Nucléaire : combien de réacteurs faudra-t-il fermer pour tenir la promesse de Hollande ?

Published 06/07/2016 in Futurs

La centrale nucléaire de Chinon, en Indre-et-Loire, le 16 juin.

Au rapport

Dans une note que «Libération» a obtenue, l’ONG Greenpeace calcule qu’il faudrait fermer 27 à 31 réacteurs d’ici à 2025 pour tenir la promesse présidentielle de réduire à 50 % la part de l’atome dans la production d’électricité à cette échéance. Très loin de ce que prévoit à demi-mots le gouvernement.

Combien de réacteurs faudra-t-il fermer pour tenir la promesse de François Hollande de baisser la part du nucléaire dans la production nationale d’électricité à 50 % d’ici à 2025 – contre plus de 75 % aujourd’hui ? C’est la question taboue à laquelle le gouvernement refuse toujours de répondre explicitement. La promesse présidentielle a bien été inscrite noir sur blanc dans la loi de transition énergétique d’août 2015. Mais, depuis, l’exécutif procrastine. Il n’a cessé de repousser la présentation d’un texte clé, la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), permettant d’appliquer cette loi et de détailler – entre autres – comment l’Etat compte concrètement atteindre cet objectif de 50 %. En avril, la ministre de l’Environnement et de l’Energie, Ségolène Royal, avait promis de publier «au plus tard le 1er juillet» une PPE complète, avec un volet nucléaire qui donnerait «une fourchette du nombre de réacteurs à fermer en fonction de deux scénarios sur l’évolution de la consommation électrique».

Promesse 

La date a été respectée cette fois-ci, in extremis et avec plus de six mois de retard sur le calendrier d’origine. Le ministère de l’Environnement a publié sur son site internet le projet de PPE vendredi, à 21 heures. «Comme promis», a insisté un communiqué de presse de la ministre. Sauf que la seconde partie de la promesse n’a pas été tenue. Dans les trois documents mis en ligne, nulle mention d’une quelconque «fourchette du nombre de réacteurs à fermer» pour respecter l’objectif des 50 %. Tout juste peut-on y lire que «la réduction de la production annuelle d’électricité d’origine nucléaire réalisée en 2023 [par rapport à 2015, ndlr] se situe entre 10 TWh et 65 TWh». Cette réduction, précise le document, «sera le résultat de la fermeture de la centrale de Fessenheim et de plusieurs paramètres qui seront connus au fur et à mesure des visites décennales conduites par l’Autorité de sûreté nucléaire : la baisse de la disponibilité des réacteurs nucléaires, en raison des travaux de maintenance et des investissements de sûreté – les fermetures et les prolongations de réacteurs».

«Loin de l’objectif»

Etant donné qu’en 2015, la production cumulée du parc nucléaire français (58 réacteurs) a atteint 417 TWh, la réduction de la production évoquée dans la PPE pour 2023 correspond à «l’arrêt définitif de 2 à 12 réacteurs nucléaires à cette échéance, soit une part du nucléaire stable, comprise entre 65 % et 75 % de la production d’électricité en 2023, loin de l’objectif de 50 % en 2025», souligne Greenpeace dans une note publiée ce mercredi, que Libération a obtenue. Dans celle-ci, l’ONG relève «trois erreurs du gouvernement» dans la PPE du 1er juillet, jugée «pauvre en analyse» car le texte «ne présente pas les données d’évolution de consommation d’électricité» et «la surproduction nucléaire en 2023 y est exposée sans aucune justification ni lien avec les besoins énergétiques».

D’abord, explique Greenpeace, «en décidant d’arrêter seulement 2 à 12 réacteurs d’ici à 2023, ce sont 6 à 12 réacteurs qui verront leur durée d’exploitation dépasser quarante ans. Le gouvernement considère ainsi qu’EDF pourra garantir un niveau de sûreté suffisant pour obtenir de l’Autorité de sûreté nucléaire l’autorisation d’exploiter au-delà de quarante ans – un pari plus que risqué», étant donné les difficultés financières d’EDF, qui «a déjà du mal à financer» le projet Hinkley Point, au Royaume-Uni. Ensuite, «même en ayant identifié une production nucléaire comprise entre 308 et 358 TWh (ce qui reste trop élevé), le ministère devrait conclure que c’est entre 59 et 109 TWh de nucléaire qu’il faudrait supprimer d’ici à 2023, soit 10 à 18 réacteurs», calcule l’ONG. Enfin, celle-ci réfute l’hypothèse du gouvernement selon laquelle la France continuera à exporter massivement son électricité en Europe. Car, souligne-t-elle, «l’exportation ne rapporte pas beaucoup aux producteurs, compte tenu des fortes baisses des prix du marché ces cinq dernières années. Par ailleurs, de plus en plus d’électricité est échangée en Europe, rendant ce commerce extrêmement concurrentiel. Enfin, et surtout, la quantité d’électricité exportée est un choix, et en aucun cas une résultante de la production d’électricité».

Fermeture de 27 à 31 réacteurs d’ici à 2025

Dans sa note, Greenpeace expose ses propres calculs en s’appuyant sur le code de l’énergie et les prévisions de Réseau Transport Electricité (RTE, filiale d’EDF) et en tenant compte de l’évolution de la consommation domestique, mais aussi des exportations d’électricité. Conclusion, compte tenu d’une consommation «assez stable» en 2025 par rapport à aujourd’hui (entre 474 et 517 TWh, contre 500 TWh ces cinq dernières années) et d’un bilan net d’exports «nul» d’ici à 2025 (les exportations d’électricité équivalant aux importations), «il apparaît clairement que pour appliquer la loi de transition énergétique, la PPE doit imposer la fermeture de 21 à 23 réacteurs d’ici son échéance la plus lointaine en 2023». Soit 27 à 31 réacteurs si l’on se projette en 2025, selon l’ONG.

Exportations

Pas si loin, finalement, du calcul de la Cour des comptes. Celle-ci avait estimé en février que réduire la part du nucléaire à 50 % de la production électrique d’ici 2025, «à hypothèses constantes de consommation et d’exportation d’électricité à cet horizon, aurait pour conséquence de réduire d’environ un tiers la production nucléaire, soit l’équivalent de 17 à 20 réacteurs ». «La différence tient sans doute au fait que contrairement à la Cour des Comptes, nous considérons qu’en 2025, le bilan net des exportations sera nul, donc que les besoins de production seront moindres», suggère Cyrille Cormier, de Greenpeace. Rappelant au passage que «RTE avait cité le chiffre de 25 réacteurs à fermer en 2025, et les services du ministère de l’Environnement avaient évoqué une vingtaine de réacteurs», eux aussi avec des scénarios prenant en compte de gros volumes d’exportations. Pour Cyrille Cormier, «il n’est pas complètement ahurissant de considérer que nos exportations vont baisser. Car étant donné la concurrence accrue de nos voisins, qui exportent eux aussi de plus en plus, et le fait que l’on vend plutôt à perte aujourd’hui étant donné les prix très bas, les bénéfices sont tellement ridicules que c’est une décision commerciale qui peut être prise».  

«Arrêter de faire semblant»

Comment expliquer, in fine, que tous, Greenpeace, mais aussi des institutions que l’on ne peut pas soupçonner d’être antinucléaires et jusqu’aux propres services du ministère, annoncent un nombre de réacteurs à fermer bien supérieur à celui de la PPE, qui n’y figure même pas de façon explicite ? Cyrille Cormier déplore une «incapacité à décider et à agir» de la part de l’Etat. Or, insiste-t-il, «il est temps, aujourd’hui, d’assumer clairement une position : soit on fait vraiment en sorte de tenir l’objectif des 50 %, soit on ne le fait pas et on arrête de faire semblant. En ne prenant pas de décision, le gouvernement est en train de plomber EDF, mais aussi d’empêcher l’essor des énergies renouvelables, qui sont en pleine croissance dans le monde entier».

Cela étant, l’ONG veut rester optimiste. Il reste au gouvernement jusqu’au 13 juillet – date à laquelle Ségolène Royal réunira le Conseil national de la transition écologique pour examiner le projet de PPE – pour «corriger le texte mis en ligne et le rendre cohérent avec la réalité des besoins en électricité et avec l’application de la loi de transition énergétique», rappelle l’ONG.

 
 

Par

Print article

Leave a Reply

Please complete required fields