«La dégradation des coraux est d’une ampleur et d’une durée inédites»

Published 27/07/2016 in Futurs

Le blanchissement des coraux dans le monde.

Interview

Près de 70 % des polypes récifaux sont menacés d’extinction d’ici cinquante ans. Et avec eux, tout un écosystème riche et protecteur.

Vivra-t-on un jour sans Nemo ? Sans Dory ? Sans coraux ? Peut-être. La Grande Barrière de corail australienne dépérit : 93% des récifs de cette étendue corallienne de 2 300 km de long, la plus vaste du monde, souffrent de blanchissement. Près d’un quart sont déjà morts. D’une ampleur et d’une durée inédites, le phénomène touche une bonne partie des récifs mondiaux, surtout dans le Pacifique, mais aussi dans l’océan Indien ou les Caraïbes. Avec des conséquences dramatiques pour les écosystèmes et l’économie, comme l’explique Sébastien Moncorps, directeur du Comité français de l’union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

Qu’est-ce que le blanchissement du corail ?

Le corail, c’est avant tout l’association, la symbiose entre un animal et des algues unicellulaires. L’animal, le polype, héberge ces algues. En faisant de la photosynthèse, celles-ci libèrent des nutriments dont le polype se nourrit. En cas de stress, causé par exemple par une hausse de la température de l’eau, le corail peut expulser les algues. On ne voit alors plus que son squelette calcaire, blanc, d’où le nom de blanchissement. Si cela ne dure pas très longtemps, quelques jours, une à deux semaines maximum, le récif s’en remet. Sinon, si les algues ne reviennent pas nourrir le corail assez vite, celui-ci finit par mourir.

Le processus du blanchissement des coraux

Infographie BiG

En quoi l’épisode actuel est-il inédit ?

Il y a déjà eu des épisodes mondiaux de blanchissement des récifs coralliens, liés en particulier au phénomène El Niño, dont l’intensité et la fréquence sont influencées par le changement climatique. Le premier date de 1997-1998 et avait causé la mort de 16% des récifs dans le monde, surtout dans l’océan Indien. Le deuxième, de moindre ampleur, a eu lieu en 2010. Le troisième, en cours, affecte 38% des récifs, surtout dans le Pacifique. Il est d’une ampleur, d’une intensité et d’une durée inédites.

Lors des précédents épisodes, la hausse de la température de l’eau était de 0,3 à 0,5°C, alors qu’on observe aujourd’hui une hausse de 1 à 2°C. Cet épisode a commencé mi-2014 autour de Hawaï et s’est propagé début 2016 à la Grande Barrière australienne et à la Nouvelle-Calédonie. Il affecte aussi les coraux dans l’océan Indien, notamment dans les Maldives, et pourrait perdurer jusqu’à la fin de l’année. Pour la première fois de l’histoire, le récif de Nouvelle-Calédonie est particulièrement touché. Or, avec ses 1 600 km de long, c’est la deuxième plus grande barrière de corail au monde, inscrite, elle aussi, au patrimoine mondial de l’Unesco. Nous sommes très inquiets.

Le changement climatique est-il seul en cause ?

Hélas, non. Mais ses effets sont d’autant plus dévastateurs que les récifs sont souvent déjà affaiblis par une série de pressions anthropiques : pollution aux pesticides ou hydrocarbures, aménagements portuaires, construction d’hôtels ou de marinas sur la côte, destruction des mangroves, surpêche, surfréquentation touristique… Tout ceci étouffe et tue les coraux. Ajoutez à cela les espèces exotiques envahissantes, comme l’étoile de mer acanthaster dévoreuse de corail, qui est une plaie en Australie mais aussi en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à la Réunion… Au total, dans le monde, 20% des récifs ont déjà été détruits de façon définitive ces dernières années. Et on estime que 50% supplémentaires seront menacés d’ici trente à cinquante ans.

Les températures des océans

Infographie BiG

Perdre 70 % des coraux, qu’est-ce que cela signifie concrètement ?

Cela veut d’abord dire qu’on perd une extraordinaire variété d’êtres vivants qui sont sur la planète depuis des millénaires. Les récifs coralliens sont des écosystèmes extrêmement riches, on les compare souvent à des forêts tropicales des mers. Ce sont des lieux de nourrissage et de reproduction d’un quart des 250 000 espèces marines recensées dans le monde. Perdre les coraux, c’est aussi s’exposer de façon beaucoup plus importante et grave aux risques naturels. Car les récifs et la mangrove sont connus pour protéger les côtes en «cassant» la houle. Ils jouent aussi un rôle dans l’épuration des eaux, en retenant les pollutions qui viennent de la terre. Et les récifs coralliens et les écosystèmes associés que sont les mangroves et les herbiers marins jouent un rôle majeur dans la préservation du climat, car ce sont d’excellents réservoirs naturels de carbone.

On sait aussi qu’environ 500 millions de personnes dépendent des récifs coralliens de façon quotidienne, notamment dans nos collectivités d’outre-mer. Par exemple en Nouvelle-Calédonie, une personne sur trois est un pêcheur, souvent pour assurer l’alimentation familiale. Pour de nombreux pays et régions, perdre les coraux, c’est aussi perdre une bonne partie de l’activité touristique. Les trois plus gros secteurs économiques en Polynésie française sont le tourisme, la pêche lagonaire et la perliculture, qui dépendent tous de l’état de santé de la mer et des récifs coralliens.

A-t-on quantifié l’apport des récifs à l’économie ?

Oui. Ils apportent chaque année environ 120 millions d’euros à l’économie guadeloupéenne, environ 170 millions à la Martinique et 200 à 300 millions à la Nouvelle-Calédonie. Ceci en prenant en compte la pêche, le tourisme, la protection des côtes, mais aussi la séquestration du carbone.

Que faire ?

Lutter contre le changement climatique, évidemment. Mais aussi, absolument, réglementer, mieux gérer et contrôler les activités humaines qui ont des impacts sur les coraux : projets d’urbanisme et d’aménagement, utilisation des pesticides, défrichements de mangroves ou forêts. Le Conservatoire du littoral a par exemple acheté beaucoup de terrains dans des collectivités d’outre-mer. Les aires marines protégées se développent aussi. La Nouvelle-Calédonie a annoncé en 2014 la création de l’une des plus grandes au monde (1,3 million de km2), baptisée «Parc naturel de la mer de corail».

La Grande Barrière de corail (carte BiG)

Infographie BiG

La France est-elle exemplaire ?

Elle a une responsabilité importante, puisqu’elle gère la quatrième superficie de récifs coralliens au monde, après l’Indonésie, l’Australie et les Philippines. Et nous sommes le seul pays à disposer de récifs dans les trois grands océans de la planète, avec une diversité sans équivalent. Depuis dix ans, nous avons rattrapé notre retard par rapport à des pays comme l’Australie qui avaient déjà un gros réseau d’aires marines protégées. En 2006, celles-ci ne représentaient que 0,1% du domaine maritime français contre plus de 16% aujourd’hui.

Nous venons de fêter les quinze ans de l’Initiative française pour les récifs coralliens (Ifrecor), dont l’UICN est membre. Il s’agit d’un travail de fond. Des centaines de sites témoins permettent de suivre l’état de santé des récifs, le recensement d’espèces progresse. Mais il reste beaucoup d’efforts à faire. On en est plutôt à éviter le déclin que de récupérer ce qui a été détruit. On le fait sur la mangrove, il est possible de la replanter, mais pour les récifs c’est plus compliqué, même si des expériences de bouturage de coraux ont été menées en Polynésie.

La préservation de la biodiversité ne se limite pas à préserver les milieux naturels les plus emblématiques et les espèces les plus menacées. Tous les secteurs d’activité sont concernés : agriculture, pêche, transport, urbanisme. On perd de vue notre forte dépendance aux milieux naturels. Il serait bon de se rappeler que si on respire, c’est grâce aux espèces végétales, si on se nourrit, c’est grâce à la nature… Celle-ci est un allié précieux dans la lutte contre le changement climatique et les risques naturels, dans laquelle il faut investir.

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