Gerard Piqué, le raid solitaire du défenseur catalan

Published 05/10/2017 in Sports

Gerard Piqué, le raid solitaire du défenseur catalan
Gerard Piqué, avant le match Barça-Las Palmas, dimanche.

Homme du jour

Le joueur du Barça s’impose comme l’une des figures du mouvement indépendantiste. Une position qui devrait lui valoir une nouvelle pluie d’injures ce vendredi, lors du match entre l’Espagne et l’Albanie.

Il n’est pas inhabituel de voir un sportif pleurer. A la fin d’une carrière, après une victoire ou une défaite, à la suite d’une douleur qui vient de le mettre à terre et l’éloignera des terrains pendant une période conséquente. Mais lorsque les larmes ont coulé dimanche sur le visage de Gerard Piqué, défenseur central du FC Barcelone et icône sportive de l’indépendantisme catalan (1), à l’issue du match contre Las Palmas dimanche, les images ont été encore plus percutantes.

Ce jour-là, sa région est en ébullition. L’organisation du référendum est chaotique, Madrid ayant envoyé sa Guardia Civil vers les urnes, matraques au clair. Pour soutenir le processus, le FC Barcelone veut reporter le match. La Liga, dirigée par un anti-indépendantiste notoire, Javier Tebas, refuse. Les Mossos d’Esquadra, la police régionale, ne peuvent assurer la sécurité du match. La rencontre se joue à huis clos. Les 100 000 places vides du Camp Nou choquent en premier lieu les joueurs.

A lire aussi
Quel foot espagnol en cas d’indépendance de la Catalogne ?

Piqué aux journalistes : «Cela a été un match très difficile, la pire expérience comme professionnel que j’aie connue de toute ma vie.» Et c’est autant le vide dans le stade que le tumulte en dehors qui l’ont chamboulé. Il s’est alors hasardé à une comparaison qui a choqué en amont de l’Ebre : «Dans ce pays, pendant de nombreuses années, on a vécu sous le franquisme. Les gens ne pouvaient pas voter et c’est un droit que nous devons défendre.»

«Pas de côté»

Quelques jours plus tard, le voilà qui délaisse le maillot barcelonais pour la tunique de la Roja, l’équipe nationale d’Espagne. Il est accueilli sur le terrain d’entraînement de la banlieue nord de Madrid par des sifflets, des insultes et des chants hostiles.Un accueil qui ne devrait être qu’un avant-goût de ce qui l’attend ce vendredi soir à Alicante, lors du match Espagne-Albanie qui compte pour les qualifications au Mondial 2018.

Un rejet d’une telle ampleur de la part d’un public contre un joueur de sa sélection, qui plus est pour des raisons extrasportives, est probablement unique dans l’histoire du foot. Conspué sur quasiment tous les terrains espagnols où officie sa sélection depuis ses premières sorties pro-Catalogne, le joueur avait, après la rencontre contre Las Palmas, senti que la journée du 1er octobre serait un point de non-retour, pour la Roja comme pour lui : «Si le sélectionneur ou toute autre personne de la fédération pense que je suis un problème ou que je gêne, je n’aurai pas de problème à faire un pas de côté et à quitter la sélection avant 2018.»

Il s’agit de resituer qui est Gerard Piqué, 30 ans, pour le foot espagnol. Avec le Barça, il a gagné trois Ligues des champions et six championnats en huit ans. Mais il a surtout été le défenseur central titulaire de la Roja lors du Mondial 2010 et de l’Euro 2012, soit le moment où l’Espagne était imbattable. Mais la greffe n’a jamais pris avec le public de la Roja, pour qui la sélection est une fierté nationale, bien au-delà du sport.

Et le regard porté sur le Catalan est aux antipodes de la manière dont est perçu son coéquipier en défense, le Madrilène Sergio Ramos. Après une énième sortie de Piqué sur Twitter fin septembre en faveur des indépendantistes, le capitaine de la sélection en était à comprendre les réactions des fans : «Le tweet de Piqué n’est pas le meilleur moyen si vous ne voulez pas avoir de sifflets. Peut-être que ce tweet n’est pas la meilleure chose pour le groupe, mais chacun est libre de dire ce qu’il veut.» Ramos a malgré tout reposé le couvercle sur un éventuel conflit entre les joueurs, quelques jours plus tard. On ne peut imaginer que Piqué, à qui on attribue un QI de 140, soit trop bête pour ne pas savoir ce qu’il fait. Mercredi, il a d’ailleurs clarifié la situation : «C’est impossible qu’on pense tous la même chose. Moi, je veux que les gens puissent voter, que ce soit pour le oui ou le non. […] On en parle avec les coéquipiers, on a des opinions différentes.»

«Se mouiller»

Le joueur a passé une partie de son enfance à Sant Guim de Freixenet (à 90 km de Barcelone), qui a voté à 93 % pour le oui au référendum (89 % dans la région). Une terre indépendantiste qui a peut-être inspiré ses opinions politiques. «Je suis catalan, je me sens catalan, et c’est pour ça qu’aujourd’hui plus que jamais je me sens fier des gens de Catalogne», déclarait-il dimanche. Surtout connu dans le reste du monde pour être le mari de Shakira, Gerard Piqué est en Espagne l’un des plus grands symboles de la fracture entre indépendantistes et partisans de l’unité. Plus que certains des élus catalans qui participent au processus d’indépendance. Un statut que le joueur assume, voire revendique : «Je ne comprends pas pourquoi c’est mal vu qu’un sportif parle de politique. Je comprends qu’il y ait des gens qui ne souhaitent pas se mouiller, mais moi, je veux m’exprimer. Pourquoi un journaliste ou un serveur pourrait le faire, mais pas un footballeur ?»

(1) S’il est une figure pour les indépendantistes et qu’il a multiplié les sorties pro-Catalogne, il n’a à ce jour émis aucune position officielle au sujet de l’indépendance.


Y aura-t-il lundi une plénière catalane ?

Un nouvel avertissement. Jeudi, à la demande des socialistes catalans, la Cour constitutionnelle espagnole a suspendu la séance plénière du Parlement de Catalogne prévue lundi. Au cours de cette séance, une déclaration unilatérale d’indépendance était en effet envisagée par le gouvernement régional, dans la foulée de l’annonce des résultats définitifs du référendum interdit – et toujours attendus. Cette nouvelle décision, eu égard à l’«urgence exceptionnelle» de la situation catalane, sera-t-elle respectée ? Depuis que les juges se sont prononcés contre le référendum, l’exécutif catalan et la majorité séparatiste du Parlement régional ont toujours ignoré leurs décisions, au risque d’être poursuivis pénalement par la justice espagnole. La loi catalane organisant le scrutin du 1er octobre précise même qu’elle s’impose à toute autre norme qui entrerait en conflit avec elle, y compris la Constitution.


ParDamien Dole

Print article

Leave a Reply

Please complete required fields