Novès et Laporte bien emmêlés

Published 10/11/2017 in Sports

Novès et Laporte bien emmêlés
Guy Novès et Bernard Laporte à Marcoussis lors d’un entraînement, le 4 novembre.

Rugby

Entre un coach qui ne gagne pas et un président enlisé dans les affaires, des joueurs blessés et d’autres qui débutent, le match des Bleus contre les Blacks, ce samedi, s’annonce compliqué.

Samedi (20 h 45 sur France 2), l’équipe de France commence sa tournée de novembre face à la Nouvelle-Zélande. Le contexte : les Bleus ne gagnent plus. Disette. Sur son banc, Guy Novès, le sélectionneur, fait patienter les ventres vides en insistant sur la partie la moins palpable de sa fiche de poste : la progression (le jeu), la transcendance (le maillot bleu raconté comme une épée magique), le futur (la Coupe du monde 2019).

Sur son fauteuil d’élu, Bernard Laporte, lui, préfère les mathématiques : le président de la Fédération française de rugby (FFR) réclame trois victoires sur quatre rencontres prévues, dont deux contre les Blacks, doubles champions du monde intouchables. Défi tordu, qui n’empêche pas «Bernie», en plein bourbier (accusations de conflit d’intérêts à son endroit) d’évoquer de possibles changements en cas de campagne foirée, sans dire lesquels, avec sa gouaille qui pourrait presque rendre le mot «licenciement» sympathique. Depuis des mois, il est dans la posture de l’hyperprésident : l’ancien ministre se défend de s’immiscer dans les décisions de son coach – qu’il n’a pas choisi puisque Novès est arrivé avant lui – juste après les avoir commentés tantôt en long, tantôt en large. Les deux hommes jurent partout qu’ils se respectent. S’ils disent autre chose, la machine explose.

Voilà : le rugby français ressemble à un pays en transition, dirigé par un gouvernement de cohabitation. Au milieu de ça, les joueurs, main-d’œuvre pour qui la vie continuera toujours bon gré mal gré.

Guy Novès, dans les colonnes du Parisien : «Je suis de ceux qui sont plus attentifs au chemin qu’à la cible à atteindre, sans se soucier du chemin que l’on prend pour y parvenir.» Puis, à propos du match : «C’est comme si on demandait à Christophe Lemaitre de “taper” Usain Bolt ou aux meilleurs judokas de faire tomber Teddy Riner, alors que ces mecs-là sont intouchables.» L’ancien entraîneur de Toulouse (1988-1990 puis 1993-2015), où il a tout raflé (en France et en Europe) en contrôlant les moindres détails, est un rappel vivant : les formules gagnantes ne s’exportent clé en main que si le contexte s’y prête.

Les Bleus : une contrée compliquée à réformer, dans un contexte d’urgence – les concurrents avancent, renforçant le fantasme de la décadence. A l’été 2015, Novès a pris la tête des Bleus avec l’impression que Philippe Saint-André, son prédécesseur, avait paumé le XV de France et son french flair (cette fulgurance dans les moments critiques) en pleine nuit, au fin fond d’une forêt que le pied de l’homme n’avait pas encore foulée. PSA avait terminé sur 23 revers en 45 matchs.

«Jeu imprévisible»

Deux ans plus tard, son successeur est sur les mêmes bases statistiques :7 victoires, 11 défaites. Cet été, les Bleus sont revenus d’Afrique du Sud après s’être inclinés trois fois en autant de matchs contre des Springboks bien ordinaires. Sans rien montrer. Novès : un entraîneur en plein jus de crâne, les solutions durables (le fond et la forme) en coaching dépendant d’une échelle de temps capricieuse, voire perverse : on ne reconnaît parfois les bienfaits de votre boulot qu’a posteriori, des années plus tard. Avant de signer son contrat avec la FFR, il avait décliné une première proposition en 2011, sur les conseils de son père, vieillissant et fatigué. Le sélectionneur du XV de France est tantôt dépeint comme un autocrate éclairé, tantôt comme un éducateur fin psychologue, ex-gosse bagarreur, ex-prof de gymnastique au collège, qui a construit sa maison de ses propres mains. Ex-frondeur aussi : en 1979, alors qu’il était joueur, il avait quitté l’équipe de France, fustigeant «l’incompétence» et «la malhonnêteté» ambiante.

Cet hiver, en plein Tournoi des six nations, Jean-Michel Blaizeau, historien, théorisait pour Libération : «Inconsciemment, l’ADN de ce jeu imprévisible, génial par instants, correspond un peu au caractère trublion du Français moyen. Le public s’y retrouve.» Jeudi, Guy Novès et les quelques joueurs présents à Marcoussis jouaient avec les concepts, contournant soigneusement le mot «gagner», préférant en substance «donner le meilleur» ou «faire mieux que l’an dernier», quand les Bleus s’étaient inclinés 19-24 face aux Blacks. Une année, c’est long. Il y a la réalité du terrain, les blessures à gogo, dont celle de l’ouvreur Camille Lopez (tibia fracturé), valeur sûre de ce XV de France-là. Quatre nouveaux débuteront samedi soir : l’ouvreur Anthony Belleau, le centre Geoffrey Doumayrou, le flanker Judicaël Cancoriet et le deuxième ligne Paul Gabrillagues. Les Néo-Zélandais, eux, ont rappelé les tauliers.

Et puis il y a la politique : Laporte a fortement insisté auprès de son staff pour que de jeunes espoirs du Top 14 soient convoqués. Ce qui donne une liste de 46 joueurs. 32 pour l’équipe A, 14 pour une équipe bis qui jouera mardi contre des Black bis dans une rencontre à laquelle la Fédération internationale a dénié un label officiel (on ne joue pas au rugby deux fois en quatre jours) et qui ne vaudra aucune sélection aux joueurs. Le problème de la cohabitation : dans sa carrière, Novès n’a jamais voulu précipiter l’avènement de la relève, tout comme il goûterait moyennement la volonté présidentielle d’ouvrir l’équipe de France aux partenaires – le rugby est un produit à vendre, le joueur reste le meilleur des commerciaux.

«Conflits d’intérêts»

Quoi qu’il en soit, le rajeunissement a érigé un mot clé dans la communication du moment : «Insouciance.» Des bonshommes au logiciel vierge, pour aller au charbon face à des Blacks déifiés par le mythe – ils sont le rugby d’hier, d’aujourd’hui et de demain, les autres ne sont que des copies. Sacré teaser, qui deviendra blockbuster en cas de victoire. Le XV de France n’a plus battu la Nouvelle-Zélande depuis 2009. Ceux qui en étaient en parlent comme d’un AVC. François Trinh-Duc, remplaçant samedi : «Ça marque à vie.» L’an dernier, après le match contre les Blacks, on avait laissé Charles Ollivon éclaté sous son costume classe : la presque victoire avait obligé le troisième ligne à réclamer une chaise pour s’asseoir. Et Rabah Slimani avait synthétisé la pensée globale : «On apprend de la défaite, mais on préfère quand même apprendre des victoires.»

Mercredi, alors que Laporte se trouvait à l’Assemblée pour promouvoir la candidature française pour l’organisation du Mondial 2023, un député de La France insoumise l’a épinglé sur ses casseroles : «Pensez-vous que les divers conflits d’intérêts dans lesquels vous seriez mis en cause auraient pu entacher l’intégrité du rugby français et avoir nui à la candidature de la France ?» Bernie le dingue s’est fâché : «Vous n’avez jamais été ministre [contrairement à Laporte, sous Sarkozy], vous ne le serez certainement jamais.»

Depuis des semaines, Laporte est enlisé dans les embrouilles, qui lui valent un titre en rouge du Canard enchaîné ou une enquête du ministère des Sports de Laura Flessel. Il est soupçonné d’avoir fait pression en juin sur la commission d’appel de la FFR pour réduire des sanctions prononcées à l’endroit du club de Montpellier, consécutives à des banderoles hostiles à la Ligue nationale de Rugby (LNR, qui gère le championnat de France et les intérêts des clubs) et à deux suspensions de joueurs. Or, un contrat d’image liait – avant que Laporte n’y mette fin sous la pression, une fois l’affaire connue – Mohed Altrad (président de Montpellier et chef d’entreprise) et le patron de la FFR, comme l’a révélé le Journal du dimanche mi-août.

Avant d’être président, Laporte fut coach du XV de France (1999-2007) et manager de club au Stade français et à Toulon, avec un certain succès. Au milieu de la galère sud-africaine de cet été, il était venu personnellement secouer les joueurs. Un ex-sélectionneur, devenu grand patron égratigné, dans les pattes d’un autre en difficulté – comment est-ce que cela peut évoluer sans les victoires qui servent de pansement ? De toute façon, ils connaissent tous les deux la mécanique. Plus une équipe s’enlise, plus on regarde avec attention ce qui foire dans les coulisses.

ParRamsès Kefi

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