Le «divorce à l’égyptienne» n’a pas dit son dernier mot

Published 07/02/2017 in Planète

Le «divorce à l’égyptienne» n’a pas dit son dernier mot
En 2015, le pays a enregistré une forte augmentation du nombre de divorces. Il y en a eu un toutes les trois minutes en moyenne.

Récit

Face au boom des séparations, le président Al-Sissi aimerait réformer la tradition de la répudiation orale réservée aux hommes.

«Tu es divorcée, divorcée, divorcée !» Il suffit à l’homme égyptien de prononcer ces mots à voix haute, même sous la forme abrégée du «tu es divorcée, triplement» devant sa femme pour la répudier. Le Conseil des oulémas d’Al-Azhar, la plus haute autorité islamique en Egypte, vient de réaffirmer la validité de ce «divorce verbal» comme une pratique «en vigueur chez les musulmans depuis l’époque du Prophète : le divorce ne nécessitant ni témoin ni document». Il rejette ainsi la demande du président Abdel Fattah al-Sissi de réviser la légalité de cette pratique.

Le président de la République égyptienne avait en effet relancé le débat sur cette question polémique. «Dès lors que le mariage doit être documenté, le divorce ne doit-il pas l’être aussi ?» avait-il demandé dans un discours public, suggérant l’adoption d’une loi prévoyant la présence d’un représentant légal pour qu’un divorce soit reconnu. Le chef de l’Etat venait d’être informé de statistiques indiquant une augmentation considérable des divorces parmi les Egyptiens. En 2015, pour 900 000 mariages, le pays a enregistré 160 000 cas de divorce, ce qui équivaut à une rupture toutes les trois minutes. Cela fait un taux de divorce de 40% dans les cinq premières années du mariage.

«Le divorce verbal ne compte pas en réalité»

Sauf que cette augmentation ne serait pas liée au divorce verbal. Car même s’il débouche sur une séparation dans les faits, il n’a pas de valeur légale, soutient Ali Gomaa, l’ancien mufti de la république égyptienne. «Ce sont les divorces enregistrés auprès de la justice qui ont fait un bond de 13% à 40% pendant cette période, a indiqué le chef religieux au cours d’un débat télévisé. Le divorce prononcé par l’homme oralement n’est qu’une intention. Pour être traduit en acte, il doit être formellement enregistré dans les trente jours suivants.» Depuis 1931 en effet, le contrat verbal a été supprimé de la législation égyptienne. «Le divorce verbal ne compte pas en réalité», confirme le prédicateur musulman réformateur Khaled Al-Gindi. «L’homme peut prononcer 20 000 fois les termes du divorce oralement, sans aucune valeur. Il existe deux contrats, l’un pour le mariage et l’autre pour le divorce, et seul le second peut annuler le premier», précise l’expert en jurisprudence.

La controverse reflète une tension entre un pouvoir qui veut afficher son visage modernisateur et une autorité religieuse qui tient à maintenir une tradition machiste, chacun cherchant à défendre son statut et sa position. Des religieux proches du régime saisissent d’ailleurs l’opportunité des déclarations du président Al-Sissi pour demander l’abrogation du divorce verbal. Car le gouvernement égyptien semble déterminé à introduire une nouvelle loi dans ce sens dans les semaines qui viennent. Cela fait plus de six mois qu’elle est en préparation. «Elle n’aura pas d’effet sur le nombre de divorces mais pourrait contribuer à garantir le droit des femmes, affirme l’avocate Intissar Said. Car les hommes ont recours au divorce verbal pour échapper à leurs obligations financières envers leurs épouses et enfants.» Dans 80% des cas, ce sont les causes économiques, selon l’avocate, qui sont à l’origine des demandes de divorce faites par les femmes. Le refus de l’homme de subvenir aux besoins de la famille pousse les femmes à user de ce droit très inégal qu’elles ont dans la législation égyptienne.

Innombrables obstacles pour les femmes

Comme le soulignait un rapport de l’organisation Human Rights Watch, datant de 2004, «en Egypte, les hommes jouissent d’un droit unilatéral et inconditionnel au divorce. Ils n’ont jamais à se présenter devant un tribunal pour mettre un terme à leur mariage. Les femmes, par contre, doivent recourir aux tribunaux pour divorcer de leurs époux et ce faisant, elles se trouvent confrontées à d’innombrables obstacles sociaux, juridiques et bureaucratiques». Les femmes qui demandent le divorce en Egypte ont deux options : le divorce pour faute ou sans faute. Pour pouvoir entamer une procédure de divorce pour faute, qui peut lui octroyer des droits financiers complets, une femme doit apporter la preuve des torts causés par son époux pendant leur mariage. Même les accusations de violences physiques doivent souvent être étayées par des témoins.

Depuis 2000, les Egyptiennes bénéficient de la possibilité de demander le divorce sans faute. Mais pour ce faire, elles doivent accepter de perdre leurs droits financiers et de rembourser la dot que leur a apportée leur mari lors de la conclusion du mariage. «Il est paradoxal que dans une société où 35% des foyers sont nourris par des femmes et où les jeunes filles réussissent bien mieux que les garçons dans les études, que le sort d’une femme soit scellé par quelques mots prononcés par l’homme», écrit Amina Khairi. L’éditorialiste égyptienne salue dans sa chronique dans le quotidien Al-Hayat «l’initiative progressiste du maréchal Al-Sissi face au traditionalisme d’Al-Azhar».

La controverse autour de ce sujet de société a servi en tout cas à animer les débats sur la scène publique égyptienne, faisant une utile diversion par rapport à l’étranglement économique que traverse le pays.

ParHala Kodmani

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