«Les Guignols», ainsi fondent, fondent, fondent, les petites marionnettes

Published 01/06/2018 in France

«Les Guignols», ainsi fondent, fondent, fondent, les petites marionnettes
L’humoriste et imitateur des «Guignols de l’Info», Yves Lecoq, avec les marionnettes de Patrick Poivre-d’Arvor et de Jacques Chirac, en 2009.

Télé

Après des mois d’une entreprise de démolition méthodique du programme trentenaire de Canal + par Vincent Bolloré, le groupe audiovisuel a annoncé jeudi son arrêt définitif.

«Les Chinois à Paris.» C’est le titre du sketch des Guignols diffusé mercredi soir sur Canal +. Au lendemain de la perte par la chaîne cryptée des droits de diffusion du foot français pour la période 2020-2024, remportés par Mediapro, groupe espagnol détenu par un fonds chinois, les célèbres marionnettes imaginaient une saynète entre Anne-Sophie Lapix et Jacques Chirac. «Je sais pas s’ils [les Chinois, ndlr] vont le lâcher, leur milliard, finalement, disait le double en latex de l’ex-chef de l’Etat. Quand ils vont s’apercevoir qu’ils ont mis autant d’argent pour voir jouer Giannelli Imbula et Vincent Pajot…» Et l’avatar de la journaliste de répondre : «Il peut s’en passer des choses en deux ans, Jacques…»

Ce n’est pas faux. Mais les Guignols n’auront plus l’occasion d’ironiser sur ces arrière-cuisines de la chaîne qu’ils avaient pris l’habitude de raconter depuis que Canal + existe. Le groupe audiovisuel a annoncé jeudi lors d’un comité d’entreprise l’arrêt du programme emblématique de la chaîne à la fin de la saison. Dans l’air depuis des mois, la nouvelle n’est pas une surprise. Elle n’a d’ailleurs pas fait l’objet d’une communication officielle. Juste d’une confirmation à l’AFP de l’info sortie par le site les Jours. Les Guignols s’arrêtent et c’est une telle évidence que la grande machine bolloréenne ne prend même pas la peine de la justifier.

Sape. Triste faire-part de décès pour un mythe télévisuel, créé en 1988, qui fut dans les années 90 le territoire le plus irrévérent du paysage médiatique français. C’était avant que le milliardaire breton Vincent Bolloré, qui n’a jamais été un grand fan, ne fasse tout pour la saper de l’intérieur. Après avoir essayé de la supprimer puis reculé devant le tollé médiatique suscité, il a lui imposé d’incessants changements d’horaires, l’a fait passer du clair au crypté au clair, a exigé qu’elle traite moins de politique et l’a dépouillée peu à peu de ses talents… Les auteurs historiques ont d’abord été virés, puis le producteur de toujours, Yves le Rolland, remplacé par un «Bollo boy» (David Gauthier) missionné pour faire le moins de vagues possibles. Un type qui restera dans l’histoire comme le fossoyeur des Guignols.

L’entreprise de démolition, que l’on peut difficilement imaginer ne pas avoir été sciemment conduite, a parfaitement fonctionné. Diffusés chaque soir de semaine à 20 h 30 cette saison, les Guignols réalisent depuis des mois des audiences confidentielles. Tombé dans l’anonymat quasi-total, le programme génère un bruit médiatique proche du néant sur les réseaux sociaux. Un signe, à notre époque, de mort et un excellent prétexte pour décider son anéantissement.

Grève. «Les Guignols, c’est comme ton arrière-grand-oncle éloigné. Tu le calcules plus depuis longtemps mais ça te fait un petit truc de savoir qu’il vient de mourir», a parfaitement résumé l’humoriste Kheiron sur Twitter. Au même endroit, Bruno Gaccio, l’ancienne figure de proue de l’émission, a réagi tout en sous-entendus : «Vous vous doutez bien de ce que je pense, ne me le faites pas dire.» D’après les Jours, l’équipe des Guignols, composée d’une cinquantaine de personnes, envisage de se mettre en grève.

Il est à peu près certain que cela ne sera pas de nature à faire plier Bolloré, habitué à tenir les rapports de force. La grève d’un mois au sein de la chaîne d’information i-Télé fin 2016 ne l’avait pas fait bouger d’une oreille. Vendredi, l’homme d’affaires a offert une nouvelle démonstration de son inflexibilité lors de l’assemblée générale des actionnaires du groupe Bolloré. A propos de la claque reçue sur les droits du foot, qui fragilise considérablement Canal +, il a eu ces mots particulièrement légers : «C’est présenté comme la fin du monde mais, pardon, c’est une tempête dans un verre d’eau microscopique.» Que doit-il penser alors de la disparition des Guignols.

ParJérôme Lefilliâtre

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