Renault se lance dans la presse avec Claude Perdriel

Published 13/12/2017 in Futurs

Renault se lance dans la presse avec Claude Perdriel
Le patron de Renault, Carlos Ghosn (ici en février à Boulogne-Billancourt), investit notamment dans «Challenges», un magazine où il est souvent question d’automobile.

Médias

Le constructeur automobile investit 5 millions d’euros et prend 40% de l’éditeur de «Challenges» et «Sciences & Avenir».

«Dans ma vie, je n’ai jamais aimé copier.» L’industriel et homme de médias Claude Perdriel a pris tout le monde par surprise en annonçant ce mercredi l’entrée de Renault au capital de son groupe de presse, à l’intérieur duquel on trouve l’hebdomadaire économique Challenges, les mensuels Sciences & Avenir et la Recherche et les magazines l’Histoire et Historia. Le constructeur automobile va prendre 40% des parts, par le biais d’une augmentation de capital de 5 millions à laquelle il souscrit entièrement. L’investissement n’est pas négligeable pour un groupe de presse réalisant «entre 43 et 45 millions d’euros» de chiffre d’affaires annuel, selon Perdriel, qui gardera la main sur les 60% de capital restant. Avec des diffusions moyennes respectives de 236 000 et 206 000 exemplaires, Sciences & Avenir et Challenges sont les deux plus gros titres en sa possession.

Mais que vient donc faire un fabricant de voitures mondialisé, aux 51 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuels,  dans cette histoire de presse très française ? Perdriel assure que son groupe n’avait pas besoin d’un soutien financier, devant revenir à l’équilibre en 2018. C’est d’ailleurs Renault qui l’a sollicité, via sa banque d’affaires, en septembre. «Quand j’ai été contacté par Carlos Ghosn [PDG de Renault, ndlr], j’ai d’abord pensé dire non malgré l’admiration que j’ai pour lui, raconte Perdriel. Mais dès qu’il m’a expliqué son projet, j’ai compris que c’était évident, passionnant, enthousiasmant. Nous avons l’occasion d’innover, nous partons d’une feuille blanche. C’est extraordinaire.»

«Nous n’avons nous-mêmes aucune compétence dans les médias»

Le projet de Ghosn est lié aux ambitions de développement de Renault dans la «voiture connectée» (à Internet) et «autonome» (en pilotage automatique), vers laquelle se rue toute l’industrie automobile. «La voiture connectée, c’est de la technologie, justifie Carlos Ghosn, venu détailler l’opération au côté de Perdriel lors d’un déjeuner avec quelques journalistes. Mais le prochain sujet est le contenu. Nous devons nous y intéresser, sinon nos voitures deviendront des boîtes vides au service des autres.» Pour être capable d’offrir des contenus exclusifs aux usagers de ses futurs véhicules bardés de services électroniques, le constructeur a donc décidé de «mener un test en France» en s’associant avec un fournisseur de presse.

«Nous n’avons nous-mêmes aucune compétence dans les médias», ajoute Carlos Ghosn, qui vante le positionnement «haut de gamme» de son partenaire sur «le savoir et la connaissance». On pourra s’étonner de voir le choix de Renault se porter sur l’éditeur de Challenges et non sur un producteur de contenus international autrement puissant… Le PDG le mieux payé de France, lui, voit loin, très loin, envisageant déjà de traduire les contenus du groupe pour les clients étrangers et de personnaliser les offres par recours intelligence artificielle. De quoi ravir Claude Perdriel, à qui il est moins que jamais l’heure de parler de succession, malgré ses 91 ans : «Je me sens en pleine forme. Je me retrouve devant le projet le plus fascinant qui soit. Je ne vais pas lâcher le truc maintenant !»

Pirouette

Reste la question, pas tout à fait anodine, de la liberté éditoriale. Cet accord signe le passage de l’un des derniers groupes de presse indépendants aux mains – en partie – d’un géant du CAC 40. La question se pose en particulier pour l’hebdomadaire économique Challenges, dont l’un des sujets de prédilection est… l’industrie automobile. Dans un communiqué, la société des journalistes (SDJ) de l’hebdomadaire «déplore que, le jour même de l’annonce de l’entrée de Renault dans le capital du groupe, la Une du magazine datée du 13/12 soit consacrée à un dossier intitulé “La voiture, tout change!” et illustrée par une Renault au premier plan» et «estime que cette concomitance nuit gravement à l’image du journal, même si les journalistes auteurs du dossier affirment avoir pu travailler en toute indépendance». Devant la SDJ, la direction du journal a évoqué un «hasard de calendrier», le dossier de couverture étant prévu de longue date. 

«Je ne lis jamais les articles qui concernent l’industrie automobile», répond par une pirouette Carlos Ghosn. «Depuis cinquante ans que je fais des journaux, personne n’a pu me dire que je n’étais pas indépendant», se défend le fondateur de l’Obs et du Matin de Paris, assurant que le traitement de l’automobile ne variera pas. Mais les lecteurs en penseront-ils autant ? «On verra. Il faut considérer le lecteur comme quelqu’un d’intelligent : il fait confiance à son journal à partir du moment où il a des raisons de lui faire confiance. Je suis optimiste.» Il peut au moins l’être quant à l’avenir financier de son groupe : avec Renault comme partenaire, il est assuré pour quelques années.

ParJérôme Lefilliâtre

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