«Chouf», pas de quartier à Marseille

Published 04/10/2016 in Cinéma

Le récit est tendu vers un fatum inéluctable.

Critique

Deal et vengeance dans une «no go zone» scrutée par Karim Dridi.

Passé à la moulinette de la fiction, on avait quitté Marseille en plein naufrage. Annoncée sous les flonflons, la série Netflix du même nom déboulait à la veille du Festival de Cannes : public et presse émoustillés par le battage, casting hypertrophié (Depardieu, Magimel…) et, à l’arrivée, atterrement général devant un supposé effet bœuf transformé en grenouille de fable. Cagade coulant à pic au fond du Vieux Port, en lieu et place du grand déballage des turpitudes politico-mafieuses en vigueur à l’ombre du «Vélo»,le brûlot a donc fait pschitt. Quelques jours plus tard, Chouf était présenté à Cannes, en «séance spéciale». L’embouteillage étant ce qu’il est en mai sur la Croisette, le film n’y a pas laissé un souvenir térébrant. Aussi, sa sortie en salles, quatre mois plus tard, peut-elle favoriser une revalorisation. Pour être sincère, on ne misait plus guère sur Karim Dridi, cinéaste franc du collier dans les années 90 (Pigalle, Bye Bye, Hors-jeu), dont la ténacité s’était par la suite étiolée. Renouant avec une thématique fétiche (grosso modo, il est toujours question chez le Franco-Tunisien de liens du sang et de dévastation sociale plus ou moins rédimée), Chouf déboule pourtant toutes sirènes hurlantes. Minutieusement documenté sur le monde parallèle d’une de ces «no go zones» que la télé dite d’investigation n’arrive plus à fantasmer qu’en caméra cachée, son troisième volet d’une trilogie marseillaise étalée sur vingt ans (après Bye Bye et Khamsa) agrippe crânement un récit tendu vers un fatum inéluctable récusant toute échappatoire. Sorti du quartier par le haut, l’étudiant Sofiane se retrouve ainsi poissé, après l’assassinat de son frère, sur fond de règlements de compte et de deals banalisés, faute d’alternative pour une jeunesse comme condamnée à une surenchère criminelle – la fameuse loi du talion – à laquelle, in fine, nul ne pourrait se soustraire.

Imprégné d’argot arabe et marseillais, Chouf démonte de la sorte les mécanismes sombres et inexorables d’un microcosme gangrené par le trafic et l’ennui formant la dualité d’une ghettoïsation avérée. Echo aux Bande de filles et Divines révélant un filon féminin des cités, la patibulaire distribution de Chouf (issue d’ateliers de comédie) ne fait aucune concession.

ParGilles Renault

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