L’or, appât du géant Marcel Hirscher

Published 18/02/2018 in Sports

L’or, appât du géant Marcel Hirscher
Marcel Hirscher lors du géant de dimanche, à Pyeongchang.

Profil

A 28 ans, l’Autrichien a déjà ramassé deux titres en ski alpin, couronnement d’un perfectionnisme extrême.

Un deuxième sacre olympique à Pyeongchang comme qui rigole (1’27’’ de champ sur le Norvégien Henrik Kristoffersen, deuxième de l’épreuve, 1’31’’ sur le Français Alexis Pinturault, médaille de bronze) en géant pour l’Autrichien Marcel Hirscher 28 ans. Et une blague, lâchée avec ce sourire à la fois enfantin et complice dont il se départit rarement : «Désolé les amis asiatiques, mais en ce moment, je n’arrive plus à voir du riz ! Deux semaines et demie de riz, c’est beaucoup pour un Européen.» Les Jeux olympiques : un choc culturel.

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Et le natif d’Annaberg-Lungötz, dans l’Etat de Salzbourg, n’en a pas terminé : il chassera son troisième titre de la quinzaine jeudi sur le slalom, la discipline où il a remporté près de la moitié (26 sur 55) de ses succès sur le circuit en Coupe du monde. Hirscher a relativisé sa supériorité en Corée du Sud : il se sent «fatigué», «il fait froid». Qui peut être dupe ? Le 17 août, lors de la reprise de son entraînement sur le glacier du Mölltal, dans le sud de l’Autriche, il se fracture la malléole latérale de la jambe gauche en enfourchant un piquet : quelques nouvelles alarmistes – «mes performances aux Jeux sont compromises» – sur ses perspectives au fil des mois, avant qu’Hirscher ne revienne dès décembre pour tout balayer : quatre géants (Alta Badia en Italie, Garmisch-Partenkirchen en Allemagne…) et six slaloms (Val-d’Isère, Wengen en Suisse, Schladming en Autriche…) en poche et l’adversité renvoyée dans les cintres.

«Surtout, ne mettez pas le mot “tueur” dans ma bouche»

Bien sûr, le milieu fut admiratif. A quelques dissonances près, sur le mode «il nous a bien eus». Dans les faits, pourtant, l’Autrichien n’a pas pu poser le pied sur un ski pendant près de deux mois. Durant lesquels ses adversaires ont pu s’adapter à la nouvelle réglementation sur les skis du géant, dont le rayon repassait à 30 mètres au lieu de 35 mètres (ce qui rend les skis plus réactifs, en grossissant le trait) la saison précédente. Du coup, l’intéressé a expliqué avoir dû se baser sur les retours «de [ses] coéquipiers».

Ce qui demeure mystérieux. Comme il l’expliquait à Libération en janvier 2017, Hirscher prospère en effet depuis ses débuts en dehors de l’équipe nationale autrichienne, au sein d’une structure dédiée : deux techniciens pour s’occuper de ses skis, une marque de matériel (Atomic) à l’affût de la moindre remarque, coach perso, kiné perso, préparateur physique perso et son père là-dessus… sans compter un attaché de presse et un jet mis à disposition par son sponsor.

Des moyens énormes à l’échelle du ski, même en Autriche. Au service d’un skieur à l’expression douce, souriante : si la domination de Marcel Hirscher est bel et bien une dictature, ses six gros Globe de Cristal (récompensant le meilleur skieur toutes disciplines confondues chaque saison) consécutif depuis 2011 faisant foi, c’est une dictature harmonieuse. Séraphique.

A un journaliste auquel il essayait de faire comprendre son état d’esprit dans les portillons de départ, il avait un jour parlé de lui comme d’un «tueur» naturel, d’un type dominant parce qu’il était né ainsi. Avant d’ajouter aussitôt : «Surtout, ne mettez pas le mot “tueur” dans ma bouche, même pas l’idée, je ne veux pas qu’on dise ça.»

La dernière grande star que le ski autrichien ait produite avant lui, l’immense descendeur Hermann Maier, le brocarde parfois : trop lisse, trop dans le confort avec son équipe dès la sortie de l’adolescence, alors que lui, Maier, apprenait le métier de maçon sur les chantiers dans la station de ski huppée de Flachau. Pas assez éprouvé par la vie – une seule blessure en 2011 avant celle de cet été – alors que ce même Maier faisait des vols planés en mondovision, avant de se retrouver entre la vie et la mort après un accident de moto. Maier était un type dangereux, un peu voyou, se prêtant sans regimber à des opérations de sponsoring aussi stylées que le strip-tease d’une fille sous crack dans un bouge de Las Vegas dowtown.

«Il ne laisse passer aucun détail»

Hirscher, c’est le ­contraire : un équilibre. Pinturault, dans l’Equipe : «Marcel fait des choses très bien, mais il y a d’autres athlètes qui font des choses excellentes. Il ne laisse passer aucun détail. Sa plus grande force, c’est ça. Techniquement, d’autres sont aussi bons que lui, voire meilleurs. Je pense à l’Américain Ted Ligety en géant par exemple. Sauf que, pour Marcel, tous les petits détails ont leur importance et tout ça mis bout à bout, il gagne depuis six  ans.»

Sept saisons que l’Autrichien n’est pas sorti de la piste sur le géant : le ski, c’est d’abord arriver en bas. Pas de quoi ­susciter dans le public cette amphétamine psychique qui n’appartient qu’à ceux qui ­naviguent de part et d’autre de la limite. Et alors ? Quand on lui parle de plaisir, ­Hirscher évoque le silence : «Ce ­moment très calme mais aussi 100 % extrême, où tu descends la piste en frôlant les ­­130 km/h. C’est un peu comme pour un surfeur : on est en phase avec la nature.» Plus qu’un magistère exercé en souplesse : une balance cosmique.•

ParGrégory Schneider

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