Loi biodiversité : quelques avancées et de gros manques

Published 22/07/2016 in Futurs

Les pesticides néonicotinoïdes, qui tuent les abeilles, seront interdits à compter du 1er septembre 2018.

Ecologie

Alors que la loi biodiversité vient d’être adoptée après une longue et difficile gestation, passage en revue de ses principales avancées et limites, des pesticides à l’huile de palme.

Que contient finalement la loi sur la biodiversité, votée mercredi soir par le Parlement après deux ans de pénible gestation au gouvernement puis deux ans de rebondissements législatifs, sous la pression continue des lobbies de l’agro-industrie, de la chasse ou de la pêche maritime ? Revue des avancées et des manques de ce texte, le premier sur ce sujet crucial pour le sort de l’humanité depuis la loi de 1976. Et alors que des chercheurs tiraient une nouvelle fois la sonnette d’alarme la semaine dernière dans la revue Science, après avoir établi que 58,1% de la surface terrestre – abritant 71,4% de la population mondiale –, connaît une telle perte de biodiversité que cela menace le fonctionnement des écosystèmes de la Terre et donc la pérennité des sociétés humaines.

Débat sur les pesticides néonicotinoïdes

Interdire ou ne pas interdire ces pesticides qui tuent les abeilles et moult autres bestioles et dont l’impact sur notre santé inquiète de plus en plus ? Et si oui, quand ? Avec ou sans dérogations ? Le débat, très tendu, aura duré jusqu’au bout, sous la pression de certains lobbys agricoles et industriels. Finalement, les députés ont maintenu mercredi une interdiction à compter du 1er septembre 2018 (soit bien plus tard que dans de précédentes versions du texte), avec des dérogations possibles jusqu’au 1er juillet 2020 dans les cas où il n’y aurait pas de produits ou de méthodes de substitution disponibles. Dans un communiqué commun, plusieurs ONG, dont France Nature Environnement, le WWF, la LPO, Humanité et Biodiversité ou la Fondation Nicolas Hulot, «se réjouissent» de cette interdiction. Tout en soulignant que «le combat contre les intrants chimiques ne fait que commencer, tant leurs dégâts sur la santé et l’environnement sont immenses. Leur retrait nécessite une prise de conscience générale et des moyens importants pour réussir une transition agricole inéluctable».

Dans un communiqué séparé, Greenpeace France dit que «la protection des abeilles est un enjeu d’intérêt général qui semble enfin avoir été entendu par les députés, malgré le travail de sape constant des lobbys de l’agrochimie». L’ONG déplore cependant qu’il faille «attendre encore deux ans avant la suppression de ces pesticides, voire quatre ans, car la loi comporte des possibilités de dérogations jusqu’à 2020. Ce sont des années de trop pour les abeilles». L’Union nationale de l’apiculture française et Agir pour l’environnement ont eux aussi dénoncé des «délais trop tardifs». «Il est regrettable que des dérogations soient possibles jusqu’en juillet 2020», indique un communiqué commun. Rappelant que «près de 300 000 colonies d’abeilles disparaissent chaque année en France et que ces insecticides présentent une rémanence exceptionnelle pouvant se compter en années».

Mêmes critiques de l’association Pollinis, selon laquelle «la loi entérine le remplacement des pesticides tueurs d’abeilles par d’autres molécules tout aussi toxiques». «On parle d’interdiction, mais en réalité il s’agit simplement d’un accord acceptable pour la FNSEA [le principal syndicat agricole, ndlr] et les lobbies agro-industriels : ces quatre années supplémentaires vont leur servir à écouler les stocks, mais surtout à sortir de nouvelles substances actives qui vont être présentées comme des alternatives, estime Nicolas Laarman, délégué général de Pollinis, dans un communiqué. Il faut mettre en place un nouveau modèle agricole qui permettra justement aux agriculteurs de s’en passer.» De son côté, la FNSEA n’a pas dit son dernier mot. Au micro de France Inter, jeudi, la première vice-présidente du syndicat, Christiane Lambert, a indiqué que la FNSEA comptait sur le gouvernement qui sera en place en 2018 pour rectifier la loi biodiversité si besoin, et revenir sur l’interdiction des néonicotinoides, afin d’éviter «de tuer certaines productions», comme celle de betterave.

Une Agence française de la biodiversité

L’une des mesures phares de la loi est la création d’une Agence française de la biodiversité (AFB), promise par François Hollande lors de la première conférence environnementale en 2012. Cet établissement public à caractère administratif regroupera les quelque 1 200 agents de quatre organismes existants: l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (Onema), l’Atelier technique des espaces naturels, l’Agence des aires marines protégées et les Parcs nationaux. Mais en raison d’une forte opposition des chasseurs, l’AFB n’intégrera pas l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), comme cela aurait été logique.

Elle devra œuvrer en faveur d’une meilleure préservation des espaces naturels, de leur faune et de leur flore, et d’une action plus concertée des services de l’Etat. Et elle «sera un interlocuteur identifiable pour aider les aménageurs à connaître leurs obligations en matière de biodiversité», selon la secrétaire d’Etat à la Biodiversité, Barbara Pompili. Ce sera le deuxième grand opérateur de l’Etat en matière d’environnement avec l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). Elle devrait voir le jour le 1er janvier 2017, avec un an de retard. Et les ONG déplorent qu’elle «ne dispose pas à ce jour des moyens humains et financiers nécessaires».

Des grands principes fondamentaux

Le texte inscrit plusieurs principes dans le code de l’environnement, comme celui de «non-régression de la protection de l’environnement» ou celui «d’absence de perte nette de biodiversité», qui devront pris être en compte par les décideurs dans leurs projets. A l’initiative du Sénat, et après moult péripéties, il prévoit aussi l’inscription du préjudice écologique dans le code civil, selon le principe du «pollueur-payeur», dans le sillage de la jurisprudence née de la catastrophe due au naufrage du pétrolier Erika de Total en 1999 au large de la Bretagne. «La définition du préjudice écologique y est ambitieuse et reprend celle de la cour d’appel de Paris dans l’Erika, se félicitent les ONG. Le texte permet une avancée puisque désormais l’action en justice est ouverte à “toute personne ayant intérêt et qualité à agir”, laissant au juge une grande liberté dans la définition des titulaires de l’action.»

La loi introduit également le principe de «solidarité écologique», qui appelle à prendre en compte dans les prises de décision publique les interactions des écosystèmes, des êtres vivants et des milieux naturels. Elle ouvre ainsi la possibilité d’inscrire dans les documents d’urbanisme des espaces de continuité écologique. Si les ONG saluent ces avancées, elles soulignent que «pour espérer opérer une reconquête de la biodiversité, il revient à ce gouvernement et au suivant d’intégrer la biodiversité dans les politiques sectorielles (agriculture, pêche, urbanisme, etc.)». «La réussite de la loi et sa mise en œuvre concrète dépendent des contenus des décrets d’application, des emplois dédiés à la biodiversité et des moyens financiers qui seront réellement mobilisés» et, en ce sens, «le prochain projet de loi de finances sera déterminant», ajoutent-elles.

Protocole de Nagoya

La loi biodiversité permet à la France de ratifier le protocole international de Nagoya, qui réglemente l’accès aux ressources génétiques naturelles (des plantes par exemple) et le partage de leur utilisation. Par ailleurs, il prévoit la création de zones de conservation halieutiques et la création de la cinquième plus grande réserve marine du monde dans les eaux des Terres australes françaises. Il comporte aussi un dispositif visant à éviter les collisions avec les cétacés pour les navires d’Etat, de transport de charge et de passagers de plus de 24 mètres. Ou encore l’interdiction de la détention et de la mise en vente d’espèces exotiques envahissantes. Il renforce les sanctions pénales contre le trafic des espèces menacées. Enfin, il acte l’interdiction à compter du 1er janvier 2020 de la mise sur le marché des cotons-tiges en plastique.

Des manques sur l’huile de palme ou le chalutage profond

Les producteurs d’huile de palme, Indonésie et Malaisie en tête, ont pesé de tout leur poids – brandissant même des menaces de représailles commerciales – pour éviter une taxation de l’huile de palme, dont ils sont gros producteurs, au détriment de la forêt, des populations locales, de la faune (orangs-outangs, gibbons etc) et du climat. L’idée du projet de loi biodiversité était pourtant simplement de la taxer autant que l’huile d’olive, corrigeant ainsi une sorte d’anomalie, puisque l’huile de palme est aujourd’hui l’une des huiles végétales les moins taxées et France. Las, gouvernement et parlementaires ont cédé à la pression diplomatique. En lieu et place, l’exécutif s’engage simplement à présenter d’ici six mois une réforme globale de la fiscalité sur les huiles alimentaires, afin de la «simplifier» et de favoriser les productions certifiées durables.

La loi ne prévoit pas non plus d’interdire la pêche au chalutage profond, qui ravage la biodiversité et les fonds marins. «Les parlementaires, aveuglés par les contre-vérités assénées par une poignée de députés du Morbihan et du Pas-de-Calais, ont laissé passer l’occasion et c’est l’Europe qui vient enfin de prendre cette responsabilité», taclent les ONG.

Enfin, les animaux sauvages en sont pour leurs frais. Contrairement aux animaux domestiques, dont le statut d’être sensible était déjà reconnu, celui-ci leur est toujours refusé. «Un chat domestique est sensible, pas un chat sauvage – un chien souffre, mais pas le renard – un canari est sensible, mais pas le serin cini… Faire souffrir gratuitement un animal sauvage est accepté, dès lors qu’il n’est pas tenu en captivité. Le changement de notre rapport au vivant est en cours, les études scientifiques ont apporté nombre de connaissances sur la sensibilité et le comportement animal : dommage que des parlementaires n’aient pas su les prendre en compte», déplorent les ONG. Et d’ajouter : «Alors que 320 000 citoyens demandaient la fin des pratiques de la chasse à la glu, ou le déterrage des blaireaux en période de dépendance des jeunes, ces pratiques d’un autre temps vont continuer encore, couvertes par le prétexte de “traditions”.»

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