Malédiction de Clermont : «Pourquoi un club serait-il frappé par une fatalité ?»

Published 04/06/2017 in Sports

Malédiction de Clermont : «Pourquoi un club serait-il frappé par une fatalité ?»
L’abattement des Auvergnats après une énième défaite en finale du Top 14, en 2015 contre le Stade français.

Rugby

Denis Troch, préparateur mental, explique comment il tente de rassurer les Auvergnats avant la finale du Top 14 contre Toulon, alors que les «jaunards» en ont perdu 10 sur 11.

Certains suggèrent que l’ASM Clermont Auvergne est née sur un ancien cimetière indien et que c’est pour ça que plane sur elle une malédiction : une seule victoire en finale du Top 14, le championnat de France de 2010, pour onze défaites. Denis Troch, ex-entraîneur de foot et désormais préparateur mental, fondateur du groupe H-Cort Performance, explique à Libération comment il tente de rassurer et sublimer les joueurs auvergnats depuis 2014. Car les «jaunards» sont une nouvelle fois en finale cette année, face au Rugby club toulonnais, adversaire coriace avec quatre succès au palmarès (Photo Human Progress Center).

Avez-vous spécifiquement préparé l’ASM Clermont Auvergne à affronter le RC Toulon ?

Non, ce n’était pas possible. L’affiche de la finale n’est connue que depuis une semaine. Le club, toujours humble, n’était pas certain d’être qualifié. Mais il sera prêt ce dimanche, parce qu’il viendra avec un savoir-faire développé au quotidien. C’est ce que nous appelons les «anticorps».

Comme pour résister à une maladie ?

Les anticorps se développent comme processus d’apprentissage. On place les individus dans des situations qu’ils sont appelés à vivre prochainement, afin qu’ils soient plus sereins le jour de l’événement. On pourrait par exemple travailler sur la technique qui permettra de renverser le score en deuxième période.

Que vous inspire cette histoire de «malédiction» qui pèserait sur l’ASM : onze défaites en finale du Top 14, trois échecs en finale de la Coupe d’Europe ?

Pourquoi le bonheur n’appartiendrait-il qu’aux autres ? Pourquoi un club entier serait-il frappé par une fatalité à la naissance ? Il peut y avoir un concours de circonstances qui explique qu’une équipe ne soit pas capable de gagner de façon récurrente. Mais je ne crois pas en une quelconque «malédiction». En tout cas, je ne peux pas travailler dans cette hypothèse. Les croyances sont inhérentes à l’homme et il m’arrive de travailler avec. Par exemple, en rappelant la manière dont une équipe a signé un exploit il y a vingt ans. Mais le récit ancien doit permettre au groupe de comprendre comment il s’est adapté. Donc il faut aborder ces récits avec un regard critique.

A force d’entendre qu’ils sont soumis à cette «malédiction», les joueurs de l’ASM risquent-ils d’y croire et donc de perdre leurs moyens ?

Oui, ce genre de récit constitue en effet une agression. Même un individu qui dispose d’une forte confiance en lui peut douter. Il faut l’en protéger : «Je n’ai pas envie de penser cela», «je ne veux pas donner raison à ceux qui pensent mal». Car il faut au passage s’interroger sur les personnes qui ont intérêt à propager cette légende de «malédiction» : ceux qui n’ont jamais gagné de compétition ? Ceux qui aimeraient être à la place de l’ASM Clermont Auvergne ? Ceux qui vont se retrouver en face sur le terrain ?

Parmi les agents de diffusion, on retrouve la presse sportive, gourmande en mythologies. Pour «protéger» vos joueurs, leur déconseillez-vous de lire les journaux ?

Non ! Leur libre arbitre doit s’exercer. Le but, c’est qu’ils ne se fassent pas confisquer leurs certitudes.

Un ancien du club, Jamie Cudmore, estime que l’ASM a installé ses joueurs dans une «zone de confort» qui leur est préjudiciable. «Tu perds un match et, le lendemain, tout le monde te tape sur le dos en te disant “Ce sera mieux la semaine prochaine”», déclarait-il au Figaro. Que vous inspire ce témoignage ?

Un certain confort est nécessaire, parce qu’il permet aux joueurs de tendre vers l’excellence. Le problème pourrait apparaître si cet environnement et ce sentiment de satisfaction constant les empêchaient de prendre des initiatives sur le terrain. Il faut trouver un juste milieu entre un environnement stable et protecteur d’une part, et des comportements rebelles de l’autre. Mais je n’ai jamais constaté que la «zone de confort» pouvait affecter la performance. Ajoutons que, d’après mes observations, les joueurs de l’ASM Clermont Auvergne ne sont pas autosatisfaits.

Comment conciliez-vous la préparation individuelle des joueurs et celle d’un groupe, dont les intérêts peuvent être contradictoires ?

Je travaille sur une thématique collective, souvent sur la cohérence ou la cohésion, ou sur des questions générales : est-il normal d’avoir peur à l’approche d’une échéance importante ? Ma priorité consiste à ce que le message du groupe soit entendu de la même manière par tous. Il va de soi que chaque individu prend dans ce message ce qui l’intéresse et génère ses propres questionnements, auxquels j’essaie de répondre. Certains messages de groupe sont limitants pour des individus, alors nous devons trouver une manière de fonctionner ensemble.

On a pourtant l’impression que les équipes sportives sont assez militarisées et peu sensibles à l’individu ?

Effectivement, le cadre de travail est puissant et fort. A l’intérieur, il y a du travail d’animation (mené par les entraîneurs) et de négociation (tout le monde n’est pas capable de travailler de la même façon). On ne peut pas forcer un individu dans son écologie personnelle. Ainsi, une bonne équipe respecte l’unicité des personnes dans un mouvement collectif.

Finale du Top 14 : ce dimanche au Stade de France à 20h35 (retransmis sur France 2 et Canal+).

ParPierre Carrey

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