Le linceul imperméable, dans de beaux trépas

Published 30/07/2018 in Futurs

Le linceul imperméable, dans de beaux trépas
Le linceul impérméable illustré tiré du périodique «la Protection des morts», du 16 octobre 1886.

Drôle d’idée (3/6)

Toute la semaine, «Libé» exhume des inventions insolites. Aujourd’hui, une enveloppe mortuaire pour protéger le corps du défunt.

Est-ce déjà de cette fameuse invention, le linceul imperméable «pour les morts qui craindraient la pluie», dont parle le Journal pour rire dès 1852 ? Manifestement, c’est une année bénie pour la créativité. Il y a aussi, dans les brevets d’invention mémorables, le briquet réveille-matin, le lancer de ruches à miel pour mettre en déroute une armée et des machines mécaniques à voter.«Un philanthrope a trouvé les moyens de rendre les linceuls imperméables – un autre a inventé un cercueil métallique. Celui-ci s’est fait breveter pour la destruction des punaises – cet autre pour les soies de porcs élastiques, inodores et indestructibles», liste, moqueur, le Journal de Seine-et-Marne (10 janvier 1852). Plus de trente ans après, on ne rit plus du tout du linceul imperméable, devenu un article commercialisé avec succès.

En juillet 1885, la presse catholique parle abondamment de cette invention curieuse et pratique, un nouveau mode d’ensevelissement, breveté par un certain M. Gallerand. C’est pénétré de l’idée d’adoucir pour ceux qui restent «l’horreur des moments qui suivent la mort, que M. Gallerand a inventé un linceul dont on a parlé avec tant d’éloges», écrit Léo Charla dans l’Univers (du 25 juin 1885, ci-dessous), vantant les bienfaits de la trouvaille. Dès qu’un décès survient, il s’agit d’isoler le corps du défunt en le plaçant dans une enveloppe mortuaire qui ressemble à un drap de lit en toile. «On peut introduire si l’on veut, à l’intérieur, une mixture désinfectante, et de plus le corps peut être placé tout habillé dans le linceul, car le tissu étant très souple, le volume ne se trouve pas augmenté», détaille, telle une vendeuse dans l’habillement, un article du Soleil (19 juillet 1885). C’est là enfin une pratique qui ne blesse en rien les usages pieux des familles. Premier avantage : l’entourage éploré n’a plus à craindre les «accidents», euphémisme pour évoquer les épanchements de fluides. «Ce point est important au plus haut degré lorsqu’il s’agit de maladie contagieuse, et pour le transport des corps de Paris en province», note Léon Charla. C’est d’ailleurs après avoir été témoin d’un fait analogue, dans des conditions éprouvantes, que M. Gallerand s’est étonné qu’on n’eût pas encore trouvé un moyen d’empêcher ce type de mésaventure, «qui non seulement occasionne une impression douloureuse, mais est encore un danger évident pour la salubrité» (le Soleil).

Qui plus est, le procédé présente un volet pécuniaire incontestable. Ce linceul, qui peut être intérieurement capitonné en satin, évite la perte du drap de lit qui sert généralement à l’ensevelissement. Les matelas se trouvent protégés et l’épuration de la laine n’est plus nécessaire. Et il ne coûte pas plus cher qu’un drap de lit ordinaire. La presse est unanime : M. Gallerand a fait une découverte qui résout un double problème de salubrité et d’économie.

On sait qu’il ne suffit pas d’avoir des idées extraordinaires, encore faut-il trouver d’habiles promoteurs. M. Puech fils a immédiatement cru au succès du linceul imperméable de M. Gallerand et présente plusieurs spécimens dans son magasin du 66, boulevard de Sébastopol, à Paris. Les demandes affluent de toutes parts, quelle meilleure preuve de l’utilité de l’invention ? Les directeurs des pompes funèbres des principales villes de France ont déjà sollicité des dépôts de linceuls à M. Puech fils. Le monopole de vente a été concédé à une importante maison du Caire en Egypte, ainsi qu’à d’autres en Angleterre et en Amérique. Le Soleil l’avait prédit : «Il n’est pas difficile de prévoir que d’ici à peu de temps l’emploi du linceul imperméable sera complètement entré dans nos mœurs.»

Série réalisée en partenariat avec RetroNews, le site de presse de la Bibliothèque nationale de France.

ParFrédérique Roussel

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