique.

La fin de la tribune tente une lecture du jihadisme au prisme d’un ratage de l’accomplissement viril. Les jihadistes, jeunes hommes en déshérence à «leur fécondité maximale» trouveraient dans la violence terroriste et l’intégration à une communauté masculine le moyen – hyperbolique et tragique – de réaffirmer une virilité menacée. Nancy Huston aime se tenir sur ces lignes de faille, déceler les fragilités intimes refoulées. Prendre en compte le rapport au corps et à la sexualité pour interroger le phénomène terroriste n’a rien d’absurde ni de scandaleux. Mais en concevant le corps masculin comme un «corps mâle», éminemment biologique et anhistorique, simple concrétion d’hormones bouillonnant à la puberté, l’auteure psychologise à outrance et dépolitise le sujet.

L’appel de Huston à replacer les corps au cœur de la réflexion, loin d’une salutaire démarche matérialiste, reformule l’anatomie comme destin. Alors que la naturalisation du social se rend aveugle à la diversité des êtres, la catégorie du genre permet de comprendre les infinies variations historiques, sociales et culturelles du «masculin» et du «féminin», sans les figer mais en leur restituant leur polysémie et leur plasticité. C’est ainsi que l’on passe du singulier normatif de la virilité au pluriel émancipateur des masculinités.

(1) La virilité renverrait en fait à la masculinité hégémonique définie par Raewyn Connell, qui envisage d’autres formes de masculinités (complices, marginalisées, subordonnées).

(2) https://cafaitgenre.org/2015/02/23/masculinite-hegemonique/

(3) Nancy Huston et Michel Raymond, «Sexe et race, deux réalités», Le Monde, 17 mai 2013.

(4) Avant 1975, une femme coupable d’adultère encourait une peine de 2 mois à 3 ans de prison alors qu’un homme ne risquait qu’une amende, seulement si le «crime» avait été commis au domicile conjugal.

 

 

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