Analyse ADN : tube à excès

Published 20/08/2018 in Sciences

Analyse ADN : tube à excès

J’ai testé

Pour découvrir ce qu’on pourrait léguer à nos rejetons, on a décidé de faire l’expérience illicite du test ADN. Dans une éprouvette de salive, un labo américain nous a découvert des origines multiples, des caractéristiques étonnamment fidèles pour ensuite s’aventurer sur le terrain sensible de la santé.

Dans la France de 2018, il est interdit de passer un test ADN dit «récréatif». Sauf que, sur Internet, il est très facile de s’en procurer un. Ce décalage entre la loi et la pratique n’est pas sans rappeler la législation sur le cannabis :dans le cas de la génétique, l’usage thérapeutique est autorisé. Oui, j’ai longtemps fumé du haschisch, mais ce temps d’insouciance est révolu car je viens d’avoir une héritière. Une question naturelle s’est alors posée : qu’allais-je lui léguer ? Non pas à ma mort (il y aura mon appart et mes CD de Tryo), mais à sa naissance. Allais-je lui transmettre mes gros sourcils, mon intolérance à la caféine, voire une prédisposition inconnue à la maladie de Parkinson ? Des sites plus ou moins sérieux proposent de révéler les secrets de notre ADN. Autour de moi, les avis sont unanimement sceptiques : «Si tu découvres que t’as un risque, tu fais quoi ?» ou «tu vas confier tes données génétiques à une société obscure !» Mais persiste une curiosité un peu malsaine. Au fond, ma famille ne connaît pas de maladie grave récurrente. Pourquoi ça tomberait sur moi ? Alors je me suis laissé tenter. Un peu comme quand, à 13 ans, on m’a tendu pour la première fois un pétard (de l’herbe de qualité). Nota bene : ne reproduisez pas seul à la maison ce que vous allez lire, cela comporte des risques (plus psychologiques que judiciaires, à notre connaissance aucun résident français n’a jamais été condamné).

Quel laboratoire choisir ? Le principe, appelé génotypage, est toujours le même : à partir de l’ADN de leur client, croisé avec leur vécu, les scientifiques repèrent les marqueurs génétiques correspondant à une origine ou prédisposant à une maladie. Sur le Web, on trouve une kyrielle de sociétés basées à l’étranger et spécialisées dans la généalogie et les origines ethniques. Totalement démocratisés aux Etats-Unis où les labos sont devenus des machines à cash, les tests de recherche d’ancêtres ou d’origines sont manifestement tolérés par les autorités françaises. Le site de 23andMe propose l’offre la plus complète, des origines (le passé) aux maladies (le futur). Lancée notamment par Google en 2006 et dirigée par l’entrepreneuse star Anne Wojcicki, cette licorne revendique déjà plus de cinq millions de clients. Le site porte la signature Silicon Valley : épuré et simple d’utilisation, on perçoit une volonté de rassurer un potentiel acheteur. C’est vrai qu’il y a de quoi flipper : si les assureurs mettent la main sur les résultats, le montant des contrats risque d’exploser au cas par cas. 23andMe insiste sur l’étanchéité de la barrière entre les mondes de l’ADN et de l’assurance. Mon inquiétude commence à se dissiper, jusqu’à cette indication apposée tout en bas du document : «En cas de violation des données, il est possible qu’elles soient associées à votre identité, ce qui peut être utilisé contre vos intérêts.»

Au moment de commander, l’option «Santé» disparaît. Explications : en 2013, le laboratoire a été épinglé par le gendarme américain qui considérait qu’il dressait un diagnostic médical sans être habilité à le faire. Il a ainsi dû revoir toute sa copie. Depuis 2015, il applique à la lettre les exigences des Etats pour développer son business, jusqu’à faire du zèle : il ne propose plus les tests médicaux en France, par crainte de s’attirer les foudres des autorités. Il existe toutefois une «petite magouille» (inspiration Michel Platini) : les Pays-Bas n’ont pas légalisé que la fumette, ils permettent aussi le dépistage médical à grande échelle. Un ami d’enfance y habite. Il me faudra donc débourser près de 180 euros, transport inclus, pour commander le tout.

Une petite semaine plus tard, voici le colis arrivé chez mon complice, qui me le renvoie (12 euros supplémentaires, le coût de l’illégalité). Je dois enregistrer mon kit en ligne et suivre les instructions en anglais : cracher abondamment dans un tube (on n’a pas l’air bête) et le renvoyer aux Pays-Bas. Dix jours plus tard, les résultats arrivent en ligne, et l’on se retrouve aussi angoissé que devant les notes du bac : même si on te dit que ce n’est pas déterminant pour le reste de ta vie, tu ne peux t’empêcher de penser que c’est irréversible.

100 % européen

Mes quatre grands-parents viennent de quatre coins assez reculés de France, plutôt du sud. Verdict de 23andMe, qui a divisé l’espèce humaine en 151 populations : «100% européen.» Pas un poil africain ni ouzbek ? Rien, la barbe. Dans le détail, je suis à 34 % franco-allemand, 18 % ibérique et, beaucoup plus surprenant, 19 % irlando-britannique. Un ancêtre de la fin du XIXe siècle en serait le représentant. Personne, chez moi, ne connaît l’existence de cet aïeul. Ma seule piste : j’ai des cousins roux du côté maternel. Voilà à quoi j’en suis réduit. Le reste de mes résultats indique «l’Europe au sens large». A chaque fois, on peut lire un petit texte explicatif niveau CM1. J’apprends toutefois que l’homme de Néandertal et l’Homo sapiens ont un important bagage génétique commun. Et que des traces de Néandertal figurent dans mon ADN (enfin une explication à mon dos voûté ?).

Dessin James Albon pour Libération

Puis on me trouve, via ma lignée paternelle, un ancêtre commun avec un roi celte du Ve siècle inconnu au bataillon. Une rapide recherche me laisse de marbre : ce monarque pourrait n’avoir jamais existé. Perplexe, on se décide à appeler un généticien spécialisé. Pour Pierre Darlu, il y a plusieurs problèmes : «D’abord la définition des populations pose question. Et puis il existe forcément un biais, puisque la base de données s’appuie sur du déclaratif. Enfin, ces résultats ne sont que des probabilités : l’ADN d’un enfant est tiré au sort entre ses deux parents, de sorte que la génétique transmise par certains disparaît du génome avec le temps.» Le chercheur au CNRS conclut : «Le souci est surtout de penser que l’ADN est un déterminisme implacable.» En bref, l’acquis est toujours supérieur à l’inné. 23andMe me propose maintenant de me connecter à son réseau social. Un cousin germain y figure ! Problème : j’en ai 42 (ce n’est pas une blague). Il y en a bien une qui a travaillé à New York. Bingo ! Voilà une surprise, certes pas au niveau de ce Français né sous X qui a ainsi retrouvé son père biologique, un soldat américain. La plateforme me propose des cousins américains au 10e degré. Que pourrait-on se raconter ? J’ai plus à partager avec mon voisin de palier.

Attention à la caféine

Je passe à une catégorie sans risques : «Bien-être». On m’indique que je suis très peu tolérant à la caféine. Troublant : ma vie de bureau m’a appris que j’approche du malaise vagal au bout du deuxième café. Et si l’ADN avait tout bon ? Je continue telle une âme égarée qui aurait trouvé la lumière chez la diseuse de bonne aventure : «Vous bougez la nuit plus que la moyenne.» Vrai. «Vous êtes tolérant au lactose.» Vrai. «Vous avez le même gène que les athlètes de haut niveau.» Un petit frisson me traverse : je le savais ! «Le rôle de ce gène pour les non-athlètes de haut niveau est complètement incompris.» Je le savais aussi… Plus bas, 23andMe se permet de me proposer un programme nutritionnel fondé sur mon ADN. Première mauvaise nouvelle : il ne faut pas que je mange de la viande rouge plus de deux fois par semaine – je dois éviter les fast-foods et dormir beaucoup. Et pourquoi pas boire de l’eau et faire du sport pendant qu’on y est.

Coriandre et monosourcil

Je me sers une tisane. Après avoir répondu à un formulaire, un nouvel espace s’ouvre à moi : il contient des dizaines de réponses à des questions qu’on ne se pose pas. Florilège : vous pouvez sentir l’odeur de l’asperge dans l’urine – vous ne détestez pas le son de la mastication… Un portrait-robot assez fidèle se dessine au fil des critères cités : on me donne la couleur de mes yeux, la forme de mes doigts de pied. Je reprends une lampée. Mon ADN dit que je n’ai pas de poils dans le dos (Dieu merci), que je ne suis (et ne serai) pas chauve, que j’ai un petit monosourcil (je l’épile). Plus instructif : j’apprends que je ne présente pas le marqueur génétique de la rousseur – mais alors, ces origines irlando-britanniques ?

Arrive, enfin, ce qui est pour moi la première erreur manifeste : ce deus ex machina m’explique très sérieusement que les clients avec des gènes similaires se réveillent en moyenne à 8 h 04, et qu’ils sont «du matin». Peut-être eux, mais moi non, mes proches le regrettent, d’ailleurs. Autre bémol : ma prétendue aversion pour la coriandre. Les petits plats de ma mère auraient donc eu raison de mon ADN. Les yeux rivés sur mon écran, je renverse ma tasse lorsque j’apprends le type de ma cire d’oreille : humide et collante. C’en est trop : cet étranger préfère le salé au sucré, ne ressent pas certaines amertumes et avait peu de cheveux à la naissance. Je referme le site et reviens à moi, pris d’un léger vertige.

Pas de prédisposition mais…

Une semaine s’écoule. Il va bien falloir que je passe à l’étape finale : mon bulletin de santé. Je repousse à chaque fois l’échéance. Surtout que les messages sont anxiogènes : le dépistage médical sans accompagnement est dangereux. Pour m’y préparer, je me pointe au congrès de la Société française de la médecine prédictive et personnalisée, à Paris. J’y rencontre le professeur Jean-Louis Mandel, qui a lui-même fait l’expérience il y a quelques années. Il regrette qu’«en France, on autorise à un ado de 18 ans l’achat d’une bouteille de vodka qu’il peut boire cul sec sur un pont, mais on interdit les tests génétiques». Le philosophe Bernard Baertschi met en garde, lui, contre «l’effet nocebo» de ces analyses ADN, qui risquent de provoquer des effets psychologiques indésirables.

De retour sur l’ordinateur et mon consentement donné plusieurs fois, je découvre en un clin d’œil que je n’ai aucun surrisque, selon les segments génétiques testés concernant neuf maladies lourdes. Ouf. Le soulagement est de courte durée : à toutes fins utiles, il est précisé que ne pas avoir de prédisposition n’induit pas que je n’aurai pas des maladies telles qu’Alzheimer tardif et Parkinson ou bien un caillot sanguin. 23andMe sort les pincettes : mon hygiène de vie compte bien plus que mes chromosomes. Plus loin, le site m’exonère de dizaines d’autres maladies génétiques dont j’ignorais l’existence. Le soulagement n’est pas à la hauteur de la déception. Exemple : pour le cancer de la prostate, seuls trois segments d’ADN ont été testés sur plus de 1 000 connus qui prédisposent à la maladie. Bref, j’ai contourné la loi pour qu’on me rappelle que ma vie décidera de tout. Autant se détendre en fumant un joint sur l’Hymne de nos campagnes de Tryo.

Mercredi J’ai testé le naturisme à l’allemande

ParLouis Nampalys, dessin James Albon

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