F1 : Esteban Ocon, le talent avant l’argent

Published 23/03/2018 in Sports

F1 : Esteban Ocon, le talent avant l’argent
Esteban Ocon, pilote de l’écurie Force India, vendredi, au championnat du monde de F1 à Melbourne.

Profil

Fils de mécanicien, le pilote français de 21 ans a un parcours singulier dans un sport dominé par l’argent.

Actuel pilote de l’écurie Force India, avec laquelle il ouvrira l’édition 2018 du championnat du monde de F1 dimanche à Melbourne (Australie), Esteban Ocon, 21 ans, possède un parcours de vie difficile mais méritoire. Issu d’un milieu modeste, le natif d’Evreux (Eure) est l’exception qui confirme la règle en F1 : le talent avant l’argent. Depuis l’enfance, le pilote se laisse bercer par les sifflements de moteurs chéris par Laurent, son père, qui lui offre un go-kart à quatre ans et demi. Mécanicien, Laurent Ocon transmet à son fils l’amour des voitures et le pique lorsqu’il s’égare du chemin vers son destin, comme ce jour où le paternel l’interpelle à coups de : «Tu veux être pilote ou vendeur chez McDo ?» Le Français baigne dans un univers où l’odeur d’essence est un parfum recherché.

A lire aussi GP de Belgique: des louveteaux dans les Ardennes

Esteban Ocon devra attendre ses 6 ans pour tacher d’huiles ses premières combinaisons sur le circuit de karting d’Aunay-les-Bois, dans l’Orne. Il n’a pas l’âge requis pour s’asseoir sur un siège baquet, mais l’enfant prodige joue de son sérieux et de sa motivation pour convaincre Claude Gripon, président du club K61, de le laisser rouler pendant les pauses de midi. Timide dans la vie, le jeune pilote est une bombe en piste : «Il enquillait les kilomètres avec plaisir», confie Claude Gripon à Ouest France.

Galères

Esteban Ocon démonte alors les chronos. Il est surtout régulier : jamais plus d’un dixième de seconde sur son meilleur temps. Dès sa deuxième année, l’espoir français se révèle gagne une multitude de courses. Tours après tours, le niveau régional l’étrique, réduit sa progression… Donc il s’envole, rejoint la capitale à l’ASK Rosny 93, une piste de karting dans la région parisienne (Aulnay-Sous-Bois) tenue par Jean-Pierre Deschamps. Qui explique dans Ouest France : «Un gars comme lui, il y en a un tous les quinze ans. Quand on est capable de réaliser 100 tours dans le même dixième, c’est la marque des champions.»

Paradoxalement, Esteban Ocon devient champion de France en minimes au moment où sa vie personnelle bascule… A 13 ans, il part vivre avec son père dans une caravane, à Breuil-sous-Argenton (Deux-Sèvres). En difficultés financières, Esteban et Laurent sont aidés par le président du club du Val d’Argenton, Jean-François Girard. Marqué par les galères qu’ils ont surmontées ensemble, l’Ebroïcien ne se sépare jamais de son entourage familial : «Je vis toujours chez mes parents, en Normandie, la plupart du temps. Si un jour je prends la grosse tête, mes parents me mettront une claque», confiait-il en 2017 au Parisien. Loin du cliché fleuri du fils de milliardaire qui fait carrière en monoplace grâce à ses sponsors personnels, Ocon charbonne au quotidien et multiplie les trophées jusqu’à devenir champion de France et vice-champion d’Europe de KF3.

Au summum en karting, le pilote Force India rêve désormais de jouer dans la cour des grands et ne manque pas de détermination. En monoplace, il démarre avec le statut de novice et use d’astuces pour alléger le budget dédié au matériel. A l’époque, il suit à la trace Nyck De Vries (champion de Formule Renault 2,0 litres en 2014) et récupère les pneus du pilote néerlandais dans les poubelles… Surréaliste et impensable dans un milieu où le manque d’argent est une plaie mortelle.

«Une dizaine d’œufs par jour»

En 2013, un test en Formule 3 à Imola (Italie) change son destin. Directeur de l’écurie McLaren, Eric Boullier demande à l’équipe Prema Powerteam d’organiser une course entre leur pilote vedette, Raffaele Marciello (champion de F3 en 2013) et Esteban Ocon. Plus rapide que l’Italien pendant la course, Esteban Ocon brille et se crée une réputation de pilote hargneux, sans filet au volant. Manque un peu de lucidité, un esprit plus stratège, qu’il polira au fil des saisons jusqu’en 2016, quand Mercedes le prête à l’écurie Renault, chez qui il intègre la Formule 1 comme troisième pilote.

Ocon cumule alors ce poste de remplaçant en monoplace avec un rôle de titulaire en DTM (le championnat de tourisme allemand). Un mauvais choix pour le Normand qui se perd en route, se souvient Guillaume Nédélec, journaliste à Motor Sport, pour Ouest France : «Le DTM demande une approche et une adaptation particulière […] Ça a été l’occasion de lui rappeler que tout ne lui était pas dû.» Ocon comprend alors qu’il doit se recentrer sur la F1. A 19 ans et 345 jours, il devient le plus jeune pilote français à prendre le départ d’un Grand Prix, à Spa-Francorchamps (Belgique) en 2016. Frêle, le Normand apprend (non sans mal) à se familiariser avec la musculation et prend 5 kilos.«Il a fallu non seulement pousser et faire des efforts durant les exercices physiques mais également à table. Il a fallu que je me force à beaucoup manger, avec beaucoup de protéines, presque une dizaine d’œufs par jour en plus de la viande et des féculents… C’était assez difficile», confiait-il au site Adekwa. Proche du pilote danois Kevin Magnussen de l’écurie Haas F1 Team, Ocon suscite le respect de tous dans le paddock. Accro à YouTube et ses vidéastes français, fan de la chanson Can’t be touched de Roy Jones, l’espoir tricolore s’est forgé une étonnante maturité à force de surmonter les coups durs. Le jeune homme a récemment reçu l’éloge d’Alain Prost : le quadruple champion du monde français s’est déclaré «très impressionné par Esteban Ocon».

ParSacha Tavolieri

Print article

Leave a Reply

Please complete required fields