Royaume-Uni : la ministre de l’Intérieur Amber Rudd démissionne

Published 29/04/2018 in Planète

Royaume-Uni : la ministre de l’Intérieur Amber Rudd démissionne
Amber Rudd le 6 février à Downing Street.

Immigration

La ministre de l’Intérieur, sur la sellette après la gestion calamiteuse des immigrés de la génération Windrush, a finalement démissionné dimanche soir.

En temps normal, Amber Rudd aurait déjà démissionné il y a plusieurs jours. Mais les temps sont loins d’être normaux au Royaume-Uni et la ministre de l’Intérieur n’a finalement présenté sa démission à la Première ministre britannique Theresa May que dimanche soir, peu après 22 heures.

L’annonce tardive a pourtant surpris dans la mesure où elle devait s’exprimer lundi devant les députés de la Chambre des Communes pour tenter une énième fois de s’expliquer sur les manquements de son administration. Mais une dernière révélation, dimanche en fin d’après-midi, a précipité sa décision.

Amber Rudd était accusée d’avoir sous-estimé le fiasco de la génération Windrush. Ces immigrés, environ 550 000, sont arrivés légalement entre 1948 et 1973 des Antilles britanniques, en majorité de la Jamaïque, à la demande du Royaume-Uni, pour participer au développement du pays après-guerre. Or le Guardian avait révélé l’existence de dizaines de cas de personnes incapables de fournir la preuve de leur citoyenneté britannique – la carte d’identité ou le passeport ne sont pas obligatoires au Royaume-Uni – et menacées d’expulsion par le Home office.

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Les témoignages, souvent déchirants, se succèdaient depuis une dizaine de jours. Vendredi, Sylvester Marshall – qui avait utilisé le pseudonyme d’Albert Thompson pour témoigner auprès du Guardian –, a obtenu son sésame. Après quarante-cinq ans au Royaume-Uni, où il est arrivé de Jamaïque adolescent, il dispose enfin d’un document lui confirmant qu’il a bien le droit de rester indéfiniment dans le pays. A 63 ans, il va aussi pouvoir commencer son traitement de radiothérapie pour lutter contre un cancer de la prostate. En novembre dernier, l’hôpital avait refusé d’engager le traitement s’il ne payait pas 51 000 euros, parce qu’il ne pouvait prouver qu’il était présent légalement au Royaume-Uni.

Mémo

Face à l’indignation soulevée par ces révélations, Amber Rudd avait reconnu des erreurs, admis que les membres de la génération Windrush étaient au Royaume-Uni en toute légalité et promis qu’ils recevraient rapidement des papiers, sans avoir à payer un penny. Mais elle avait aussi essayé de blâmer ses propres troupes, les fonctionnaires du Home office, pour leur zèle inapproprié. La vengeance n’a pas tardé, sous la forme de la fuite d’un mémo de seize pages, dans lequel des objectifs précis d’expulsion d’immigrés avaient été chiffrés. Ce document, envoyé à son adresse email en juin 2017 parlait d’«objectifs à atteindre : 12 800 expulsions forcées en 2017-2018». Or, Amber Rudd avait d’abord affirmé devant un comité parlementaire que de tels objectifs n’existaient pas. Puis qu’elle n’avait pas pris connaissance du mémo, qui lui était pourtant directement adressé. Dimanche en fin d’après-midi, après une journée où des membres du gouvernement s’étaient succédés pour tenter de la défendre, le Guardian a publié une nouvelle fuite, celle d’un courrier d’Amber Rudd envoyé à Theresa May dans lequel elle parlait d’un objectif de réduction de 10% de l’immigration illégale. Il devenait alors difficile pour elle de nier avoir eu connaissance d’objectifs chiffrés.

«Les conservateurs ont tenté de donner l’impression qu’il s’agissait d’une anomalie, d’une série d’erreurs accidentelles. Mais les Britanniques savent que c’est un mensonge. Nous savons qu’en réalité, il s’agissait de créer délibérément un “climat hostile” pour les immigrés. Nous le savons parce qu’ils s’en sont vantés à plusieurs reprises au cours des années», avait estimé dimanche dans la journée Sadiq Khan, le maire travailliste de Londres. Ce “climat hostile” a été mis en place sous l’œil de Theresa May, qui a précédé Amber Rudd à l’Intérieur. En 2013, elle avait approuvé un test, vite abandonné. Deux camionnettes blanches avaient sillonné quelques semaines certains quartiers, affichant des pancartes clamant : «Au Royaume-Uni illégalement ? Rentrez chez vous ou vous risquez une arrestation !»

Discours

En novembre 2016, Amber Rudd avait prononcé un discours au congrès annuel du parti conservateur qui avait marqué les esprits. Elle y proposait d’obliger les entreprises à lister leurs employés internationaux. Face aux réactions indignées, notamment des chefs d’entreprises, elle n’avait pas donné suite. Ce discours intervenait cinq mois après le référendum en faveur du Brexit. Au cours du même congrès, la Première ministre Theresa May avait aussi prononcé des mots perçus comme xénophobes et notamment anti-européens. «Si vous croyez que vous êtes citoyen du monde, vous n’êtes en fait citoyen de nulle part», avait-elle dit. La démission d’Amber Rudd, 54 ans, place désormais Theresa May en première ligne face aux conséquences de ce «climat hostile» qu’elle a souvent justifié par la nécessité de lutter contre l’immigration illégale, dont l’ampleur n’est pas chiffrée. 

Le départ de la ministre de l’Intérieur intervient également à la veille d’élections locales, attendues jeudi. Or, tous les pronostics prévoient de lourdes pertes pour le Parti conservateur. Et le Brexit, qui se glisse, s’immisce depuis deux ans dans toutes les strates de la vie politique et sociale, joue ici aussi un rôle crucial. Amber Rudd s’était vigoureusement opposée à la sortie de l’UE. Après la victoire du Brexit au référendum, elle avait contré la tentative de Boris Johnson de devenir Premier ministre, le jugeant incompétent et trop extrémiste. Elle avait soutenu Theresa May.

Depuis, elle participait au très délicat et fragile équilibre au sein du gouvernement entre les partisans d’une ligne dure et ceux qui souhaiteraient limiter les dégâts du Brexit. Cet équilibre est désormais menacé alors qu’Amber Rudd, redevenue simple députée et libre de sa parole, pourrait rejoindre aux Communes le camp des opposants, de plus en plus virulents, à un Brexit dur. Le choix de son nouveau ministre de l’Intérieur sera crucial pour Theresa May.

ParSonia Delesalle-Stolper, Correspondante à Londres

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