A Toulouse, rideau sur l’école musulmane

Published 26/02/2017 in France

A Toulouse,  rideau sur l’école musulmane
L’école Al-Badr, à Toulouse, jeudi.

Récit

L’établissement Al-Badr, au Mirail, a été fermé de force lundi dernier, deux mois après une décision de justice. Une affaire qui illustre le statut controversé des lieux d’enseignement sans contrat.

La cour de récréation recouverte de gazon synthétique est vide. Le portail bloqué. Cette fois, l’école musulmane hors contrat Al-Badr («la pleine lune» en arabe), dans le quartier du Mirail à Toulouse, est bel et bien fermée. Condamnée le 15 décembre par le tribunal correctionnel de Toulouse à une interdiction définitive d’exercer, l’association gérant cette école refusait jusqu’ici de plier. Le 2 février, la mairie de Toulouse avait envoyé devant l’école des agents municipaux, accompagnés de policiers, distribuer des courriers aux parents leur demandant d’inscrire leurs enfants dans une autre école. Mais rien n’y faisait. Avant les vacances de février, quelque 80 élèves, selon le rectorat, se rendaient chaque matin dans cet établissement, devenu pourtant illégal… Il aura fallu attendre deux mois pour que les autorités parviennent à la fermeture effective. Lundi dernier, plusieurs équipages de police positionnés devant l’école, cette fois sous prétexte de «contrôle d’identité», ont permis l’application de la décision de justice. Depuis, les grilles sont restées fermées.

«L’exemple de cette école toulousaine est la parfaite illustration que notre régime de droit actuel organise l’impuissance publique. D’où la volonté que nous avions de le faire changer», commente, un peu amer, l’entourage de la ministre de l’Education. En juin 2016, Najat Vallaud-Belkacem présentait en effet un plan pour modifier le régime d’autorisation de ces écoles hors contrat, sans lien aucun avec l’Education nationale. Ces établissements, qui ne scolarisent qu’un petit pourcentage d’élèves en France (0,4 % des effectifs), sont en hausse depuis quelques années (+ 26 % entre 2011 et 2014). On en dénombre environ 1 300 sur le territoire, dont 300 confessionnels. L’école Al-Badr en est un.

Texte retoqué

Ces établissements qui ne reçoivent pas un centime de l’Etat, ont une totale autonomie : n’importe qui, à condition d’avoir 21 ans et le bac, peut ouvrir une école, embaucher qui il souhaite en guise d’enseignants, sans condition de diplômes, sans être tenu de suivre les programmes officiels. L’Etat n’exerce un contrôle qu’a posteriori, une fois l’école ouverte, pour s’assurer que l’enseignement ne comporte rien «de contraire à la République et au respect des lois» et que les élèves maîtrisent le socle commun de connaissances. La ministre Najat Vallaud-Belkacem souhaitait modifier le régime d’ouverture, très libéral, pour passer à un système d’autorisation préalable, permettant aux autorités de pouvoir s’opposer au projet avant son ouverture. Rapé. Le Conseil constitutionnel, saisi par des parlementaires de l’opposition, a retoqué le texte début janvier considérant qu’il portait atteinte à «la liberté d’enseignement». Pour l’entourage de la ministre, il aurait pourtant évité l’imbroglio toulousain.

«Cette école avait des fragilités pédagogiques dès le départ.» D’emblée en effet, raconte le directeur académique des services de l’Education nationale (Dasen) toulousain Jacques Caillaut, «la première visite des inspecteurs faisait état de problèmes à Al-Badr». L’école, ouverte en septembre 2013, accueille à l’époque une centaine d’enfants, en maternelle et primaire. L’établissement est contrôlé une première fois en juin 2014. «Les inspecteurs envoyés sur place n’ont pas pu avoir accès aux documents administratifs demandés», indique le premier rapport. Deuxième visite, le 7 avril 2015. Dans leur compte rendu, les inspecteurs écrivent cette fois : «Il n’a pas été possible d’observer les élèves en situation d’apprentissage. Une partie des locaux est demeurée inaccessible. Nous n’avons pas rencontré l’équipe pédagogique.» Les informations parcellaires recueillies sur place, explique encore le rectorat, laissent à penser à de grosses lacunes dans l’enseignement. Autre problème : une partie des élèves de l’école serait en fait des collégiens, alors qu’Al-Badr est déclarée être une école maternelle et primaire.

La direction d’Al-Badr est alors mise en demeure de mettre ses programmes scolaires en conformité. «Nous leur avons fourni des éléments pour y arriver. Nous ne sommes pas dans une logique d’opposition. Ce que nous avions constaté ne correspondait pas à ce que l’on est en droit d’attendre d’une école de la République. Le but était de rectifier le tir», assure Jacques Caillaut. Sans effet.

«Rectifier le tir»

En avril 2016, les inspecteurs reviennent, cette fois avec des policiers. «Ils se sont heurtés à un nouveau refus de la direction d’Al-Badr de présenter les registres du personnel.» Impossible aussi d’accéder à celui des élèves présents. Jacques Caillaut décide alors de faire un signalement au procureur de la République. «En tant que recteur, je n’ai pas les pouvoirs de police et justice. C’était la seule chose que je pouvais faire, après avoir tout tenté pour ne pas en arriver là.»

Entre-temps, la mairie de Toulouse, responsable de la sécurité des bâtiments accueillant du public, diligentait deux visites de sa commission de sécurité et d’hygiène. Elle constate l’absence de fenêtres et d’aération dans deux classes. Un arrêté municipal de fermeture est alors ordonné en janvier 2016. Dans la foulée, des agents municipaux accompagnés de policiers municipaux et nationaux, étaient déjà dépêchés devant l’école pour avertir les parents de la situation. Cet arrêté municipal restera lettre morte – les enfants continueront à se rendre dans cette école. Décembre 2016, nouvel avis de fermeture, cette fois exigée par le tribunal correctionnel de Toulouse. «La fermeture s’est faite avec toute la fermeté et le discernement nécessaire», affirme Pierre Yves Couilleau, le procureur de la République de Toulouse.

Fichés S

A l’époque, le directeur de l’école Al-Badr, Abdelfattah Rahhaoui, avait fait appel mais, la procédure n’étant pas suspensive, la condamnation est donc exécutoire. L’avocat du directeur déclarait alors à l’AFP : «On a une enquête qui a été faite partiellement et, on ne va pas se mentir, partialement, et aujourd’hui, on prend une décision sur un dossier qui est vide.» Selon les informations révélées depuis par le Monde, plusieurs membres de l’équipe pédagogique d’Al-Badr seraient fichés S. Questionné sur ce point, Abdelfattah Rahhaoui rétorque à Libération : «Leur seule obligation est d’avoir leur baccalauréat. Comment voulez-vous que l’on sache qu’ils étaient fichés ? Dans ce cas, pourquoi les autorités ne nous l’ont pas signalé ?» s’interroge le directeur.

Le moins que l’on puisse dire est que Abdelfattah Rahhaoui est une personnalité controversée. Dans une autre procédure, il a été condamné à quatre mois d’emprisonnement avec sursis, interdiction d’enseigner, ainsi que deux mois avec sursis pour violences sur mineur.

Ce qui explique peut-être l’absence de levée de boucliers chez les représentants de la communauté musulmane de Toulouse. Imam autoproclamé, ingénieur informatique de formation, Rahhaoui est décrit comme un personnage «autoritaire, imbu de sa personne», enclin à jeter l’anathème «sur ceux qu’ils considèrent comme de mauvais musulmans». Il est aussi l’auteur de nombreuses vidéos sur YouTube dans lesquelles il accuse notamment les dessinateurs de Charlie d’avoir «provoqué les musulmans» tout en condamnant leur assassinat commis par ceux qui «restent ses frères».

Autre cible récurrente de ses interventions sur Internet : Dalil Boubakeur, le recteur de la Grande Mosquée de Paris qualifié de «cireur de pompes» et la ministre de l’Education, Najat Vallaud-Belkacem, accusée d’avoir propagé la théorie du genre dans les écoles. «J’assume», répond Rahhaoui. Tout comme il assume sa présence à l’enterrement de Mohamed Merah le jeudi 29 mars 2012 : «A la demande de sa mère», répond-il. «Il fallait empêcher d’agir la bande de malades qui voulaient glorifier sa mort.»

Un des responsables du conseil du culte musulman de Toulouse, Abdelatif Mellouki, porte un discours clair : «Les services de l’Education nationale ont relevé des manquements dans les enseignements de base prodigués dans l’école Al-Badr. Une décision de justice rendue. Il faut la respecter.»

Sur les 66 enfants d’Al-Badr concernés par l’obligation scolaire, une quinzaine auraient depuis trouvé une place dans l’un des deux autres établissements musulmans hors contrat de Toulouse. Pour une autre petite quinzaine d’enfants, les parents se seraient manifestés «pour [les] rescolariser dans des écoles publiques», indique le rectorat. Et la trentaine d’autres ? Ils sont pour l’instant sans affectation. A en croire Omar, l’un des parents d’élèves d’Al-Badr : «Les places manquent dans les écoles publiques maternelles. Depuis la fermeture, ma fille de 4 ans est bloquée à la maison. Pourquoi avoir fermé aussi la maternelle Al-Badr, alors que les manquements, notamment sur les programmes scolaires, ne concernaient que les grands ?»

Pour Abdelatif Mellouki, le cas Al-Badr doit pousser les pouvoirs publics «à réfléchir à l’accompagnement des projets d’ouverture d’écoles confessionnelles». Selon lui, les pouvoirs publics mettent systématiquement des bâtons dans les roues aux établissements musulmans qui essaient de se créer. Avec la disparition d’Al-Badr, pointe-t-il, il ne reste que deux établissements hors contrat de confession musulmane à Toulouse, accueillant en tout 180 élèves de primaire et collège. «Ce n’est pas suffisant pour répondre à la demande des familles, que l’on estime à 200 ou 300 élèves.» Plusieurs raisons, selon lui, à cette demande : l’enseignement de la religion bien sûr, mais pas seulement. «Les parents cherchent aussi des alternatives à cause des mauvaises conditions d’enseignement dans les écoles publiques de certains quartiers.»

ParJean-Manuel Escarnot, Correspondant à Toulouse

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