L’usine syrienne de Lafarge, fournisseuse de l’EI ?

Published 22/04/2018 in France

L’usine syrienne de Lafarge, fournisseuse de l’EI ?
Syrie: Cimenterie Lafarge. Vue générale de l’usine toute récente, installée au nord du pays, près de la frontière turque.

Enquête

La juge d’instruction s’interroge sur un échange de mails qui peut laisser penser que l’usine Lafarge en Syrie aurait pu vendre du ciment à l’EI.

Jusqu’où allaient les relations économiques entre la filiale syrienne de Lafarge et l’Etat islamique ? Les magistrats s’interrogent sur un nouveau volet qui n’a pour l’instant pas encore été exploré.

Trois types de flux financiers ont formellement été établis dans la procédure entre le cimentier et l’Etat islamique. Une somme fixe pour le franchissement des différents check-points sur les routes, une commission proportionnelle payée par les transporteurs mais prise en compte par Lafarge dans la définition de ses prix et une autre lors de l’achat de matières premières à des fournisseurs liés à l’organisation terroriste. Mais un échange de mails entre plusieurs cadres du cimentier jette le trouble sur une possible autre relation économique : la vente de ciment de la multinationale à l’organisation Etat islamique.

Volume énorme. Le 22 décembre 2014, alors que l’usine syrienne est encore aux mains du groupe terroriste, Ahmad Jaloudi, le «gestionnaire des risques» de Lafarge en lien avec les groupes armés, informe Frédéric Jolibois, responsable de cette filiale, de la volonté de l’Etat islamique d’acheter 150 000 tonnes de ciment. «L’Etat islamique cherche des distributeurs en Syrie comme les nôtres», lui indique Ahmad Jaloudi. Et précise la répartition : «75 000 tonnes en Irak et 75 000 tonnes en Syrie.» Un volume énorme, mais qui correspondrait sans difficulté aux capacités de production de l’usine syrienne de la multinationale.

Cette demande est répercutée par l’un des principaux clients du cimentier, visiblement en lien étroit avec des cadres de l’Etat islamique. Ce distributeur leur fournissaient-ils du ciment Lafarge avant la prise de l’usine le 19 septembre 2014 ?

Le groupe terroriste est, à l’époque, un véritable acteur économique de la région, et contrôle même jusqu’à six cimenteries en Irak et en Syrie. Le responsable de la filiale irakienne de Lafarge est aussi dans la boucle des échanges, et informe Frédéric Jolibois sur les faibles capacités de production de l’Etat islamique en Irak : «La cimenterie de Qaim [sans lien avec Lafarge, ndlr] est toujours sous le contrôle d’Isis [Etat islamique]. Cette cimenterie ne produit plus depuis le mois de juillet.» Dans l’usine de Lafarge, à Jalabiya, dans le nord-est de la Syrie, le groupe terroriste a également du mal à relancer la production et se contente de vider les silos.

«Perspective d’achat». Abondamment questionné sur ces messages par la juge d’instruction Charlotte Bilger, lors d’une troisième audition le 11 avril dernier, Frédéric Jolibois esquive et plaide le malentendu. «Il résulte de ce mail que ce sont des discussions qui portent très clairement sur une perspective d’achat», estime la magistrate, qui lui demande des explications.

«Ce mail ne fait référence à aucune volonté d’achat ou même de commerce avec ISIS. C’est de l’information. On est une société complètement à l’arrêt, qu’est-ce qu’on peut faire à part recueillir de l’information ?» estime l’ancien dirigeant. «La teneur de ce mail ne correspond pas à ce que vous en dites. Qu’en pensez-vous ?» insiste Charlotte Bilger. Réponse : «Je suis en total désaccord avec vous.»

ParIsmaël Halissat

Print article

Leave a Reply

Please complete required fields