Balotelli dans les grandes langueurs

Published 19/02/2017 in Sports

Balotelli dans les grandes langueurs
Mario Balotelli à la 68e minute, au moment de son expulsion, samedi à Lorient.

Reportage

Irritabilité, incohérence complète dans le jeu, et un carton rouge en bouquet final… Face à Lorient samedi, la star déchue mais pas démunie de l’OGC Nice, vainqueur 1-0, a poursuivi son chemin hors de tout sentier balisé.

Le premier truc que l’on a repéré : les relances courtes plein axe du gardien niçois. On s’est pointé samedi au stade du Moustoir pour voir l’équipe azuréenne, véritable sensation d’un championnat 2016-2017 de Ligue 1 qui les voit tenir la dragée haute aux deux monstres que sont le Paris-SG et l’AS Monaco, s’imposer chichement (1-0) à Lorient.

Et on s’est retrouvé avec une figure de style aussi inédite – du moins sous nos latitudes – qu’un strip-tease sur le perron de l’Elysée à 20 heures moins une un soir de présidentielle : un portier qui sert toujours le défenseur le plus aveugle au jeu puisqu’il est alors complètement tourné vers son propre but.

L’orthodoxie hexagonale (ou espagnole, ou allemande, ou…) commanderait au contraire à Yoan Cardinale de donner le ballon à un défenseur de côté car ce dernier dispose d’un angle de vue embrassant les joueurs adverses quand il se tourne vers le ballon qui vient, c’est-à-dire son propre but. Donner le ballon à un type qui ne voit rien ? Au risque de le perdre, dans une zone où on est à peu près sûr de prendre un but derrière ? C’est ça. Mais non : un coup d’œil sur les stats nous apprend que l’OGC Nice n’en prend pas beaucoup, 20 en 26 matchs, deuxième défense de Ligue 1 après Paris. Mystère.

Un autre coup d’œil donc, celui-là pour l’architecte, l’entraîneur suisse du club, Lucien Favre, debout au bord de la touche sous sa doudoune. Et là, on voit que le natif du canton de Vaud s’inquiète. L’objet de ses tourments : son attaquant Mario Balotelli, ex-mégastar (à 27 ans seulement) donnée perdue pour le foot après deux saisons blanches sans qu’une blessure y soit, en principe, pour quelque chose, en rédemption ou supposée telle sur la Côte d’Azur. Trois minutes de jeu et le joueur s’agace de voir un défenseur lorientais ralentir exprès sa course pour le bousculer : une grosse poussette de l’international italien, son adversaire s’étale complaisamment et l’arbitre, Tony Chapron, choisit de réprimander le fautif sans y adjoindre le carton jaune de rigueur. Ça n’a déjà plus la moindre importance.

Symposium permanent

Car l’esprit de Balotelli a vidé les lieux. L’attaquant file à gauche quand on le lance à droite, en retrait quand le ballon file en profondeur. Autour de lui, l’OGC Nice de samedi tenait de la congrégation de séminaristes. Studieuse, appliquée – le ballon au sol, les gars ! Au sol ! – et un brin théorique : un symposium permanent de joueurs n’en finissant plus de se corriger par la voix, de manière plus ou moins amène d’ailleurs. Quand un Younès Belhanda ou un Dante Costa Santos (dit Dante) ont quelque chose à reprocher au copain, ils ne s’embarrassent pas et après tout, ça contraste avec l’atmosphère de dissimulation et de paranoïa – les mains des joueurs devant la bouche pour empêcher la lecture labiale, véritable marqueur hexagonal – qui règne partout ailleurs en Ligue 1. Balotelli râle aussi bien sûr. Mais autrement. Pas aux mêmes moments.

Lui n’est pas connecté au jeu : voyez, vous vous attendiez à ce que je ronchonne… Hé bien je ronchonne ! Comme s’il devançait l’appel. Au fond, il fuit quelque chose. Exagérer la désinvolture et l’égoïsme dans les proportions où l’Italien l’a fait samedi, ce n’est pas seulement organiser son suicide social : Balotelli se dissimule et, partant, il se protège. Juste avant la mi-temps, il brosse un ballon en le frappant verticalement, comme pour un numéro de cirque. Circulez, il n’y a (plus) rien à voir.

L’Italien mettra fin à son calvaire à la 68e minute en insultant un arbitre qui, cette fois-ci, ne se voyait pas faire comme s’il n’avait rien entendu. Rouge, vestiaire. Et passages drolatiques devant quelques reporters attendant de recueillir les impressions des joueurs après la rencontre. Un vigile rompit la glace en lui expliquant naïvement que la salle de presse était pleine de gens curieux de l’entendre. Franc sourire du joueur, désarmé : mais qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ?

On va le faire pour lui. Les observateurs les plus méchants prennent Balotelli pour un demeuré, ceux qui pensent faire preuve d’empathie jouent ad nauseam la note triste du jeune surdoué qui n’a jamais confirmé et l’opinion des premiers a autant de valeurs que celle des seconds, et autant que l’avis de ceux qui s’en foutent. La vérité crèverait les yeux d’un gamin de 5 ans : en l’état, Balotelli n’a rien à faire sur un terrain parce que jouer au football l’ennuie. Les professeurs ont le droit de s’emmerder, les comptables ou ceux qui traient les vaches aussi. Mais pas les joueurs de foot, enfin pas ceux qu’on a vus aussi forts que Balotelli en 2012, quand il éliminait (2-1), à lui seul et à 22 ans, la Mannschaft allemande en demi-finale de l’Euro.

L’homme au secours du joueur

Peut-être que le jeu de football est en cause, peut-être que c’est l’embryon de vie sociale qui va avec, peut-être encore que le vestiaire cristallise un truc qui vient de plus loin. Personne n’en sait rien. Même lui ? En tout cas, il parle par énigmes. Un jour, on lui a demandé pourquoi il ne célébrait plus ses buts. L’attaquant a répondu par une question : «A-t-on déjà vu un facteur sauter de joie après avoir délivré un colis ?» Une posture de plus, celle d’un prétendu «serial buteur» qui ne plante qu’une douzaine de buts par exercice les années fastes – le Lyonnais Alexandre Lacazette en met plus du double depuis quatre saisons sans fasciner personne.

Samedi, pratiquement tous les joueurs niçois ont été invités à passer à confesse sur un sujet par nature délicat, le club qui les emploie lâchant quelque 450 000 euros mensuels brut à l’Italien quand le gros de l’effectif patrouille sous les 40 000. Et tous ont appelé l’homme au secours du joueur, manière de laisser inconsciemment entendre qu’ils préfèrent le premier au second. Le capitaine, Paul Baysse, s’est défaussé : «Je ne sais pas, je n’ai pas vu l’action ayant déclenché l’expulsion.» Yoan Cardinale y a mis un mélange de respect et de tendresse : «Mario a sa propre personnalité. Qu’est-ce que vous voulez qu’on lui dise ? Vous le voyez sur le terrain. Du coup, vous n’imaginez pas à quel point il est bien intégré à l’intérieur du vestiaire. Il n’y a jamais eu un souci. Peut-être que l’arbitre avait envie de se payer le personnage. C’est un perfectionniste, très dur avec lui-même.»

Là, Cardinale parle de sa personne, pas du fantôme du Moustoir. Après, il est clair que Balotelli s’emploie d’abord à exister aux yeux de Balotelli. Arnaud Souquet, suspectant à juste titre les médias d’entretenir le mythe d’une sorte de bête de cirque : «Non, son attitude ne nous agace pas et moi, je vous [les journalistes] vois venir. On dirait que ça vous fait plaisir. Il faut arrêter de ne voir que ses mauvais côtés. Mario est top à vivre. Quant à sa prestation de ce soir [samedi], ce n’est pas à nous, joueurs, de le juger.»

«Parfaitement ridicule»

De fait, c’est le rôle de Lucien Favre, – le professeur Nimbus suisse qui aime les relances courtes dans l’axe du terrain. Des semaines qu’on lui parle d’un Balotelli qui lui a été imposé en début de saison par sa direction, des semaines qu’il n’en peut plus des questions, du joueur, des défausses de rigueur. Samedi, Favre a mis le stop.

Un journaliste : «Vous en voulez à Balotelli ?» Favre : «Non. Je ne suis pas comme ça. Je n’ai pas vu la faute sur l’expulsion [les mots, en fait, ndlr]. Il y a quoi ?»

Un autre journaliste : «Et quand il engueule ses partenaires ?» Favre : «Je n’ai rien vu de spécial [vrai, tout le monde s’engueulait, ndlr]. Moi, je fais avec, c’est tout. Mario a fait une excellente semaine d’entraînement avec nous. J’ai constaté des progrès. Personne ne s’attendait à son expulsion à Lorient.»

Un troisième : «Est-ce que les arbitres lui font payer sa réputation ?» La question de trop. Favre n’a pas supporté. «Pourquoi vous dites ça ? Parce que c’est Balotelli, c’est ça ? C’est ridicule ! Parfaitement ridicule. Les arbitres sont impartiaux ! Mais pourquoi est-ce que vous laissez entendre un truc pareil ?»

La conférence de presse terminée, Favre a repris langue avec le journaliste pour écraser le coup, semblant regretter ce qui ressemble quand même à un coup de sang. On peut voir dans la défense du corps arbitral contre son propre joueur, totalement étrangère aux usages de la Ligue 1, une forme de tropisme suisse, un pays où les passants appellent la police pour donner le numéro d’immatriculation de ceux qui ne respectent pas le code de la route. Pour autant, on tomberait dans le panneau. La gestion du cas Balotelli demande à Favre une énergie folle ainsi qu’une maîtrise d’à-côtés périphériques au jeu (psychologie, communication…) qu’il a du mal à considérer comme faisant partie de son job d’entraîneur.

Ce qui passionne Favre, ce sont les relances courtes du gardien. A ce propos, on a demandé la raison aux joueurs et ils ont ramé, l’un expliquant pour rire que ses défenseurs de côtés sont nuls (l’un d’eux passait alors dans son dos), l’autre croyant savoir que cette façon de faire aspire un joueur adverse de plus. Puis Favre s’y est collé. Et ça a été son meilleur moment de la soirée : «Relancer dans l’axe donne plus d’angle pour la sortie du ballon ensuite. Après, ça dépend comment l’adversaire presse, s’il évolue avec deux attaquants ou trois…» On ne l’arrêtait plus. Hors du foot, Favre, c’est l’oiseau tombé du nid. Comme Balotelli sur le terrain.

ParGrégory Schneider, envoyé spécial à Lorient (Morbihan)

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