Du boulevard pour l’Elysée à la sortie de route en pleine campagne

Published 06/02/2017 in elections-presidentielle-legislatives-2017

Du boulevard pour l’Elysée à la sortie de route en pleine campagne
A Saint-Vulbas, dans l’Ain, le 20 janvier.

récit

Le candidat LR pensait avoir fait le plus dur en remportant la primaire, le voilà empêtré dans les affaires.

C’était il y a deux semaines. Un siècle. Le 23 janvier, à Berlin, le candidat Fillon était à son apogée. Adoubé par Angela Merkel, célébré comme un futur président de la République. D’une voix pleine d’assurance, il prononçait devant l’élite chrétienne démocrate allemande un discours catégorique : à partir de mai 2017, il procéderait «vite et fort» aux «changements nécessaires» afin que la France réformée soit en mesure d’entraîner ses partenaires dans la construction d’une «Europe nouvelle». Mais, dans la soirée du 24 janvier, le scandale a brisé net la trajectoire du favori de la présidentielle. Les révélations du Canard enchaîné sur les revenus considérables de Penelope Fillon pour des emplois supposés fictifs ont frappé de stupeur l’opinion, mais aussi les plus ardents fillonistes. Personne n’était au courant, pas même les inconditionnels de la garde rapprochée. En privé, la déception se transforme en colère, le candidat s’enferrant dans ses dénégations. De nombreux cadres engagés dans cette campagne ont le sentiment d’avoir été trahis. Fillon n’avait-il pas fait de l’honnêteté et de la décence sa marque de fabrique ?

Guerre civile. Effarés par le naufrage qui menace de les engloutir, les députés LR doivent retrouver leur candidat ce mardi matin, à l’occasion de la réunion hebdomadaire du groupe parlementaire. Un rendez-vous potentiellement explosif. Alors qu’aucune alternative à sa candidature ne s’impose, toutes les conditions sont réunies pour que la droite s’enfonce dans une nouvelle guerre civile. «Seul Fillon peut nous tirer de là en se retirant et en adoubant son remplaçant», supplie un ex-ministre. Mais Fillon n’en prend pas le chemin : il reste candidat, a-t-il martelé lundi lors de sa conférence de presse. Vendredi déjà, sur Facebook, il promettait de «tenir bon» face aux attaques d’une gauche qui ne recule devant aucune «calomnie» pour empêcher«le seul projet capable de redresser le pays». Bloqué dans cette posture du réformateur martyrisé, il refuse d’entendre ceux qui lui conseillent de faire publiquement acte de contrition. Ni retrait ni repentance : son obstination désespère nombre de ses amis.

S’il s’entête au-delà du raisonnable, c’est qu’il est pour lui inconcevable de se résigner à tout perdre, si près du but. Que pèse le débat sur l’emploi d’assistante parlementaire de son épouse à côté des 2,9 millions d’électeurs qui se sont déplacés le 27 novembre pour faire de lui un candidat incontestable à l’élection présidentielle ? Au soir de sa victoire à la primaire, les portes de l’Elysée semblaient s’ouvrir largement devant l’ancien maire de Sablé-sur-Sarthe. Une formidable revanche pour cet ex-séguiniste, qui s’est toujours tenu à distance des chiraquiens puis des sarkozystes. En privé, ces derniers moquaient l’orgueilleux Sarthois, courageux mais pas téméraire, condamné à vie, croyaient-ils, aux rôles de numéro 2.

Quand il s’est allié à Nicolas Sarkozy pour la présidentielle de 2007, Fillon a été l’un des plus sévères contre Jacques Chirac, qu’il accusait d’exercer le pouvoir pour le pouvoir, sans véritable ambition réformatrice. Il le dira publiquement en juin 2005, après son renvoi du gouvernement : «Quand on fera le bilan de Chirac, on ne se souviendra de rien, sauf de mes réformes.» Douze ans après, cette saillie résume parfaitement son état d’esprit. Il adressera ce même reproche de manque d’ardeur à Sarkozy, y ajoutant moult critiques sur son comportement, assorti d’interrogations sur son honnêteté. Un responsable politique «n’est pas une vedette» qui fait étalage de sa vie privée, il n’a pas non plus à se mettre en scène comme «un matamore» pour convaincre les électeurs. Et enfin, surtout, il doit être irréprochable sur le plan de la morale et de l’honnêteté. C’est ainsi que Fillon a peaufiné son autoportrait en père de famille intègre, pudique, courageux, honnête, persuadé que les Français sont prêts à «supporter la vérité», si on parle à leur intelligence. Après la défaite de Sarkozy, il s’est battu au nom de «la morale» contre Jean-François Copé, qu’il accusait de lui avoir volé sa victoire dans l’élection à la présidence de l’UMP. Pour déjouer les manœuvres de ceux qui préparaient le retour de Sarkozy, il a été jusqu’à brandir la menace d’une scission pour obtenir l’engagement de tous les dirigeants de l’UMP de se soumettre aux règles de la primaire. Dans tous ces combats, Fillon avait derrière lui un grand nombre de parlementaires, convaincus de tenir là le candidat capable de satisfaire les nouvelles exigences des électeurs : honnêteté, simplicité, parler vrai.

Maître du jeu. Interrogé à Berlin sur le succès de Benoît Hamon, Fillon répondait qu’à gauche comme à droite, les électeurs avaient récompensé le candidat «le plus sincère». Dans la tourmente, il semble croire que cette sincérité peut encore le sauver, les électeurs finissant par se laisser convaincre que l’affaire n’est qu’une machination destinée à priver la droite de sa victoire. Ebranlé, il trouve encore des raisons d’y croire. Les messages de soutien affluent. On se bouscule à ses meetings, comme à Charleville-Mézières jeudi. «Les militants ne le lâchent pas, il peut encore remplir les salles. Ça le rassure, comme cela rassurait Sarkozy», s’inquiète un haut responsable de LR.

Alors que de nombreux élus attendent avec anxiété et impatience son renoncement, on continue de croire à son QG que cette «crise» peut être surmontée. «Il en a vu d’autres, minimise un proche. A chaque fois, il s’en est sorti grâce à ses accents de sincérité.» Rares sont ceux qui partagent cet optimisme. Si Fillon n’a pas été emporté par la bourrasque qui détruit sa candidature, c’est qu’il n’y a pas d’alternative évidente. Affaibli, au bord de la rupture, il reste maître du jeu. «S’il y avait un plan B, on l’aurait déjà installé», note un député LR. Entre les légitimistes prônant la solution Juppé, les sarkozystes qui poussent Baroin et les amis de Wauquiez qui veulent un vote des militants, un renoncement plongerait la droite dans le chaos.

ParAlain Auffray

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