Le difficile retour des émigrés mexicains

Published 08/03/2017 in Planète

Le difficile retour des émigrés mexicains
Dans la ville de Mexicali, à la frontière avec les Etats-Unis, le 14 février.

Reportage

Les Mexicains qui quittent les Etats-Unis sont désormais plus nombreux que ceux qui gagnent le pays de Trump. Un retour parfois choisi, le plus souvent forcé, et presque toujours synonyme de réinsertion difficile après des années de vie ailleurs.

«Bienvenue dans ton pays, compatriote. Le Mexique est ta maison. Nous te recevons les bras ouverts.» Les slogans enjoués sur les affiches de l’Institut national des migrations dans l’aéroport de Mexico contrastent avec les mines graves des hommes et femmes qui passent les portes automatiques du terminal des arrivées. Vêtus de sweat-shirts informes, ils n’ont pas franchement l’air joyeux de rentrer dans leur pays. Un petit filet rouge contenant quelques effets personnels ou une bouteille d’eau pour tout bagage à main. C’est un jeudi midi comme les autres : le vol des migrants rapatriés depuis les Etats-Unis vient d’atterrir.

«Rapatriés», c’est le terme aimable des autorités mexicaines. De l’autre côté de la frontière américaine, on les appelle «déportés». Le président Trump l’a promis : il va déporter 2 millions à 3 millions d’étrangers en situation illégale. Marcos Olvera est l’un des premiers malheureux élus. «Je voulais rentrer prochainement au Mexique, profiter de ma retraite… mais pas comme ça», dit-il, chancelant dans le hall ultramoderne de l’aéroport.

«Bad hombres»

Cet homme de 49 ans, qui a vécu plus de dix-sept ans à Seattle (dans le nord-ouest des Etats-Unis), où il travaillait comme peintre en bâtiment, a été arrêté en sortant de son domicile pour se rendre à son travail. «J’avais été expulsé une première fois il y a vingt ans. Cette fois, je venais de renouveler mon permis de conduire et ils ont retrouvé ma trace. Je n’ai pas de casier, pas même une amende…» Marcos n’appartient pas à la catégorie de migrants prioritaires pour l’expulsion définie par Donald Trump : «Les “bad hombres”, […] les gens qui sont des criminels et qui ont des casiers judiciaires, qui appartiennent à des gangs, les trafiquants de drogue.» «Les déportations cibleront les éléments criminels», confirmait le nouveau secrétaire américain à la Sécurité intérieure, John Kelly, lors de sa venue à Mexico, le 23 février.

Or, le terme de «criminel» ouvre un large spectre d’interprétations, qui inclut la résidence illégale. Onze millions de migrants, dont une moitié de Mexicains, sont concernés. «Tous les Mexicains sans papiers sont traités comme des criminels», ont dénoncé les évêques mexicains dans un article intitulé «Terrorisme migratoire», publié fin février dans l’hebdomadaire du diocèse de Mexico. Sous la présidence de Barack Obama, de 2009 à 2016, sans être accompagnés d’aucune rhétorique haineuse, 2,8 millions de Mexicains avaient déjà été renvoyés des Etats-Unis.

Expulsée à quatre reprises depuis 2014, Julia a été séparée de ses quatre enfants, nés américains. «Je ne me sens pas d’ici», explique cette habitante de Mexico. Dans son cas, le slogan gouvernemental «Il est temps de retrouver ta famille !» claque comme une gifle en pleine figure. «Je suis dévastée. Ma famille est anéantie. Et tout ce qu’on me dit, c’est “bienvenue” !» lâche-t-elle, amère. Julia, qui se présente sous son seul prénom, a multiplié les traversées du désert de Sonora (nord du Mexique), sac au dos, pour regagner la Californie, où vivent son mari – qui a des papiers – et ses enfants. A chaque fois, elle a été emprisonnée, puis déportée. «Je suis considérée comme une criminelle, pour le simple fait d’avoir voulu rejoindre mes enfants.» Faute de trouver une issue légale à sa situation, elle traversera à nouveau le désert.

«Villages fantômes»

Si les Etats-Unis exercent encore un immense pouvoir d’attraction sur les Mexicains, la balance migratoire s’est cependant inversée : ces dernières années, il y a davantage de migrants qui rentrent que de personnes qui émigrent. Les interpellations de Centraméricains à la frontière ont dépassé celles des Mexicains. Selon le centre de recherche Pew, plus d’un million de Mexicains et leurs familles ont quitté les Etats-Unis de leur plein gré entre 2009 et 2014.

Alors que certaines mères expulsées, comme Julia, refusent de faire venir leurs enfants au Mexique, «un pays qui n’est pas le leur», beaucoup de parents optent pour un retour en famille. «Environ 5 % de nos élèves sont des enfants migrants, nés aux Etats-Unis. Mais il est trop tôt pour noter une augmentation des inscriptions d’étrangers à cause de Trump», explique Mónica Villa Cortés, professeure de l’école secondaire de Nealtican, un village logé sur les flancs du volcan Popocatépetl, au sud-est de Mexico. Dans l’Etat de Puebla, les «villages sans hommes», ou les «villages fantômes», vidés par l’émigration, ont commencé à faire partie du paysage dans les années 90. Aujourd’hui, ces communes se repeuplent au fil des retours, sans sortir de la pauvreté. Et les élèves «migrants» ou «étrangers», américains nés de parents mexicains, ont fait leur apparition sur les bancs des écoles.

Après neuf années passées dans le New Jersey, Aurea Castillo Castro est revenue à Nealtican avec ses deux enfants américains. «La vie était meilleure là-bas, mais quand je me suis séparée de mon compagnon, c’est devenu trop difficile. Je ne pouvais plus m’occuper seule des enfants», explique cette femme qui, après avoir travaillé dans les fast-foods américains, a ouvert dans son village la petite pizzeria Puebla York, dont l’enseigne est ornée d’une statue de la Liberté encadrée par des volcans. Rentrée volontairement, Aurea a poussé ses deux premiers enfants, en âge d’entrer à l’université, à repartir aux Etats-Unis. «Ils ont plus d’opportunités là-bas.» Le plus jeune fils, né au Mexique, envie ses aînés américains.

Situé au point où les flancs du Popocatépetl s’unissent à ceux du volcan Iztaccíhuatl, le village pentu de San Martin Ozolco voit également revenir ses émigrés. Quelques maisons ostentatoires y apparaissent, bâties par ceux qui ont réussi au Nord. Pascual Sandoval, un commerçant de 40 ans, est revenu à plusieurs reprises volontairement des Etats-Unis depuis 1999. «Finalement, je suis mieux ici. C’est plus tranquille. Avec les déportations qui s’annoncent, ce n’est pas la peine de repartir. Mon fils de 12 ans rêve de partir mais je l’en décourage.»

Plus haut dans la même rue, plus près de la fraîcheur des volcans, Andrea Ventura et Martin Tellez vendent des glaces artisanales à base de maïs bleu, de maïs rouge et de café. Le jeune couple arrêté il y a deux ans en franchissant la frontière, se montre presque satisfait de son expulsion, malgré les deux mois passés par Martin dans un centre de détention aux Etats-Unis. «Les glaces sont un succès. Ici, nous sommes avec notre famille, au lieu d’avoir peur là-bas. La vie est soi-disant mieux là-bas… mais en réalité, c’est pire car on nous traite comme des criminels», résument-ils.

Naïveté politique

Les histoires de réinsertion réussies sont rares. Le retour dans leurs communautés d’origine est souvent le dernier choix des rapatriés. «Car cela signifie renouer avec des activités agricoles ou traditionnelles avec lesquelles ils ne sont plus familiarisés», explique Arturo Villaseñor, responsable d’Initiative citoyenne, une organisation qui travaille avec des migrants à Puebla. Les jardiniers et techniciens d’entretien de piscines, professions qu’ils exerçaient aux Etats-Unis, ne trouvent pas leur place sur le marché mexicain. «La plupart des expulsés commencent par retenter leur chance, ou ils attendent, à la frontière, que les politiques restrictives se calment pour traverser à nouveau.»

Les migrants persécutés, expulsés, font l’objet au Mexique d’une récupération politique. Des dizaines de programmes officiels, truffés de slogans paternalistes pour les assister dans leur retour, sont créés ou relancés. Après des décennies d’une relative indifférence face au sort des migrants, la machine politique découvre leur existence. Face aux vagues d’expulsions à venir, les spécialistes s’alarment de la naïveté des autorités. «La grande majorité des retours représentent un choc, avec une réalité laissée dix ou vingt ans derrière soi, explique Marco Antonio Castillo, directeur de l’Assemblée populaire des familles migrantes, qui participe au programme d’accueil dans la ville de Mexico. Le Mexique est le premier pays à les avoir expulsés et il faut comprendre qu’ils reviennent avec une certaine hostilité.» Tant bien que mal, le mouvement du retour est en marche.

La migration des mexicains (infographie BiG)

ParEmmanuelle Steels, envoyée spéciale à Puebla et à Mexico

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