Bruxelles reste sans voix devant la volte-face d’un allié historique

Published 29/01/2017 in Planète

Bruxelles reste sans voix devant la volte-face d’un allié historique
A Berlin le 13 décembre.

Récit

Face à un Trump férocement anti-UE, l’Europe s’interroge sur l’attitude à adopter. Hollande et Merkel, eux, font bloc.

Ronald Reagan serait pour le moins surpris de découvrir que le nouvel «empire du mal» de Donald Trump, son lointain successeur, est l’Union européenne, et non pas la Russie de Poutine. Après avoir pronostiqué sa disparition rapide, à la veille de son investiture, le président américain a répété devant la Première ministre Theresa May, vendredi, que le Brexit était une «chose merveilleuse» qui va permettre au Royaume-Uni «d’avoir sa propre identité» face au «consortium». «Un mieux», commente, ironique, un diplomate français, après que l’ambassadeur pressenti à Bruxelles, Ted Malloch, a comparé, jeudi sur la BBC, l’UE à l’URSS.

Défi

«J’ai déjà eu des postes diplomatiques, dans le passé, qui m’ont permis d’aider à abattre l’URSS. Alors peut-être qu’une autre Union a aussi besoin d’être domptée», a froidement lâché ce proche de Trump qui a confirmé que le Président «n’aimait pas cette organisation supranationale, non élue, mal dirigée par des bu reaucrates et qui n’est franchement pas une vraie démocratie». Ambiance.

Face à ces attaques d’une rare virulence, surtout de la part d’un allié de toujours, l’Union européenne est restée sans voix, surprise par la brutalité de ce revirement. «Il faut reconnaître que c’est totalement incompréhensible, car on ne comprend pas quel est l’intérêt des Etats-Unis dans l’éclatement de l’Union et de son marché unique ou dans l’isolationnisme commercial», s’interroge ainsi Anthony Gardner, l’ex-ambassadeur américain à Bruxelles. Les institutions communautaires espéraient donc encore la semaine dernière que l’administration et le Congrès américain finiraient par faire entendre raison à ce président hors norme. «Il y a plusieurs cercles dans son entourage, il y a des gens raisonnables qui vont finir par peser sur sa politique», confiait un proche de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission. Mais les jours ont passé et il a fallu se rendre à l’évidence : Trump est déterminé à passer par-dessus bord soixante-dix ans de diplomatie américaine.

S’adaptant à la communication par tweets inaugurée par le président américain, Juncker est précautionneusement sorti de son silence dimanche : «En 2017, nous devrons choisir entre l’isolation nisme, l’inégalité et l’égoïsme nationaliste et l’ouverture, l’égalité sociale et la solidarité qui nous renforcera.»

Pour Bruxelles, l’Empire du mal est manifestement à Washington… A Paris et à Berlin, on a compris depuis longtemps que l’élection de Trump était un tsunami menaçant la stabilité du monde et de l’Europe. Le couple Angela Merkel-François Hollande n’a jamais aussi bien fonctionné qu’en ce moment. Leurs réactions, au lendemain de l’élection de novembre, ont été soigneusement coordonnées afin qu’il n’y ait pas l’épaisseur d’une feuille de cigarette entre eux. Vendredi, les deux dirigeants se sont à nouveau rencontrés à Berlin pour délivrer le même message : Trump représente un «défi» pour l’Union, tant «par rapport aux règles commerciales [que] par rapport à ce que doit être notre position pour régler les conflits dans le monde», a expliqué le chef de l’Etat français. La chancelière a ajouté à ces «défis» «la défense d’une société libre». Samedi, à Lisbonne, Hollande est monté un peu plus dans les aigus : «Lorsqu’il y a des déclarations qui viennent du président des Etats-Unis sur l’Europe et lorsqu’il parle du modèle du Brexit pour d’autres pays, je crois que nous devons lui répondre : l’Europe est devant l’épreuve de vérité, devant l’heure des choix.» Le président français est passé aux travaux pratiques lors d’un entretien téléphonique avec Trump, samedi après-midi, au cours duquel il lui a expliqué que «le repli sur soi est une réponse sans issue».

«Seuls»

Le couple franco-allemand fait le pari que les autres pays européens vont s’agréger autour de lui. C’est déjà le cas non seulement des pays d’Europe du Sud, mais aussi des Pays-Bas, Etat le plus atlantiste d’Europe. Ainsi, Jeroen Dijsselbloem, le ministre des Finances et président de l’Eurogroupe, a estimé jeudi «que nous serons seuls au cours des prochaines années, ce qui peut être une bonne chose. Peut-être est-ce ce dont l’Europe a besoin pour véritablement travailler ensemble». «L’avenir n’est pas écrit», met cependant en garde un diplomate français : «On peut très bien se diviser. Par exemple, sur la sécurité, les pays de l’Est peuvent nous dire que la défense européenne risque d’affaiblir l’Otan, car Trump peut en tirer argument pour s’en débarrasser. Sur le libre-échange, il y a des gens qui vont estimer que, puisque les Américains n’en veulent plus, il faut en profiter pour faire marche arrière. Sur les réfugiés et les migrants, beaucoup vont se retrouver dans sa politique, notamment à l’Est, mais pas seulement.»

ParJean Quatremer, correspondant à Bruxelles

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