Transat Jacques Vabre : la voile avance à mâts de géants

Published 02/11/2017 in Sports

Transat Jacques Vabre : la voile avance à mâts de géants
Le Multi 70 Maxi Edmondde Rothschild, dansla baie de Quiberonen août.

Analyse

La course en duo démarre du Havre dimanche en direction de Salvador de Bahia, au Brésil. L’attraction de l’épreuve sera les Ultime, notamment le «Maxi Edmond de Rothschild», symbole de l’entrée de ce sport dans une nouvelle ère, celle des «bateaux volants».

En ce mercredi de Toussaint, c’est jour de fête au Havre (Seine-Maritime). Par grappes, les badauds déambulent autour des 39 bateaux sagement alignés dans le bassin Paul-Vatine, l’enfant du pays, vainqueur de la première édition en 1993, tragiquement disparu lors de cette même épreuve six ans plus tard. Les marins se soumettent aimablement aux selfies.La cité normande reconstruite par Auguste Perret après la guerre et qui achève de célébrer son 500e anniversaire poursuit sa métamorphose. Autrefois malfamés, les docks crasseux puant le gazole ont été mieux que rénovés. Baptisée initialement Route du café, la transat Jacques Vabre a trouvé son rythme de croisière chaque année impaire. Sur cette ancienne route commerciale du Havre à Salvador de Bahia, ex-capitale du Brésil, l’épreuve se dispute en double, selon l’adage «à deux, c’est mieux». Thomas Coville y participe pour la sixième fois : «C’est comme une piste de ski. Tu pars en haut du Havre et tu descends jusqu’au Brésil ! C’est la course qui a osé le double, alors qu’historiquement, en France, c’est du solitaire. Chaque fois que je navigue en équipage, je me demande bien pourquoi je fais du solo. Là, nous sommes dans l’épicurien, la bienveillance, le partage. Il y a 200 fois moins de stress et tout est plus facile.»

FUSÉE

Traditionnellement, plusieurs engins dernier cri tirent leurs premiers bords en course sur ce parcours exigeant de 4 350 milles marins (8 000 km), dont le fameux pot au noir à l’équateur entre les alizés de nord-est et ceux de sud-est. Les suiveurs de tout poil qui se léchaient les babines avant cette première confrontation entre Ultime – le trimaran Macif (François Gabart), tenant du titre, et les tout derniers Banque populaire IX (Armel Le Cléac’h) et Maxi Edmond de Rothschild (Sébastien Josse) – devront patienter. Gabart est en stand-by dans le Finistère, guettant une bonne météo pour tenter d’approcher le record du tour du monde en solitaire détenu par Coville en quarante-neuf jours. Le Cléac’h aurait volontiers croisé le fer avec Josse, mais fignole son nouveau trimaran mis à l’eau il y a quelques jours. «On a fait un choix audacieux il y a quatre ans, rappelle François Gabart. Quand on a lancé Macif en 2013, c’était lors de l’avant-dernière Coupe de l’America à San Francisco, autant dire il y a un siècle… Nos foils développés à partir de leurs catamarans étaient avant-gardistes et, aujourd’hui, j’ai envie de dire qu’ils sont presque dépassés. Je ne vais pas prétendre faire le tour du monde en volant la plus grande partie du temps.» Voler ? C’est la finalité pour tous ces nouveaux trimarans géants. Jean-Luc Nélias, coskippeur de Sodebo Ultim’ au côté de Thomas Coville n’a pas la réponse : «Nous sommes à une croisée des chemins et ça discute beaucoup autour de ce sujet. C’est très motivant.» Prudents par nature, les marins nourris et formatés à la navigation archimédienne depuis l’enfance savent qu’ils plongent dans un monde inconnu à la barre de ces engins. Pour Le Cléac’h, vainqueur du dernier Vendée Globe, «ce qui change, ce sont la vitesse et le poids. Plus on soulève le bateau avec les foils et plus il accélère. On a l’impression de planer. Cela devient de la conduite de haut vol et il va falloir maîtriser le pilotage pour assurer notre sécurité.»

Au Havre, l’attraction est bien le Maxi Edmond de Rothschild, sublime fusée de carbone de 32 mètres de long par 23 de large, dont la surface de voilure équivaut à trois courts de tennis, et qui, se hissant sur ses foils et safrans en «T» aiguisés comme des lames d’Opinel, repose sur seulement 4 mètres carrés, et volera bientôt à des vitesses proches de 50 nœuds (83 km / h). «A 40 nœuds, c’est facile, et comme si le bateau était sur amortisseurs. A 45, on commence à serrer les fesses mais on navigue toujours au sec. Au-delà, on n’a pas encore les clés et on ne connaît pas assez le bateau qui n’a que deux mois d’essais», avouent en chœur Sébastien Josse et Thomas Rouxel, les deux pilotes. Le monstre est si large que son équipage n’a pas couru le risque d’entrer dans le sas menant au bassin, se retrouvant à l’isolement sur un quai décati. Dessiné par l’architecte Guillaume Verdier, il synthétise ce que sont aujourd’hui les bateaux de course, de véritables avions. D’ailleurs avec ses empennages sur l’arrière des deux flotteurs, il a de faux airs d’aéronef à double fuselage. Le mât-aile basculant culmine à 37 mètres de hauteur, le cockpit et la cabine de plain-pied intégralement fermés sont criblés de hublots pour une vision panoramique. Ils sont équipés de trois tableaux de bord donnant sous forme de graphiques en temps réel les tensions, les pics de charge, la déformation de la structure, l’incidence des volets… On se croirait dans un Airbus.

BEAU JOUET

Pour son 17e bateau, la famille de Rothschild n’a pas chicané. Edmond ne cachait pas son amour invétéré pour les voiliers de course. Benjamin, l’héritier unique, a poursuivi la saga vélique de son père. Sa femme, Ariane, qui préside le comité exécutif du groupe, a porté le projet, insufflant notamment l’idée d’une décoration audacieuse. Fascinée par l’art contemporain, elle a choisi l’Américain Cleon Peterson, ex-voyou et toxico, désormais artiste en vogue du street-art, afin qu’il stylise les coques et les voiles à sa guise. Le beau jouet, prêt à naviguer et qui a nécessité 170 000 heures de travail, a coûté près de 12 millions d’euros. Sur le papier, le match attendu entre le tout frais Maxi et l’éprouvé Sodebo Ultim’ de Thomas Coville et Jean-Luc Nélias, paraît plié d’avance en faveur du monstrueux nouveau-né. Mais la voile reste un sport mécanique, et cette machine à la complexité spatiale devra s’affranchir de la météo et ses dépressions nerveuses qui secouent l’Atlantique Nord à l’automne. «On ne barre quasiment pas, nous passons le plus clair de notre temps à tourner les manivelles pour régler les voiles, mais on se fait bien moins brasser que sur les actuels monocoques», mentionne Josse, parfaitement détendu mais conscient d’avoir la responsabilité d’un engin à ne pas mettre entre toutes les mains. Et Coville, qui dans un an lancera à son tour un nouvel engin dont il se murmure qu’il est encore plus révolutionnaire, d’ajouter : «Nous sommes à une vraie période charnière. Jusque-là, on adaptait des maxitrimarans conçus pour l’équipage au solitaire. Aujourd’hui, l’idée est de faire un bateau où la vitesse passive [la performance intrinsèque sur laquelle on ne peut intervenir, ndlr] puisse être supérieure à la vitesse active, qui, elle, dépend du bon vouloir du skippeur.»

Avant de prendre le large, les autres équipages armant des bateaux plus conventionnels dans les trois autres classes (Imola, Multi 50 et Class 40) viennent lorgner ces géants. Car dimanche, avant même qu’ils ne virent la bouée sous les falaises d’Etretat à l’heure du goûter, les Ultime auront sans doute déjà disparu à l’horizon.

ParDidier Ravon

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