A Calais : «Suivez-nous, on vous emmène pour aide à l’immigration»

Published 16/02/2017 in France

A Calais : «Suivez-nous, on vous emmène pour aide à l’immigration»
Un local du Secours catholique à Calais, le 9 février.

Récit

Une journaliste de «Libé» raconte comment elle et une membre du Secours catholique ont été interpellées mercredi en accompagnant des réfugiés mineurs aux douches.

C’est l’histoire d’une douche manquée et d’une douche froide. Il est 14 heures, mercredi, je suis avec Mariam Guerey, salariée du Secours catholique. On arrive au volant de la camionnette de l’association au local flambant neuf où se trouvent des douches, rue de Moscou à Calais. Contre l’avis de la mairie et de l’Etat, l’association offre la possibilité de se laver aux exilés de retour à Calais depuis le démantèlement de la «jungle». On part chercher des migrants dans un autre local, à l’écart de la ville, transformé en accueil de jour et où près d’une centaine de réfugiés passent désormais quotidiennement. Les bénévoles et salariés sont un peu tendus : les migrants peuvent se faire arrêter, placer en rétention, expulser. Les conduire aux douches, c’est les pousser dans la gueule du loup.

Lundi, le tribunal administratif avait d’ailleurs condamné la ville de Calais pour avoir installé quelques jours plus tôt une benne à ordures devant le Secours catholique afin d’empêcher l’association d’en installer. Et dans la Voix du Nord, la préfète insistait : ce type d’équipement «ne peut que contribuer à créer un point de fixation à Calais, ce que nous voulons éviter».

Pascal, prof de maths à la retraite, bénévole au Secours catholique : «Avant, les forces de l’ordre ne venaient pas sur les lieux de distribution de nourriture et de douches.» L’association décide que seuls les mineurs s’y rendront : même sans papiers, ils sont d’abord des enfants, donc pas en situation irrégulière. «Au pire, les policiers les enverront à Saint-Omer», dit Mariam Guerey. Saint-Omer, c’est là où se trouve la Maison du jeune réfugié, à 50 kilomètres de là, où les mineurs se posent quand ils sont trop fatigués, mais où les places manquent.

«Réquisition». Ce mercredi, à l’accueil de jour de l’association, la plupart des migrants sont jeunes, même si les majeurs sont de plus en plus nombreux. Il y a aussi deux femmes érythréennes. Sur la dizaine de volontaires pour aller aux douches, sept d’entre eux ont finalement le droit de monter dans la camionnette. Il est 15 heures. Inquiète, Mariam Guerey conduit. «Se doucher, c’est comme manger. Qu’est-ce qu’on attend, qu’il y ait la gale ?»

A l’arrivée devant le local, un fourgon de CRS démarre et barre l’entrée de la cour. Mariam Guerey baisse sa vitre. Un CRS jette un œil sur les jeunes : «Ils ont des papiers d’identité ? Mineurs, majeurs ? Quel pays ?» Elle répond qu’ils sont sept Erythréens, tous mineurs. Depuis la camionnette, on appelle sur son portable le président du Secours catholique du Pas-de-Calais et ancien colonel de gendarmerie, Didier Degremont. Présent sur les lieux, il tente de parlementer avec les CRS qui l’empêchent d’approcher du véhicule. «Ils disent qu’ils ont une réquisition du procureur, mais ils ne nous l’ont pas montrée. C’est fait uniquement pour gêner l’activité douches», nous dit-il. Les CRS réclament nos papiers, on donne nos pièces d’identité et ma carte de presse. Les gamins s’inquiètent. Retour du CRS à la vitre : «Suivez-nous, on vous emmène.» Mariam Guerey : «Qu’est-ce que j’ai fait ?» Le CRS : «Aide à l’immigration.» Elle : «Je suis salariée du Secours catholique. J’emmène ces mineurs prendre des douches, je ne fais rien de mal.» Le CRS : «Vous expliquerez ça à l’officier de police judiciaire.» Au volant, elle suit le fourgon de CRS. «Ça fait quatorze ans que j’aide les migrants. Ils ont mis du temps à le voir…»

Au commissariat, il faut abandonner les adolescents et monter toutes les deux dans une voiture vers la police aux frontières (PAF), en direction de Coquelles (Pas-de-Calais). Pour alerter la rédaction de Libération à Paris, je tweete l’info sur mon smartphone, puis un policier m’oblige à l’éteindre. A la PAF, on attend toutes les deux presque une heure et demie. On comprend à écouter les bavardages des huit CRS à l’entrée que les mineurs ont déjà été relâchés. Mariam Guerey : «Quand je pense qu’en 2009, le Secours était réquisitionné par l’Etat pour mettre en place des douches à cause de la gale…»

«Méprise». Mariam Guerey part pour être entendue, puis c’est mon tour. La dernière fois que j’étais dans les bureaux de la PAF, c’était pour interviewer ses responsables sur leurs activités contre les passeurs. Immédiatement, l’officier présente ses excuses : «C’est une audition libre. Vous avez le droit de ne rien dire. Et de partir.» Dans la voiture qui nous ramène vers Calais, les policiers expliquent à Mariam Guerey : «Il y a eu méprise sur la personne, excusez-nous, hein.» Impossible jeudi de joindre le procureur adjoint de Boulogne-sur-Mer, Philippe Sabatier, pour qu’il justifie les «réquisitions» à notre encontre.

En début de soirée il nous a finalement assuré qu’il s’agissait d’une erreur d’appréciation. «Des réquisitions avaient été prises pour la journée, sur un périmètre précis, à des horaires précis. Dans un premier temps, un placement en garde à vue a été envisagé pour aide au séjour irrégulier, mais le parquet a tout de suite pris la mesure des faits, aucun élément n’était susceptible de caractériser une infraction.» Une version difficile à corroborer. Car entre-temps, le ministère de l’Intérieur, alerté par la direction du journal, était intervenu. Au Secours catholique, on annonce qu’on ne «laissera pas passer» cette atteinte au droit des associations à venir en aide. «La police nous a empêché de remplir notre mission», s’insurge Véronique Devise, la présidente. Les douches reprennent ce vendredi. Ces jours-ci entre 100 et 500 migrants se trouveraient à Calais selon les sources. Et l’association a déjà détecté «deux cas de gale et un cas d’impétigo».

ParHaydée Sabéran, envoyée spéciale à Calais

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