La définition des perturbateurs endocriniens ne convainc toujours pas les Etats

Published 28/02/2017 in Futurs

La définition des perturbateurs endocriniens ne convainc toujours pas les Etats
Ces substances sont omniprésentes dans nos produits du quotidien.

Europe

La Commission européenne a une nouvelle fois échoué mardi à faire adopter par les Etats membres sa définition controversée de ces substances chimiques, préalable à leur réglementation.

C’est reparti pour un tour. Mardi, la Commission européenne a une nouvelle fois échoué à réunir la majorité qualifiée des Etats membres pour faire adopter sa définition controversée des perturbateurs endocriniens (PE). En juin dernier, avec plus de trois ans de retard, elle avait enfin dévoilé les critères retenus dans sa définition de ces substances chimiques omniprésentes dans les produits du quotidien (pesticides, plastiques, cosmétiques et conditionnements alimentaires), susceptibles de modifier le système hormonal et d’être à l’origine de diverses maladies (cancer du sein, infertilité, diabète, obésité, troubles du comportement…). Critères qui n’ont rien d’anodin, car d’une définition de Bruxelles plus ou moins restrictive découlera une réglementation plus ou moins sévère, qui serait la première au monde sur le sujet.

Or, justement, la définition retenue par la Commission – «un PE est une substance qui a des effets indésirables sur la santé humaine, qui agit sur le système hormonal et dont le lien entre les deux est prouvé» – a provoqué un tollé parmi les scientifiques et ONG, tant elle exige un niveau de preuves quasi-inatteignable et tant elle s’éloigne de celle de l’OMS, qui fait consensus. En cause, aussi, la possibilité de dérogation à l’interdiction de pesticides ou biocides perturbateurs endocriniens prévue par la réglementation européenne de 2009 en cas de «risque négligeable pour l’homme»… alors que le texte initial était bien plus protecteur pour la santé, car il ne prévoyait de dérogation qu’en cas d’exposition négligeable, c’est-à-dire d’absence de contact avec l’homme.

Une définition «toujours pas acceptable», selon Royal 

Résultat, le 21 décembre, la Commission avait échoué à convaincre les Etats de voter pour sa définition. La France et la Suède, en particulier, lui avaient demandé de revoir sa copie. C’est donc à nouveau ce qui vient de se passer mardi. «Ségolène Royal demande à la Commission européenne de continuer à travailler pour déboucher sur une décision enfin crédible», titrait ainsi un communiqué de presse de la ministre de l’Environnement, mardi en début d’après-midi. Cette dernière «regrette que la définition modifiée par la Commission ne soit toujours pas acceptable», Bruxelles n’ayant «pas pris en compte les demandes de la France de prendre en compte les perturbateurs endocriniens présumés et pas seulement avérés [d’une part] et de tenir compte de la plausibilité des effets sur la santé de ces substances [d’autre part]».

Et Ségolène Royal de détailler ensuite «les actions de la France pour protéger la santé de nos concitoyens et de notre environnement des risques liés aux perturbateurs endocriniens». Parmi elles, l’adoption de la stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens en avril 2014 – «une première mondiale» –, l’interdiction du Bisphénol A dans les contenants alimentaires depuis le 1er janvier 2015, la signature d’un arrêté «obligeant à une réduction drastique de la quantité de bisphénol A dans les jouets avec l’objectif de la disparition complète», une «meilleure information du grand public par la diffusion d’une plaquette d’information»… Ou encore l’«information adaptée des femmes enceintes via le carnet de santé» – sachant que les premiers résultats d’études de biosurveillance, en décembre 2016, indiquent que «la quasi-totalité des femmes enceintes sont imprégnées en France par des perturbateurs endocriniens, montrant l’urgence d’agir politiquement et réglementairement». L’exposition des fœtus pendant la grossesse est en effet une source majeure d’inquiétude, car elle est soupçonnée de favoriser naissances prématurées et malformations congénitales, ainsi que des anomalies dans le développement et la santé future de l’enfant.

«Rien n’est joué»

Dans l’attente d’une définition générale des perturbateurs endocriniens «ambitieuse», Ségolène Royal ajoute qu’elle a «mobilisé les Européens» pour que quatre phtalates soient identifiés le 16 février dans la réglementation européenne sur les produits chimiques comme perturbateurs endocriniens pour l’homme, selon le règlement européen REACH. C’est «une première» et la France «a déposé un dossier pour que le Bisphénol A soit également reconnu comme tel», ajoute le communiqué.

Réagissant elle aussi dans un communiqué au nouveau report du vote sur la définition de la Commission, l’ONG Générations futures a estimé qu’il s’agissait là d’une «bonne nouvelle». «Heureusement, des Etats membres, dont la France, le Danemark, la Suède, ont refusé de voter [la proposition de la Commission] en faisant part de leurs désaccords sur le fond de ce texte inacceptable», écrit-elle. L’Allemagne, elle, a voté pour. Sans surprise, vu le poids de son industrie chimique (Bayer, BASF…). La Commission «va-t-elle enfin comprendre que les Européens veulent une proposition de définition des PE qui les protège réellement des dangers de ces substances ou bien va-t-elle continuer à n’écouter que le son de cloche des lobbies de l’agrochimie ?», interroge Génération futures.

«Rien n’est joué, avertit François Veillerette, le porte-parole de Générations futures. Il faut plus que jamais maintenir la pression sur la Commission et les Etats membres qui tergiversent.» Et d’en appeler à Ségolène Royal, qui «doit prendre pleinement ses responsabilités en rassemblant autour d’elle un nombre suffisant d’Etats membres rejetant la proposition de la Commission». Selon lui, «on est repartis pour un mois ou deux», en attendant que la Commission mette une nouvelle proposition sur la table. Des tergiversations sans fin qui rappellent le dossier du pesticide glyphosate, dont la licence a été prolongée pour dix-huit mois dans l’UE, faute d’accord entre Etats. Autant de mois et d’années gagnées pour l’industrie, et perdues pour la santé de la population.

ParCoralie Schaub

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