Avey Tare, souffle pur

Published 07/08/2017 in Musique

Avey Tare, souffle pur
Avey Tare à Los Angeles.

Critique

Sur «Eucalyptus», un des membres fondateurs d’Animal Collective exhale en solo une folk épurée au parfum de nostalgie.

Le retour à la nature ne concerne donc pas seulement les traders, mais aussi les amateurs de glitch et de saturation sonore. Avec Eucalyptus, l’un des membres fondateurs du groupe américain Animal Collective a presque débranché et étouffé le fatras supersonique et sautillant auquel il nous avait habitués. Ce nouvel album solo d’Avey Tare paraît en plein été, comme si David Michael Portner (son vrai patronyme) voulait sortir dans l’ombre cette heure de musique écrite en 2014, entre deux tournées. Le site Pitchfork, qui a largement couvé le succès de son groupe depuis une dizaine d’années, concède qu’il a trouvé le «ratio en or entre inspiration et indifférence». Indifférence à quoi ? A nous, enfin !

Si le succès grandissant d’Animal Collective semble les obliger à ressortir les mêmes grimaces et à tirer sur les mêmes lianes, certes solides et trépidantes, pour nous faire cliquer, l’effet de bande s’estompe quand en solo ils peuvent se détourner de la vitrine de pop expérimentale ultra accessible où ils sont exposés. Sur l’EP Meeting of the Waters paru en mai, Animal Collective faisait d’ailleurs un bref retour avec une poignée de titres enregistrés dans une forêt brésilienne, qui s’irisaient comme une flaque d’essence sans jamais s’enflammer, comme pour rattraper le bariolage de Painting With paru en 2016.

Loin de ces pulsations épuisantes, Avey Tare se défait encore de tout tempo et laisse à la porte les blips et les blops. Au premier plan, il reste sa voix et la pedal steel de Susan Alcorn, sur un rythme surtout narratif, comme quand il chante «Knock on my front door» sur Melody Unfair, accompagné de battements. Dissocié de l’ego de Noah Lennox – alias Panda Bear – avec qui il unit habituellement sa voix, Avey Tare s’est trouvé une caverne platonicienne où il scrute ses ombres et invite des amis inattendus, pas vus depuis longtemps (l’ancien collaborateur Josh Dibb alias Deakin), et pas toujours vivants. Il se découvre une facette folk toute neuve, sa voix survoltée devenant dolente et rêche. Le morceau PJ, une histoire de fantôme où les voix comme les guitares sonnent effroyablement faux, semble avoir été composé par un être secoué de larmes, ce qui est fort possible puisque le titre est une rencontre avec un ami récemment décédé.

Sur ses quinze expérimentations acoustiques, son cycle de la nature californienne est lié à celui de ses relations. Il invite d’ailleurs Angel Deradoorian – son ex-partenaire, ancienne musicienne de Dirty Projectors puis de son précédent projet Slasher Flicks – à chanter sur des titres remuant les souvenirs de leur rupture. Comme branché sur un générateur d’électricité aux capacités limitées, il dose ses apports électroniques, et introduit l’écologie à son discours avec un Coral Lords aussi dépecé que la Grande Barrière. Mais Portner raconte surtout sa Californie d’adoption, où l’eucalyptus pousse aussi bien qu’en Australie, lui donne son odeur Hollywood Chewing Gum et adoucit ses maux de gorge. Les Australiens appellent aussi cet arbre la blue gum, de la nostalgie à mâcher dont Avey Tare sait faire durer la saveur.

ParCharline Lecarpentier

Print article

Leave a Reply

Please complete required fields