Le footballeur qui remotive l’Irak face à Daech

Published 26/12/2016 in Sports

Ali Adnan dans le stade de son équipe, l’Udinese, en Italie, le 18 novembre.

Récit

Il y a deux ans, Ali Adnan, espoir du football moyen-oriental, avait quitté les terrains pour s’afficher auprès des militaires irakiens engagés contre l’Etat islamique. Aujourd’hui, il joue en Italie et porte les rêves de réconciliation des communautés irakiennes.

C’est sûr qu’on est loin de la langue de bois généralement de circonstance dans le foot. Des «l’important, c’est les trois points» ou «on prend les matchs les uns après les autres».

Eté 2014. Ali Adnan, star du foot irakien, pourrait profiter du soleil de Floride avec ses coéquipiers du club turc du Caykur Rizespor. Au lieu de cela, on le retrouve au milieu des soldats de la 11e division d’infanterie de l’armée nationale. L’Irak est déchiré. Falloujah est tombé aux mains des jihadistes de l’Etat islamique, Mossoul est sur le point de suivre, Ramadi est assiégé. Au micro de la chaîne nationale Al-Iraqiya, un journaliste demande à Ali Adnan : «Vous étiez un joueur exceptionnel sur les terrains de football, mais aujourd’hui on vous voit déterminé et prêt à combattre Daech. Quelles sont vos motivations à combattre auprès de l’armée irakienne ?» Trépidant face à la caméra, le joueur se lâche : «Avec ma famille et mes frères, nous soutenons tous l’armée irakienne. Nous sommes prêts à faire face à Daech prochainement. Et je crois qu’ils sont faibles. Les médias ont fait Daech plus fort qu’ils ne le sont vraiment. Et je pense que l’armée irakienne les anéantira prochainement», lâche-t-il, avant de faire référence à l’appel au jihad : «Nous avons tous accepté l’appel de l’Irak !» Les soldats jubilent. Chacun danse, drapeau de l’Irak dans une main, kalachnikov dans une autre. Le destin d’Ali Adnan bascule.

«Promenades sur les rives du Tigre»

L’arrière gauche est alors loin de se douter que son passage épique va déclencher fantasmes et troubles géopolitiques. Photographié en gilet pare-balles avec plusieurs militaires irakiens fiers de poser devant leur star, le joueur est accusé de laisser de côté le football et de prendre, le temps d’un été, les armes contre l’Etat islamique.

La nouvelle fait le tour de l’Europe, elle est partagée sur toutes les lignes de front en Irak. Ahmed Alramahy, 31 ans, soldat de la 9e division blindée de l’armée irakienne, avoue que l’intervention de l’international irakien lui a donné du baume au cœur. Actuellement engagé dans la bataille de Mossoul, le militaire explique avoir les mains gelées mais ne voit pas d’inconvénient à pianoter sur son téléphone portable pour évoquer sa star : «J’en ai reparlé avec d’autres soldats, son discours nous avait vraiment remonté le moral à tous. Car, même si l’Etat islamique en est en ce moment à sa dernière respiration, ça n’a pas toujours été le cas. On a eu des défaites !»

Interview  «Chaque match de foot prouve que le nationalisme irakien n’est pas mort»

A l’époque, si la vidéo fait mouche dans les tranchées et blindés irakiens, elle plaît moins aux Emirats arabes unis, où Ali Adnan est supposé jouer des matchs d’éliminatoires du Mondial 2018 de la zone Asie avec l’équipe nationale d’Irak. Plusieurs fois, le joueur se voit refuser l’entrée du pays. L’Etat sunnite l’accuse de soutenir un mouvement armé chiite.

Garants de l’unité nationale

Deux ans et demi plus tard, en novembre 2016, on retrouve Ali Adnan en Italie, à Udine. D’ex-meilleur espoir de la Confédération asiatique (en 2013) à 22 ans, il est devenu le premier joueur irakien à évoluer en Italie. Et le symbole d’un Irak qui espère surmonter ses déchirures par le foot. Un poids lourd à porter. Courant 2015, il est obligé de faire une pause avec la sélection nationale. Trop de pression. «J’étais harcelé de textos, d’appels d’inconnus sur mon portable – j’ai craqué.» L’attaquant français Cyril Théréau, son coéquipier à l’Udinese, témoigne de l’extraordinaire popularité d’Ali Adnan : «Ça nous arrivait de prendre des photos tous les deux. Je les postais sur les réseaux sociaux et je recevais quasiment plus de messages venant d’Irak que de messages venant d’Europe, c’était assez incroyable. Là-bas, c’est le joueur qui est parti en Europe. C’est un modèle, une superstar.» L’entrevue dans les locaux du club dit l’inverse. Robuste, cheveux gominés, teint hâlé, le jeune homme se montre effacé, le visage austère et le regard fuyant. Il arrive que sa petite amie, dont il tient la main une heure durant, lui arrache un sourire. Mais on sent Ali Adnan mesuré, jusque dans sa tenue vestimentaire nuancée de noir et de gris. Il faut dire que l’attaché de presse et deux traducteurs cadrent l’échange. Le joueur raconte une enfance paisible dans les ruelles du quartier chiite de Sha’a, dans une zone sunnite de Bagdad. Il a le souvenir de «promenades sur les rives du Tigre», mais surtout de «la tranquillité et la paix». A l’entendre, on jurerait que l’intervention de l’armée américaine en Irak, le 20 mars 2003, ne trouble en rien ses parties de football «assez libres» dans une capitale irakienne qu’il décrit comme «une très belle ville où il y a une grande concentration de joueurs de foot». «Je me souviens que je partais avec deux sacs. Un avec mes cahiers et un avec mes affaires pour le football.»

Très vite, il en fait son métier. Logique, quand on sait que son père, Adnan Kadhim, est un ancien joueur de l’équipe Espoirs, et que son oncle, Ali Kadhim, a longtemps été le meilleur buteur de la sélection. «Mon père et mon oncle jouaient dans un climat de paix. L’Irak avait plusieurs joueurs importants [Hussein Saeed et Ahmed Radhi notamment, ndlr]. Maintenant, c’est beaucoup plus compliqué.» Dans les années 80, les joueurs appelés en sélection sont récompensés généreusement en cas de trophées remportés. On leur octroie voitures, maisons et terres. Le régime de Saddam Hussein instrumentalise les bonnes performances de l’équipe nationale. Revers de la médaille à la fin de la décennie. Oudaï Hussein, son fils aîné, prend la tête de la Fédération nationale en charge de l’équipe. Les soirs de défaite, il multiplie les sévices physiques et moraux sur plusieurs joueurs de la sélection.

Aujourd’hui, la donne est différente. Les salaires d’une majorité de joueurs du championnat irakien ne sont pas payés à temps (quand ils le sont). Guerres et austérité obligent, le domaine sportif n’est plus prioritaire. De surcroît, la pression s’inverse. Elle ne vient plus d’en haut, c’est-à-dire du régime, mais d’en bas, de la rue. «On se doit de gagner tous les matchs pour notre peuple et le rendre heureux», rappelle Ali Adnan. Le foot acquiert une fonction sociale et identitaire au sein d’un Irak déchiré par les dissensions confessionnelles. Les joueurs irakiens sont les derniers garants d’une unité nationale aujourd’hui impossible. Une grosse responsabilité. Ali Adnan en sait quelque chose. Mohammed Gassid, gardien de l’équipe nationale et ami d’Ali Adnan, regrette d’ailleurs l’emballement médiatique autour du joueur : «Mais je le soutiens à 100 %. Si j’avais été à sa place, je l’aurais fait.»

«Symbole» et «exemple»

Selon lui, être footballeur irakien, c’est bien plus qu’être un simple sportif : «Quand nous jouons, tout s’arrête en Irak. Les gens arrêtent de travailler, les combats cessent et tout le monde se retrouve car tout le monde se focalise sur la sélection. C’est l’un des rares événements dans le pays qui a ce pouvoir et Ali en est le symbole. En 2007, avant de gagner la Coupe d’Asie [en battant notamment l’Australie et la Corée du Sud, authentiques poids lourds de la Confédération], le niveau de confessionnalisme en Irak était à son maximum. Les Irakiens étaient désunis. Mais grâce à leurs prières, nous avons remporté cette Coupe et je pense que nous avons réussi à réunir les gens malgré ça.» Même son de cloche pour Sharar Haydar Mohamed, vice-président de la Fédération irakienne de football : «Il est immensément populaire en Irak. Tous les jeunes prennent exemple sur lui. Il fait ce qu’il veut, c’est un citoyen irakien. Donc son intervention dans les rangs de l’armée irakienne est légitime car nous avons des ennemis qu’il faut combattre. Je dirais même que ça fait partie de son job. Il apporte un peu de bonheur à ceux qui vivent l’horreur. Il l’a fait de son propre chef. Personne ne l’a forcé, mais quand on est nationalement connu comme lui, alors on a le pouvoir d’aller voir ceux qui protègent la nation pour leur remonter le moral.»

Ali Adnan sait combien son rôle est grand. L’équipe nationale, qui mêle Kurdes, chrétiens, musulmans sunnites et chiites, reste plus que jamais pour lui «le seul moyen aujourd’hui d’unir [notre] pays».

ParLouis-Ary Laristan, Envoyé spécial à Udine (Italie)

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