Décès de l’artiste américaine Shirley Jaffe

Published 30/09/2016 in Arts

L’artiste peintre Shirley Jaffe.

Disparition

La peintre abstraite, qui vivait à Paris depuis 1949, est morte ce jeudi à l’âge de 93 ans.

Sa peinture est le genre de celle, dansante et papillonnante, qu’on regarde quand on a le bourdon. Shirley Jaffe, née en 1923, à Elisabeth dans le New Jersey, est morte jeudi 29 septembre, à Paris, où elle habitait depuis 1949, après avoir, à l’instar de nombreux autres artistes américains de sa génération (Agnès Martin ou Ellsworth Kelly, notamment) voulu voir de près l’effervescence de la scène de Paris, assimilée, pour quelques années encore, à la capitale du monde de l’art. Elle étudie à New York, dans le laboratoire de l’expressionnisme abstrait, la Cooper Union School, et s’inscrit un temps dans cette veine naissante de la peinture gestuelle, vigoureusement brossée, épaisse et fougueuse, avant de tout changer en adoptant, vers 1963-1964, un nouveau style, une nouvelle palette, reconnaissable entre mille et riche de mille combinaisons possibles. Qu’elle ne cessera de mettre en forme.

Tressautements guillerets

Chez Shirley Jaffe l’abstraction touche terre et le réel : elle part (parfois) de l’observation du paysage, d’un intérieur, qu’elle réduit à un répertoire de formes aux contours nets et sans bavures. Les blancs sont nombreux qui laissent les courbes, les spirales, les boucles, les cercles, les demi-cercles, nettement distincts et à part les uns des autres. Comme si elles étaient posées là, disponibles, mais pas encore tout à fait prêtes à jouer entre elles. Sauf que si, le jeu a toujours déjà commencé : les éléments virevoltent, se bousculent, slaloment entre eux, passent parfois les uns par-dessus les autres. Le miracle de ces compositions, c’est qu’elles apparaissent toutes un peu de guingois et semblent guettées par le chaos, mais c’est ainsi qu’elles tiennent. Ça tressaute, ça hoquette, ça flippe, mais ça ne perd pas la boule.

«Un jour, confiait Shirley Jaffe en 1992 à l’occasion d’une expo au Frac Limousin, j’ai même vu une parenté entre un flipper et certaines formes qui entraient dans mes tableaux.» Ces tressautements plus guillerets que maladifs prennent aussi leur appui sur une palette primesautière assez inhabituelle dans l’abstraction picturale : la juxtaposition du vert pomme, du rose layette, du jaune citron, du bleu roi, et on en passe dans cette gamme pastel qui nous fait toujours penser à la décoration des appartements des films de Rohmer des années 80.

Swing géométrique

«C’était une femme d’une remarquable discrétion, avec une grande liberté de ton, et capable de s’extasier comme une enfant devant l’accrochage qu’on avait fait de ses toiles», se souvient Xavier Douroux, le directeur du Consortium, centre d’art dijonnais qui consacra en effet à l’artiste une salle entière au printemps dernier. Douroux voit dans sa peinture quelque chose de celle de Fernand Léger, de Matisse aussi, dans sa manière de faire papillonner ses papiers découpés. Mais, au croisement de plusieurs héritages, Shirley Jaffe a surtout inventé son propre lyrisme à la fois doux et nerveux, une espèce de swing géométrique qui n’a jamais cessé de battre une mesure fluide et dynamique. Montré dès les années 60 en France par la galerie Jean Fournier puis depuis le début des années 2000 par la galerie Nathalie Obadia, son travail est collectionné fidèlement par les plus grandes institutions internationales, et regardé de près par des artistes de toutes les générations comme Bernard Piffaretti ou l’Américaine Charline von Heyl, qui avait pris l’habitude de lui rendre visite à l’atelier.

ParJudicaël Lavrador

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