«On ne peut pas être insoumis et allié au PS»

Published 22/02/2017 in elections-presidentielle-legislatives-2017

«On ne peut pas être insoumis et allié au PS»
Lors d’une réunion publique de Jean-Luc Mélenchon à Strasbourg, le 15 février.

Reportage

De Paris à Grenoble en passant par Strasbourg, immersion parmi les militants de la «France insoumise», qui soutiennent Jean-Luc Mélenchon dans son refus de s’allier avec Benoît Hamon.

Après deux heures de discussion studieuse sur «l’école désindustrialisée» de demain, maquette à l’appui, les voix qui jusqu’alors peinaient à couvrir le brouhaha du petit café se font tout à coup vibrantes. Pugnaces, même. La conversation vient de dériver sur la question d’une alliance entre Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon. Nous sommes aux Tontons bringueurs, dans le XXe arrondissement de Paris, lundi soir. Une vingtaine d’«insoumis» sont réunis pour parler éducation. Ce bar est l’un des trois lieux où Libération est allé écouter ces derniers jours la «France insoumise», alors que Mélenchon est ce jeudi l’invité de l’Emission politique de France 2.

S’uniront, s’uniront pas ? Pierre, cahier rouge orné d’autocollants mélenchonistes sur les genoux, soupire : «On dirait les Feux de l’amour, c’est horrible.» Il assure que les tractations politiciennes ne l’intéressent pas. A ses côtés, d’autres jugent que la question de la coalition éclipse «les sujets de fond» en ne mettant pas l’accent sur «le bon point de vue». Eux ne veulent pas d’un court terme dicté par la présidentielle : «On a envie que le mouvement aille au-delà des élections», prévient Joël, le «chef» du groupe à l’initiative du rassemblement du jour. Ce gardien de prison de 52 ans a créé ces rendez-vous dans son quartier il y a un an. Et comme ses camarades, il milite pour «la révolution citoyenne» : «Victoire ou pas victoire, l’élan va se partager.»

Rupture consommée

Quelques jours plus tôt, dans une réunion du même genre au Fontanil (Isère), près de Grenoble, Laure évacuait elle aussi le débat autour de l’alliance Mélenchon-Hamon qui relève, selon elle, de «contingences de parti». «Ce n’est pas de ça dont les insoumis ont envie de parler, mais de faire avancer un projet cohérent issu d’une convergence d’aspirations citoyennes», dit la quinqua. Son engagement s’est «concrétisé avec l’idée de VIe République et de souveraineté populaire» : «reconquérir un pouvoir politique est fondamental pour envisager quoi que ce soit d’autre.» Membre du Parti de gauche, cette ancienne technicienne industrielle s’est reconvertie dans la bioconstruction. Rejoindre la France insoumise lui a semblé la meilleure manière «de reprendre les choses en main par la base». Joachim, lui, voit dans la VIe République l’occasion de «faire tourner la machine sans dérapage, sans corruption» : «Il devrait y avoir un code du travail des élus. C’est la structure actuelle qui crée la magouille», estime-t-il.

Réunion d’«insoumis»  dans le XXe arrondissement de Paris, lundi…

Réunion d’«insoumis» dans le XXe arrondissement de Paris, lundi… Photo Denis Allard. REA pour Libération

Pour Philippe, ce changement de régime constitue le socle de la «justice sociale» et de l’impérative transition énergétique : «Si la COP 21 n’est pas suivie de changements, il faut pouvoir planifier et investir dans autre chose qui permette à l’espèce humaine de survivre, sans revenir à l’ère de la bougie.»

Depuis le vote de la loi travail, cet ingénieur dans l’industrie s’est retrouvé «désespéré au niveau politique» : «J’ai toujours voté EE-LV au premier tour et PS au second. Mais là, je me suis demandé comment j’allais faire en 2017.» Son fils de 25 ans lui parle de Mélenchon et cet «optimiste» retrouve de l’allant : «Tout ce qui est là, c’est possible», dit-il en posant le doigt sur l’Avenir en commun, le livre du candidat.

A Paris, aux Tontons bringueurs, Guillaume ne dit pas autre chose. «Jean-Luc Mélenchon incarne une possibilité de changement. Il y a parmi nous des gens effondrés vis-à-vis du système. Certains sont issus de l’altermondialisme ou de Nuit debout.» Des électeurs qui ont souvent voté Hollande en 2012 et pour lesquels, après ce quinquennat, la rupture avec le PS est consommée. «Il a été élu sur une image de gauche, et le mec fait une politique de droite, tance Guillaume, comédien de 51 ans. Nous, gens de gauche qui ne pouvions pas être dans l’opposition, contre qui on pouvait se retourner ? On a été désarticulés.» Sa compagne, Delphine, est plus virulente : «Hollande nous a tués, il m’a brisée.»

Soirée d'un groupe d'appui des « Insoumis » portant sur le logement social à Grenoble dans une pâtisserie du centre ville le 20-02-17. Au centre Emilie Marche, conseillère régionale (du Rassemblement Citoyens, Ecologistes, Solidaires) d'Auvergne Rhône Alpes.

…Et à Grenoble, le même jour. Photo Pablo Chignard. Hans Lucas pour Libération

C’est pourquoi, sous les guirlandes lumineuses multicolores du bistrot, le verdict est unanime : «il n’y a pas d’arrangement possible» avec le candidat du PS, Benoît Hamon. «C’est un peu mieux que Valls, mais il reste socialiste !» résume un jeune. Or comme «il n’a pas quitté le parti, il est obligé de se poser en rassembleur, constate Raphaël. Bientôt, c’est la branche libérale du PS qui deviendra frondeuse et empêchera Hamon de gouverner». Sur le ton de l’évidence, sa sœur Constance souligne que les insoumis «ne peu[vent] techniquement pas s’associer à madame El Khomri», dont la loi a constitué pour ces électeurs un énième point de rupture. Dans la longue liste figurent aussi «le 49.3», «le traité transatlantique», «la vente d’Alstom» ou «l’état d’urgence».

Si les deux leaders de la gauche venaient à s’associer, Emmanuel pense que «beaucoup d’insoumis partiraient». Un «divorce» entre Jean-Luc Mélenchon et sa base qui aurait lieu, selon eux, même dans l’hypothèse où la candidature commune serait portée par leur meneur.

«Empire du mal»

«On ne peut pas être insoumis et allié au PS», résume Nicolas, à 500 kilomètres de là. Mercredi 15 février, à Strasbourg (Bas-Rhin), ce lycéen assiste à la réunion publique de Mélenchon. «Je le soutiens, mais ça va être compliqué. Je ne pense pas que ça paiera.» Dans l’assistance – 4 500 personnes – il n’est pas le seul à craindre qu’une candidature isolée ne permette pas de passer le premier tour. Plus loin, Pierre, professeur des écoles de 43 ans, «ne pense pas que le PS arrivera à exclure les libéraux qui sont en désaccord avec Mélenchon. Il faut que les gens choisissent». Hervé, curieux plutôt qu’insoumis convaincu, considère à l’inverse que pour le bien de la gauche, «il faudrait une candidature commune». Mais pour d’autres, la gauche en tant qu’entité unique, «c’est fini». Et les mélenchonistes qui sont sur cette ligne n’envisagent aucun compromis : «On ne peut pas lâcher sur les idées, tout se tient dans le programme [de la France insoumise]», argumente l’un d’eux.

La question des législatives apporte de l’eau à leur moulin : En cas de coalition, «ça veut dire qu’il faudra des postes pour les socialistes !» Autant de petits arrangements qui obligeront Mélenchon à céder du terrain «sur le fond». Or «l’empire du moindre mal, c’est toujours l’empire du mal», regrette un retraité. Cet ancien chef d’établissement imagine que les déçus du quinquennat qui envisagent à contrecœur de revoter PS pour ne pas mettre la droite au pouvoir soient victimes d’une «fatalité intégrée» : «Ceux qui se couchent devant le libéralisme ne sont pas foncièrement mauvais, ils pensent simplement qu’ils ne peuvent pas faire autrement. C’est faux.»

Ombre du FN

Et qu’importe si une division de la gauche laisse planer l’ombre d’un Front national victorieux. «Mélenchon doit garder son indépendance. Si les gens ne veulent que du FN, alors tant pis, on s’engouffrera dedans», dit Frédérique, une assistante sociale désabusée. «Si la France veut Le Pen, elle l’aura», répète une militante qui n’en peut plus d’être «culpabilisée par Hamon. On fera autrement, on sera dans les mutineries». Sa voisine anticipe déjà la nécessité de se munir de «fourches», dans une conversation qui vire au tragicomique.

Au Fontanil, la soirée au café du village touche à sa fin. Raphaël, 30 ans, et Joachim, sexagénaire encarté au Parti communiste, n’étaient jamais venus auparavant. Ils quittent la réunion en insoumis convaincus. Joachim se félicite de l’impression de «partage» et de «destination commune» qu’il a ressentie au sein du groupe d’appui. Laure et Philippe restent pour ébaucher l’agenda : tractages sur les marchés, dans les boîtes aux lettres, réunions de quartier. Sans oublier «la vie de tous les jours, dans le tram, à la boulangerie», où chaque occasion est bonne pour «entamer la discussion».

ParMaïté Darnault, en Isère

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