«Quand on exploite une forêt, on ne la détruit pas»

Published 09/02/2017 in Futurs

«Quand on exploite une forêt, on ne la détruit pas»
Sur le chantier sylvicole de coupe de houppiers à Villebichot (Cote-d’Or).

Reportage

Malgré une organisation encore imparfaite, le bois est l’énergie renouvelable la plus utilisée en France. En Côte-d’Or, la filière se professionnalise et parvient à tisser le lien entre la forêt et le chauffage ou le gros œuvre.

L’idée d’utiliser le bois comme énergie est vieille comme l’humanité dès lors qu’elle a maîtrisé le feu. Aujourd’hui encore, à travers le monde et en France aussi, le bois est la première des énergies renouvelables. Il représente 40% du mix énergétique renouvelable, loin devant l’hydraulique (20%), l’éolien (8%) ou le photovoltaïque (3%). Dans l’ambition de la France d’atteindre 23 % d’énergies renouvelables en 2020 (contre 14,9% en 2015), le bois est en première ligne. Malgré cela, la filière française reste souvent mal organisée. Après quelques hivers trop doux et avec le retour du froid comme une bénédiction, l’Office national des forêts (ONF) et le Syndicat des énergies renouvelables (SER) ont organisé une grande démonstration en forêt bourguignonne de ce que peut être la chaîne de la biomasse quand elle est bien gérée.

Rendez-vous donc au «gisement», sur un «chantier sylvicole». Le champ lexical de l’énergie-bois fait davantage penser à celui du bâtiment qu’à une balade champêtre, mais nous voilà bien en forêt. La parcelle, une propriété privée, court le long de l’autoroute A31, à Selongey (Côte-d’Or). Une pelleteuse avec à son extrémité un «grappin-scie» tronçonne puis fagotte des arbres. Il y a les beaux spécimens – des chênes, frênes ou merisiers – marqués d’un liseré rouge et préservés. Tout le reste est arraché.

Charpentes et tonneaux

Ces amas de noisetiers ou de charmes déracinés vont sécher là plusieurs mois. Ces arbres à terre forment le bois-énergie. «Il y a quelques années, ce bois, parce qu’il n’est pas de qualité, n’avait pas d’utilité. Il était perdu et mourait sur place, explique André Voisin, le propriétaire de cette forêt. Aujourd’hui, je le vends pour l’énergie.»

Du doigt, Christophe Chapoulet, directeur d’ONF Energie, indique un beau chêne centenaire encore sur pied, et résume : «Tout le tronc en dessous de la première branche, le fût de l’arbre, c’est le bois d’œuvre» pour construire des charpentes, des meubles ou des tonneaux. «La suite du tronc et les branches principales iront nourrir l’industrie», à condition d’être droits et donc facilement transportables vers les usines de trituration, qui transforment le bois en papier. « Tout le reste, c’est le bois-énergie : les branches tordues, les petites branches.» Mais ce bois mort qui s’abandonne en forêt ne favorise-t-il pas la biodiversité ? Ne permet-il pas, en se décomposant au sol, la préservation de l’écosystème forestier ? «Oui, mais ce qui transmet le plus de minéraux, ce qui donne de la nourriture à tout l’écosystème, ce sont les feuilles et les plus petites branches et ça, on ne le prend pas, assure Christophe Chapoulet. Quand le bois sèche, les feuilles tombent et restent donc en forêt. Elles ne sont de toute façon pas bonnes pour l’énergie, car elles sont pleines d’eau.»

Si la forêt d’André Voisin peut être exploitée, c’est parce qu’il est adhérent, comme 2 800 autres propriétaires, de la Coopérative forestière Bourgogne Limousin (CFBL), qui couvre un territoire de 110 000 hectares. «La forêt privée française est extrêmement morcelée en une multitude de petits propriétaires – plus de 2 millions d’entre eux possèdent moins d’un hectare -, c’est la raison pour laquelle il faut se regrouper et se structurer en coopérative, explique Lionel Say, directeur général de la CFBL. Cela permet de mettre les moyens d’exploitation en commun, d’optimiser les coûts et les flux.»

Dans le cas d’André Voisin, les travaux ne lui coûteront rien. «Ça me rapporte même 250 euros l’hectare»,précise-t-il. D’habitude, pour les petits propriétaires, le choix est vite fait : au prix de la coupe et de la commercialisation, autant laisser la forêt en l’état. Finalement, seul un tiers de l’accroissement naturel annuel de la forêt privée (ce qui pousse en plus chaque année) est exploité, contre 60 % pour les forêts appartenant aux collectivités territoriales et 100% pour la forêt domaniale, propriété de l’Etat. Vu que les parcelles privées couvrent les trois quarts du territoire forestier, «on estime qu’une moitié seulement de l’accroissement naturel total est exploitée», indique Rémi Chabrillat, directeur productions et énergies renouvelables à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). «Notre objectif est de passer à 65% de l’accroissement en 2030. Il ne faudra pas aller au-delà, car si la forêt ne continue pas à s’agrandir, la filière n’est plus une énergie renouvelable.» La forêt française s’étale sur presque un tiers du territoire métropolitain, avec 16,5 millions d’hectares.

«Quand on exploite une forêt, on ne la détruit pas», explique Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER). Cyril Le Picard, président de France Biomasse Energie (la commission biomasse du SER), détaille : «Si on ne coupe pas le bois de qualité inférieure, la forêt ne se développe pas bien et les arbres d’avenir, ceux qui donnent de la valeur au terrain, ne poussent pas de manière idéale. Il faut faire des petites éclaircies, des coupes d’améliorations ou parfois des coupes rases.»

Justement, deuxième acte : coupe rase à Villebichot, entre Beaune et Dijon. Sur quelques hectares, la forêt publique, propriété du village, s’est effacée. «L’exploitation de la forêt inquiète la population, admet Pascal Grappin, le maire du village. Les gens se demandent : “Va-t-on avoir assez de bois ?” Alors on leur répète : la forêt s’accroît ! Il est important de le rappeler.» Il souligne que le bois coupé n’ira pas que dans les chaufferies. «On aura d’abord vendu le bois d’œuvre à 150 euros le mètre cube ! Le bois pour l’énergie, c’est résiduel, un petit plus financier.» Auparavant, une partie seulement de cette forêt était utilisée par les habitants, dans leurs cheminées. Depuis 2012, le village le commercialise via un contrat avec ONF Energie. Derrière le maire, une pelleteuse s’occupe des restes des chênes. Sur ce champ de bataille sylvicole, seront plantés dans les prochains mois des chênes sessiles, une autre essence plus adaptée au sol. «Résultat dans 150, 180 ans, s’amuse l’édile. Nous plantons pour les générations futures.»

Confettis

Au loin, une rumeur trouble la quiétude de la forêt bourguignonne. Au plus près, c’est un vacarme, un imposant broyeur qui avale sans discontinuer branches et troncs pour les recracher en confettis. Le cycle du bois-énergie passe par ce déchiquetage impressionnant. Le matériau ainsi broyé est un bien meilleur combustible que la bûche car beaucoup moins humide. Des camions acheminent ensuite ces plaquettes vers des chaufferies biomasse. «Entre la forêt et la chaufferie, il y a en moyenne 70 kilomètres et, de toute façon, au-delà de 150 kilomètres, ce n’est plus rentable», affirme Christophe Chapoulet d’ONF Energie, leader du marché de la plaquette en France. Le bilan carbone de la filière serait «quasi neutre», assure-t-il : «En prenant en compte tous les postes de consommation – coupe du bois, transport… -, l’énergie consommée pour emporter les plaquettes dans la chaufferie est souvent inférieure à 5 % de l’énergie délivrée finalement par le bois.» Et si le bois, lorsqu’il brûle, délivre le CO2 qu’il a stocké toute sa vie, «il en émet aussi lorsqu’il meurt en forêt, par fermentation. Sauf que là, on récupère l’énergie», défend Cyril Le Picard, de FBE.

Fin de circuit

Au sud-est de Dijon, les cheminées rouge et blanche de la chaufferie Dalkia (filiale d’EDF) des Péjoces fument depuis fin 2014. Dehors ou à l’abri d’entrepôts, les plaquettes de bois sèchent et attendent leur tour de chauffe. Dans les foyers des trois chaudières, le bois se consume à 900 degrés et laisse échapper du gaz. La combustion de ce gaz va libérer de l’air chaud. Fin de circuit : l’air chauffe l’eau qui, circulant dans les 49 kilomètres de tuyaux du réseau de chaleur du Grand Dijon, va contribuer à alimenter 28 000 logements en chauffage et eau chaude sanitaire. Aujourd’hui, plus de 7 millions de foyers utilisent le bois comme chauffage principal ou secondaire. En 2020, ils devraient être 9 millions. «L’enjeu est de chauffer plus de monde avec autant de bois, explique Rémi Chabrillat de l’Ademe. Il faut remplacer les vieilles cheminées ou appareils à foyer ouvert, qui ont un rendement énergétique de 10 % à 15 %, par des inserts ou poêles de nouvelle génération labellisés Flamme verte, au rendement de 75 % à 80 %

Mais l’usage individuel n’est pas la meilleure voie pour que l’énergie-bois puisse combler son retard. La filière compte bien plus sur les chaufferies biomasse et les réseaux de chaleur urbains qu’elle veut multiplier. C’est pour cela qu’a été créé le Fonds chaleur, outil géré par l’Ademe depuis 2009, qui a financé plus de 3 000 unités de production de chaleur renouvelable dans le collectif, l’industrie, le secteur agricole ou le tertiaire. Pas négligeable quand on sait que «la chaleur représente 50 % de la consommation d’énergie finale en France», rappelle Jean-Louis Bal, du SER. «Il faut s’intéresser à la chaleur, pas uniquement à l’électricité, si on veut respecter les objectifs 2030. Et accélérer.»Comment ? «Il faut augmenter le bois de construction. Car augmenter ce bois, c’est augmenter les sous-produits pour l’énergie.» Paradoxe : si la récolte du bois destiné à l’énergie a augmenté depuis 2009, celles du bois d’œuvre et d’industrie ont, elles, chuté. Une forêt, deux vitesses.

ParOlivier Levrault, Envoyé spécial en Côte-d’Or

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