Virgil Abloh chez Vuitton, attraction de la mode masculine

Published 18/06/2018 in Mode

Virgil Abloh chez Vuitton, attraction de la mode masculine
Backstage du défilé Off-White de Virgil Abloh, le 2 mars 2017 au Palais de Tokyo à Paris.

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La première collection présentée par le créateur américain lors des défilés parisiens, qui commencent ce mardi, est l’une des plus attendues. Consécration pour la sensation du moment.

Longtemps, on s’est couché tard en se disant : «Pfffff, à quoi bon des défilés de mode masculine ?» Dépourvus d’enjeu autre que commercial, du glamour dans lequel peuvent se draper le prêt-à-porter féminin et la haute couture, de top models, de parterres de people, bref du côté show qui peut justifier un raout hors de prix et une transhumance médiatique internationale, ils avaient tout du faux événement. Or la mode masculine est en train de renverser la table. Au point que la cinquantaine de défilés prêt-à-porter printemps-été 2019 qui va rythmer Paris de mardi à dimanche s’annonce carrément excitante – bien plus que la salve de haute couture qui lui emboîtera le pas, deux jours plus tard.

Il y aura, pour commencer, le retour dans le calendrier parisien de la tête chercheuse belge Raf Simons, qui a défilé les trois dernières années à New York. On suivra aussi avec attention les débuts du Britannique Kim Jones chez Dior Homme, après sept ans de beau travail pour Vuitton (groupe LVMH). Mais l’attraction majeure sera sans conteste l’Américain Virgil Abloh, son successeur chez Vuitton, en lice jeudi… le lendemain du défilé de sa propre marque, Off-White.

Ubiquité. C’est tout Abloh, ça, le cumul, le côté Shiva, comme doté du don d’ubiquité. Off-White n’a que 4 ans mais déjà 3,9 millions d’abonnés sur Instagram, et une attractivité XXL auprès des jeunes, cibles chéries des marques. Avec son streetwear (masculin et féminin) fin et malin, Abloh fait bouger les lignes, notamment via la «collab», l’association avec d’autres labels – systématiquement un carton. En faire la liste donne le tournis. Vans, Sunglass Hut, Levi’s, Ssense, Kith, Converse, Nike, Moncler, Jimmy Choo, Matchesfashion, Ikea, Warby Parker, Rimowa, Champion, Dr. Martens, Timberland, Heron Preston, Byredo, Hiroshi Fujiwara, Umbro… Exemples récents : des costumes pour le New York City Ballet, une capsule intitulée «Football, mon amour» pour Nike, une collection «Markerad» pour Ikea, en rayons en 2019 (dont un tapis qui reproduit un ticket de caisse au format XXL). Il fait par ailleurs tandem avec l’artiste japonais Takashi Murakami pour le projet «Technicolor 2», qui sera exposé à Paris du 23 juin au 28 juillet. On comprend mieux qu’il semble comme greffé à son smartphone, et que le musée d’Art contemporain de Chicago estime avoir déjà assez de matière pour lui consacrer une exposition, du 9 juin au 22 septembre 2019.

Abloh réussit un truc dont toute marque de mode fantasme : capter les vibrations émergentes de l’époque et les traduire dans des pièces évidentes, efficaces, illico virales. D’aucuns étrillent des prix exorbitants (300 euros le tee-shirt, 500 le sweat, 400 le jean, 1 300 un blouson…). Toujours est-il qu’Abloh est dans le rythme actuel. Mieux, il le crée, donne le tempo. Il est l’«influenceur» du moment.

Sans complexe. Ça contribue à sa «street credibility» : Abloh, 38 ans, est entré dans le business via le hip-hop. Né à Chicago de parents d’origine ghanéenne, il n’a pas de formation en mode mais d’ingénieur en génie civil, et une maîtrise en architecture. Il explique avoir été, dès l’adolescence, «dans le hip-hop et le skate-board, et tous ces trucs qui parlaient aux gamins des années 90. Et tout ça se traduisait dans les vêtements. Donc je n’ai pas appris la mode de manière formelle mais ça m’intéressait».

Bras droit de Kanye West à 22 ans, il vient au vêtement collatéralement à la musique, sans complexe, comme si ça allait de soi. Etape numéro 1 : le concept store RSVP Gallery, qu’il ouvre en 2009 à Chicago et qui devient vite un repère de la hype masculine. Etape numéro 2 : le lancement en 2012 de son premier label, Pyrex Vision. Il cartonne en confiant des collections capsules à Kanye West ou Asap Rocky. Etape numéro 3 : la création d’Off-White, en 2013 à Milan.

Alors, Abloh ne révolutionne pas le vêtement, Abloh n’est pas Hedi Slimane. Et avant lui, des gens comme Yohji Yamamoto, Paul Smith ou Dries Van Noten ont déjà pimenté l’affaire, fait opérer au vestiaire masculin un virage vers plus de finesse, de diversité, de registres. Cette évolution a fait écho à la «métrosexualisation» des années 1990-2000, quand l’hétérosexuel s’est mis à assumer d’accorder du soin à son apparence, préciosité jusque-là assimilée aux homos. Abloh, lui, est une centrifugeuse de la pop culture, avec le vêtement comme élément du mix. Une sorte de vision holistique appliquée à la fringue, qui participe d’un tout, d’un mode de vie et plus largement d’une culture.

Par ailleurs, que Vuitton ait choisi un directeur artistique afro-américain marque les esprits, comme un bon gros signal vers plus de diversité dans un biotope de cols blancs.

ParSabrina Champenois

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