Russie : pas de répit pour l’opposant Alexeï Navalny

Published 08/02/2017 in Planète

Russie : pas de répit pour l’opposant Alexeï Navalny
Alexei Navalny en septembre 2013 lors de la campagne électorale pour la mairie de Moscou.

Récit

L’adversaire principal de Vladimir Poutine a été condamné mercredi à cinq ans de prison avec sursis pour détournement de fonds.

C’est une affaire qui n’en finit pas de traîner et de rebondir. Alexey Navalny, la figure la plus en vue de l’opposition à Vladimir Poutine, a été condamné mercredi pour la deuxième fois, dans la même affaire, à la même peine de cinq ans de prison avec sursis et 8 000 euros d’amende. Il est accusé par la justice russe d’avoir orchestré en 2009 un détournement de fonds à hauteur de 400 000 euros au détriment de la société publique d’exploitation forestière Kirovles. A l’époque, il était conseiller du gouverneur libéral de la région de Kirov (à 900 km de Moscou), Nikita Belykh, lui-même en détention depuis l’été dernier car soupçonné d’avoir touché des pots-de-vin.

Lors d’un premier procès, selon lui complètement fabriqué dans le but de gêner son ascension politique, Navalny avait été condamné, en 2013, à une peine identique. La décision du juge est la même à la virgule près. Littéralement. Il a simplement recopié la précédente, a révélé l’opposant, blogueur invétéré, dans une série de tweets, publiés depuis la salle d’audience. «Il lit mot pour mot la condamnation précédente», a écrit Navalny, en publiant des photos de cet ancien document. Ce qui rendait la situation encore plus cocasse, c’est que cette condamnation de 2013, après avoir été dénoncée comme «arbitraire» et «politiquement motivée» par la Cour européenne des droits de l’Homme, avait été cassée par la Cour suprême russe en novembre dernier et renvoyée en première instance.

«Télégramme du Kremlin»

Depuis qu’il a pris la tête de l’opposition anti-Poutine, pendant les manifestations de 2011-2012, Alexey Navalny, avocat, fustige infatigablement le pouvoir. Spécialisé dans les enquêtes sur le patrimoine caché des proches de Poutine et autres députés et gouverneurs, mais aussi sur les schémas de corruption à grande échelle, organisés par ces élites, il est régulièrement aux prises avec la justice. Condamné à de multiples reprises à des peines administratives à l’issue de manifestations, il écope en 2014 de trois ans et demi de prison avec sursis pour une autre affaire de détournement de fonds, au détriment cette fois d’une filiale russe de la société Yves Rocher. Toutefois, en septembre 2013, à son étonnement, il est autorisé à briguer la mairie de Moscou. Sans surprise, il ne parvient pas à déloger le maire sortant Sergei Sobianine, mais fait néanmoins un score honorable, en arrivant deuxième avec 27,2%.

Pour Navalny, il n’y a aucun doute, l’affaire Kirovles 2 est principalement destinée à saper ses ambitions politiques, et notamment son intention de défier le Kremlin à l’élection présidentielle de 2018. «Ce que nous venons de voir, c’est une sorte de télégramme de la part du Kremlin, a déclaré l’opposant à l’issue du jugement. Ils me considèrent, moi, mes partisans, mes électeurs, comme étant trop dangereux pour nous laisser participer aux élections. Mais nous ne reconnaissons pas ce jugement, il sera annulé. En vertu de la Constitution, j’ai le droit de participer au scrutin.»

«Vaste blague»

Si l’opposant n’a rien perdu de sa résolution et de son désir de braver le système, son avenir politique demeure incertain. Effectivement, la Constitution russe permet à quiconque n’est pas en détention de se porter candidat à des élections. Sauf que selon la loi électorale, l’article 160 du Code pénal en vertu duquel Navalny a été condamné, un «crime grave» le rend inéligible. Même en cas de réhabilitation ou d’annulation judiciaire, il faut attendre dix ans avant de pouvoir se présenter. Par ailleurs, cette même loi stipule que tout candidat, s’il a fait l’objet d’une condamnation, doit avoir impérativement purgé sa peine, qu’il s’agisse de prison ferme ou de sursis. Or, si le jugement entre en vigueur, la justice prenant en compte trois ans et demi de la peine originelle, il restera à Navalny 18 mois à purger, selon son avocate Olga Mikhailova. Ce qui ne lui permettra pas de se présenter à la présidentielle de mars 2018.

En réalité, quels que soient les conflits institutionnels, c’est le Kremlin qui décidera in fine si le candidat de l’opposition pourra tenter sa chance, insistent les observateurs. Et le pouvoir ne sera pas guidé par des impératifs de liberté démocratique, mais par ses intérêts propres. «Le but du Kremlin est que le prochain scrutin ne soit pas une vaste blague, a expliqué à Reuters la politologue Lilia Shestova. Et Navalny est gardé en réserve, comme un atout, mais il est trop tôt pour dire si la carte sera jouée.»

ParVeronika Dorman

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