Dans les coulisses de la campagne Hamon, mise en mouvement et cahots

Published 01/12/2017 in Politique

Dans les coulisses de la campagne Hamon, mise en mouvement et cahots
Benoît Hamon, gare d’Austerlitz, en route pour un déplacement dans la Creuse.

Episode 11

Une nouvelle équipe de campagne se décide, mais l’absence de Valls à la convention d’investiture et les atermoiements des sénateurs grippent le démarrage.

Ancien directeur de campagne de Benoît Hamon durant la primaire et l’élection présidentielle, Mathieu Hanotin est actuellement conseiller départemental de la Seine-Saint-Denis en charge des sports et de l’organisation des Jeux olympiques et membre du bureau national du Parti socialiste. Il était également député de Saint-Denis, Pierrefitte et Villetaneuse lors du précédent mandat. Depuis le 21 avril 2002, son parcours s’est progressivement rapproché de celui de Benoît Hamon. En 2014, ils se retrouvent ensemble aux côtés des autres «frondeurs» de l’Assemblée nationale. Il fut également l’un des premiers soutiens du candidat. Il livre dans Libération le journal de cette campagne atypique vue de l’intérieur.

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Nouvelle campagne, nouvelle équipe, nouvelle stratégie

Le samedi 4 février, Benoît réunit les principaux cadres de la campagne. Jusqu’au dimanche précédent, tous nos efforts se sont concentrés sur la primaire d’autant que la possibilité d’une victoire ne s’est dessinée que les tout derniers jours. Mais à partir de demain, la donne change. Il nous faut rapidement prendre des décisions. L’équipe doit s’élargir et se professionnaliser. Une remise à plat de notre programme s’impose.

Face au miroir grossissant que nous tend la presse, nous devons montrer que nous sommes en mouvement sous peine de s’exposer aux papiers sur «une campagne à l’arrêt».

Pour symboliser l’élargissement, une personnalité importante, à la fois compatible et différente, doit rejoindre l’équipe de direction de la campagne. Plusieurs noms circulent : Olivier Faure, le patron du groupe PS à l’Assemblée, Matthias Fekl, ministre du Commerce extérieur, Delphine Batho, députée des Deux-Sèvres, Jean-Marc Germain, député des Hauts-de-Seine, proche de Martine Aubry. C’est sur ce dernier que se porte le choix de Benoît. Il viendra codiriger la campagne, à mes côtés. Une décision cohérente et rassurante. Jean-Marc a dénoncé avec nous la dérive libérale du quinquennat tout en restant affilié à la majorité du Parti. Polytechnicien, gros bosseur, spécialiste des questions sociales, toutes les chapelles du PS le respectent. Il a ses entrées aussi bien à Matignon qu’auprès des syndicats ou de la haute fonction publique.

Une codirection relève d’ordinaire du casse-tête. Le risque d’une compétition stérile n’apparaît jamais loin. Mais nos profils sont si différents que cela me paraît jouable. A lui, l’élaboration programmatique et l’élargissement de la campagne, à moi de piloter la stratégie et la mobilisation.

Nous nous croisions jusqu’alors à l’Assemblée sans nous connaître vraiment. Je le sais très compétent mais le trouve un peu rigide et pas très avenant. Je découvrirai en travaillant avec lui un bonhomme sympathique, sincère, fidèle, à l’humour pince-sans-rire. C’est un animal à sang-froid. J’ai tendance à croire que moi aussi. Ça me plaît. On ne sera pas trop de deux pour contrebalancer le comportement parfois un peu sanguin du candidat.

La primaire a fait résonner nos idées de manière incroyable. Mais elles demeurent les mêmes. Les décliner à l’infini, bien qu’il s’agisse du socle de notre programme, ruinerait notre crédibilité, notamment auprès de la presse qui scrute maintenant chaque détail. Hors de question en revanche d’inventer de nouvelles mesures à la va-vite.

Benoît convoque alors un «conseil des idées» pour enrichir son contenu programmatique. Il souhaite ouvrir la réflexion à la société civile. Thomas Piketty, l’économiste de renommée mondiale, Jean Jouzel, le climatologue prix Nobel de la paix en 2007 avec le Giec (1), Emmanuel Poilane, le président de la fondation France Libertés, Sandra Laugier la philosophe au cœur du mouvement Nuit debout, l’entrepreneur Nicolas Hazard et de nombreux autres relèveront le défi. Ils nous soutiendront mais surtout ils s’engageront. Voilà la gauche que nous désirons. Une gauche où les militants réfléchissent, où les intellectuels militent. Une gauche ouverte à tous ceux qui combattent déjà pour un avenir meilleur.

 

A la fin de la réunion ce samedi matin, je m’isole avec Benoît. Tout se jouera pour moi à la mi-mars. Les candidatures seront bouclées le 16. TF1 prévoit son grand débat le 19. Le week-end du 17 et du 18 représente le moment-clé, le pivot de la campagne.

Il faut sortir un livre avant cette période pour sécuriser nos propositions. Et surtout nous avons besoin d’un grand moment symbolique avec le peuple de gauche. L’occasion d’un discours qui reste dans les annales. Ce doit être LE moment où Benoît fendra l’armure et présentera sa vision de la Nation et de la République. Afin de marquer les esprits, dépasser les 10 000 d’Hollande, cinq ans auparavant, me semble nécessaire. Il faut prendre Bercy. Ainsi nous tournerons la page du discours du Bourget.

20 000 places. Un gros pari. C’est la raison pour laquelle j’ai pris Benoît à part. J’ai besoin de son feu vert avant d’aller plus loin. Tout le monde parle dans une campagne. Pas forcément dans le but de laisser fuiter une information. Mais une personne raconte à une autre qui raconte elle-même à une autre… et en quelques heures, parfois moins, tombe une dépêche AFP. Nous en ferons l’expérience tout le long de la campagne. Rien ne sert de lutter. Hors d’un micro-cercle, on ne parvient au mieux qu’à ralentir la circulation de l’information, jamais à la cloisonner complètement. Tous nos préparatifs prennent forcément un caractère public. Et Bercy, ça ne s’improvise pas.

Benoît a besoin de quelques jours pour se décider. Il veut d’abord se concentrer sur son discours d’investiture du lendemain. Je n’attendrai pas longtemps. Le dimanche soir, je vois s’afficher «Benoît Hamon» sur l’écran de mon téléphone. Je décroche. Avant même d’avoir prononcé un mot, j’entends «c’est bon, on y va !».

L’investiture et le boycott de Valls

La convention d’investiture, le dimanche 5 février, marque le premier grand moment de la campagne présidentielle. Nous avons su assez vite que Manuel Valls avait décidé de ne pas y participer, contrairement à l’engagement pris devant la haute autorité. Afin de rassembler les socialistes, nous avons décidé de minimiser l’événement.

Impossible en revanche de donner la parole aux candidats du premier tour. Malheureusement pour Montebourg et Peillon, cela n’aurait que trop souligné l’absence du finaliste battu.

Six interventions devaient se succéder pendant l’heure et demie précédant la prise de parole du candidat. Un vrai tunnel objectivement peu enthousiasmant. Nous choisissons de faire du boycott de Valls une opportunité en regardant au-delà de la triste réalité interne du PS.

A la tribune ce jour-là, Jean Jouzel insiste sur l’engagement européen dans la transition énergétique tandis que Dominique Méda lie l’écologie à notre rapport au travail. Julia Cagé précise la finalité du revenu universel d’existence et Patrick Weil rappelle les valeurs fondamentales de la République qui sont aussi son avenir. Une telle richesse intellectuelle tranche avec les conseils nationaux classiques du PS.

Les soutiens affichés de Christiane Taubira et d’Anne Hidalgo parachèvent la réussite de notre convention, dont la presse se fait l’écho. Nous l’interprétons comme une chance de rassembler notre famille et le signe que nous avons bien fait d’ignorer la provocation de Valls.

Lors de la convention d’investiture, avec Anne Hidalgo (photo Marc Chaumeil).

Mal nous en prend. Ce serait le cas s’il se trouvait isolé dans sa posture. On ne voit pas ou plutôt on ne veut pas voir, à ce moment, la dualité du jeu de François Hollande. Les germes de la division existent bel et bien. Le boycott couplé aux épisodes de la semaine n’est pas la queue de comète de la primaire. Mais le premier signal d’un sabotage qui ne tardera pas à se mettre en place.

Nous n’aurions pas dû tolérer l’attitude de Valls. Il fallait nous montrer fermes dès le début, tant que nous en avions la force politique. La convention aurait sans doute été polluée, mais son pouvoir de nuisance pour la suite s’en serait trouvé grandement amoindri.

Notre laisser-faire fut une faute. Un message de faiblesse envoyé par excès de naïveté qui nous coûtera très cher. Mieux vaut être craint qu’aimé. Le fameux principe machiavélien m’a rarement semblé aussi juste.

Lors de la convention d’invstiture. Photo Marc Chaumeil pour Libération

Le dernier exercice imposé : les rencontres avec les parlementaires

La dernière étape de nos figures imposées est le grand oral devant les groupes socialistes, à l’Assemblée et au Sénat. Benoît risque de prendre des coups. Deux théories s’affrontent. Purger le plus vite possible, dès le mardi 31 janvier. Ou laisser la pression redescendre et décaler la rencontre. Je défends la première option, Jean-Christophe Cambadélis et Olivier Faure, la seconde. Leur argument est simple et séduisant : il leur faut du temps pour voir tout le monde afin que les choses se passent bien. On reporte donc d’une semaine. Rendez-vous à l’Assemblée le mardi 7 février.

J’appelle dans la foulée Didier Guillaume, le président du groupe socialiste au Sénat et ancien directeur de campagne de Manuel Valls. Les ennuis commencent. Tout semble compliqué, la rencontre quasi-impossible : «Les sénateurs ont leurs habitudes, tu comprends. Ce sera difficile cette semaine à l’exception peut-être du mardi matin.» Pile le moment que nous venons de choisir pour nous rendre à l’Assemblée. Un pur hasard ! «Ensuite, les sénateurs ne seront presque plus là avec les vacances de février.» Je crois rêver ! Je lui propose de rencontrer celui qui sera peut-être le futur Président de la République et lui me parle de ses vacances au ski !

Nous savons très bien que le groupe socialiste au Sénat est vérolé par un nombre conséquent de macronistes. Mais si nous n’y allons pas, on nous rebattra les oreilles du «mépris» de Benoît Hamon. Hors de question de fournir des excuses à ceux qui penchent déjà vers Macron. Alors je joue dans son sens. 10 h 30-11 h 45 à l’Assemblée et on file direct après. Sénat à 12 heures. Ça nous donne une bonne heure de discussion avec les collègues. Il marque un temps. «Bon d’accord.» Il n’avait pas trop le choix en même temps. «Mais n’arrivez pas en retard», se croit-il obligé d’ajouter, «sinon les collègues seront partis déjeuner.» Lunaire !

Le jour J arrive. L’action de Camba et de Faure se révélera-t-elle efficace ? Nous sommes légitimement inquiets au vu du déroulement de la semaine et du boycott de Valls.

Benoît explique dès le début qu’il n’a qu’une heure en raison des atermoiements de nos amis sénateurs. La majorité de la salle sourit. Convoquer la rivalité députés/sénateurs est une recette éprouvée.

Il précise aussi qu’il ne s’agit que d’une première rencontre. Il veut mettre les députés au cœur de sa campagne et propose à cet égard de créer un conseil parlementaire pour préparer l’agenda législatif des six premiers mois du prochain mandat. La rencontre se passe globalement bien. Faure et Camba ont bien fait le job. Quelques bémols de-ci de-là, mais personne ne défie Benoît frontalement. Les réfractaires n’osent pas. Ils se rabattront sur la stratégie du poison à diffusion lente. Dans les prochaines semaines, ils alimenteront en off la presse sur la désorganisation de la campagne et se plaindront de n’y être pas associés. Mais brilleront par leur absence dès que nous instituerons des cadres ad hoc comme les conseils politiques. Certains pousseront même l’hypocrisie jusqu’à appeler Benoît pour se plaindre. Ils souhaiteraient «vraiment s’investir davantage», mais la direction de campagne ne les prévient de rien et ne les traite pas avec les égards dus à leur rang. Cette mauvaise commedia dell’arte se donnera malheureusement trop souvent.

Comme si nous avions le temps de les appeler sans cesse pour écouter leurs états d’âme. Durant ce mois de février, ma journée type commence à 7 heures avec les premiers messages de journalistes et se termine rarement avant 23 heures sans pause déjeuner. Si on s’embarrasse outre mesure du protocole pendant une campagne, plus rien n’avance. En règle générale, le sentiment de défendre ses convictions, l’envie d’en être et la perspective d’une victoire suffisent à dépasser les ego. Sinon, ça sent mauvais. S’abriter derrière le protocole devient l’excuse classique pour ne rien faire. Dans notre milieu, une formule s’applique à la perfection à cette situation : «pas besoin de carton d’invitation pour rentrer en résistance ».

Au Sénat, une toute autre ambiance nous attend. Les macronistes sont dans la salle. Leurs sourires goguenards annoncent le coup pendable. Ils ne font même pas semblant. Comment, dans ces conditions, Benoît peut-il évoquer sa stratégie de campagne ? Comment se sentir en confiance pour tenter de dépasser les désaccords ? Le contenu de ce genre de réunion ne reste jamais secret bien longtemps. Mais venir directement prendre des notes pour les transmettre à l’équipe concurrente, c’est du jamais vu. D’habitude les petites mains se chargent des basses œuvres. Qu’un soutien affiché de Macron tel François Patriat, sénateur de la Côte d’Or et actuel Président du groupe La République En Marche au Sénat, ose venir s’afficher en petit télégraphiste dans la réunion de Benoît en dit plus long que n’importe quel discours sur l’état d’esprit de Guillaume et d’une partie conséquente du groupe socialiste.

Provocation, mépris, suffisance et sentiment d’impunité totale. Le message adressé à Benoît est limpide : «tu n’es pas le bienvenu ici.» Au moins, il ne sera plus nécessaire de faire semblant à l’avenir.

Benoît pourrait claquer la porte. Au lieu de cela, il préfère les prendre à leur propre jeu. Au cynisme, il oppose le débat de fond. Il prend le temps d’expliquer les raisons de sa victoire. Il revient avec calme sur les errements de la fin du quinquennat. Il démonte les critiques le présentant comme un dangereux extrémiste. Il répond sur tous les sujets sans aucune note, ni l’aide d’aucun conseiller collé à son oreille. Il n’hésite pas à les interroger sur le sens de leur engagement en politique. Il a raison. Ce jour-là, il convainc de son sérieux les réfractaires à l’hypocrisie et au sabotage. Dominique Gillot, sénatrice du Val d’Oise, ancienne ministre, soutien de Manuel Valls fait partie de ceux-là. Elle rejoindra l’équipe de campagne quelques semaines plus tard et fera considérablement progresser le projet de Benoît sur la question du handicap. Une femme honnête et remarquable. Il y en aura d’autres, pas assez malheureusement pour contrebalancer la toxicité de ceux décidés à nuire.



(1) Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.

ParMathieu Hanotin

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